Rennes accueille Ângela Ferreira.
RENNES - Du centre d’art La Criée à l’École régionale des beaux-arts de Rennes, trois installations cartographient une immersion sensible et conceptuelle dans l’œuvre de l’artiste portugaise Ângela Ferreira ; un parcours subtil au détour duquel se repensent les rapports Nord-Sud et la relation de l’art au politique. À la Criée, Maison tropicale, structure en bois et métal créée en 2007 pour la Biennale de Venise, se traverse comme un sas temporel, entre colonialisme et marché de l’art mondialisé. Commandée à Jean Prouvé après la Seconde Guerre mondiale, sa Maison tropicale, architecture d’aluminium livrée en kit, porte en elle le rêve moderniste d’une habitation esthétique et pratique accessible à tous. Destinée aux colonies françaises, seuls trois prototypes y verront le jour, à Brazzaville et Niamey. Ângela Ferreira y a mené l’enquête. Elle en a rapporté des photographies dont la froideur documentaire contraste avec ces paysages désertiques : les maisons tropicales ont disparu.
L’échec des utopies
Arrachées dans les années 1990 à un climat pour lequel elles n’ont jamais été faites, elles ont regagné l’hémisphère nord où, ne brûlant plus sous le soleil d’Afrique, elles ont flambé sur le marché de l’art. Transposition sculpturale de la maison démontée et stockée dans un container, en transit, la Maison tropicale de Ferreira décrit le circuit symptomatique du colonialisme. Elle dénonce moins l’échec du projet moderniste de Prouvé qu’elle ne questionne les conditions historiques dans lesquelles, utilisé à contre-emploi, il a servi un modèle géopolitique opposé à ses principes humanistes. Au centre des préoccupations de l’artiste née au Mozambique et qui a étudié en Afrique du Sud, l’utopie fait l’objet d’expérimentations visuelles, comme dans For Mozambique. La sculpture exposée à l’École régionale des beaux-arts combine une évocation des Kiosks agit-prop de Gustav Klucis et le monument à la troisième Internationale socialiste, pour supporter deux projections vidéo symétriques. D’un côté, Bob Dylan chante la liberté du peuple mozambicain lors du concert « Hard Rain » en 1976 ; de l’autre, des ouvriers célèbrent leur indépendance dans une danse collective. L’impression d’instabilité du kiosque référant au constructivisme russe semble annoncer la précarité de cet enthousiasme (dans la Russie socialiste, dans le Mozambique libre bientôt frappé par la guerre civile). Mais, entraînée par la voix de Dylan, Ferreira ne semble pas pointer cyniquement l’échec des utopies ou des ambitions politiques de l’art. Ce collage historico-esthétique interroge plutôt le paradoxe des projets « mort-nés » comme elle l’explique : « ça me donne de la force » (1). Affirmant que le projet vaut comme acte politique, que la maquette restée sans suite participe à la construction de demain, Ângela Ferreira expose dans le jardin de l’école des beaux-arts les fragments d’une architecture imaginaire, combinaison là encore de deux projets qui n’ont jamais vu le jour. D’après le plan de l’architecte sud-africain Pancho Guedes et une maquette à échelle 1 de Mies Van der Rohe, sa Zip Zap Circus School matérialise la possibilité d’accueillir un projet artistique communautaire dans une architecture symbolique « afro-européenne ».
(1) Ângela Ferreira, Hard Rain Show, éd. Museu Colecção Berardo, La Criée Centre d’art contemporain, 2008.
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L’utopie en 3 D
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Abonnez-vous dès 1 €ÂNGELA FERREIRA — HARD RAIN SHOW, jusqu’au 1er février 2009, La Criée Centre d’art contemporain, place Honoré Commeurec, 35000 Rennes, tél. 02 23 62 25 10, et à l’École régionale des beaux-arts, 34, rue Hoche, du mardi au vendredi 12h-19h, samedi et dimanche 14h-19h. Cat. éd. Museu Colecção Berardo/La Criée, 19 euros. Colloque « Créations africaines et post-colonialisme », du 15 au 16 janvier aux Champs Libres, tél. 02 23 40 66 00.
ÂNGELA FERREIRA
Commissaire de l’exposition : Jürgen Bock
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : L’utopie en 3 D