La dremel. Avec son visage de madone entouré de boucles auburn, Eva Jospin ressemble à une jeune fille de la Renaissance.
D’elle émane une joyeuse vitalité : le contact est simple et direct. Évoquer son objet fétiche, en l’occurrence une Dremel, « un truc de bricolo », lui permet de raconter, en quelques mots, sa formation plutôt atypique: « J’ai toujours dessiné et, très tôt, j’ai voulu devenir peintre. Puis j’ai commencé des études d’architecture mais, au bout de deux ans, j’ai renoncé car ce n’était pas fait pour moi. J’ai opté pour les beaux-arts, à Paris, où j’ai d’abord suivi les cours d’un ancien élève de Balthus, Pierre Carron, un peintre figuratif. Il enseignait la peinture d’après nature et nous emmenait régulièrement au Louvre pour étudier Chardin, Poussin, les peintres italiens, etc. Il prodiguait un enseignement « à l’ancienne », considéré aujourd’hui comme désuet, mais qui me sert encore de référence. Cela ne m’empêchait pas d’aimer les travaux d’avant-garde. C’est, ensuite, pour poncer des pièces en bois de résine, que je me suis familiarisée avec la Dremel, cet outil qui permet, également, d’inciser, de trouer, de visser, de polir ! »
Rien d’étonnant alors à ce qu’Eva Jospin, sortie diplômée en 2002, entame, trois ou quatre ans plus tard, un travail singulier entre sculpture, décor et bas-relief convoquant toutes les options proposées par la Dremel. Une approche qui trouve sa pleine expression avec l’installation que l’on peut voir actuellement au centre de la Cour carrée du Louvre. Il s’agit d’une structure métallique décagonale en poli miroir, érigée au-dessus du bassin central et reflétant les bâtiments alentour. À l’intérieur, on découvre, émerveillé, un décor en relief représentant une forêt.
Un entrelacs de rochers et de sapins unifié par la couleur ocre. Comme une coupe dans la nature. L’impression de se retrouver dans le ventre de la terre-mère. De pénétrer dans la grotte originelle : « J’ai réalisé un panorama en m’inspirant de ceux qui existaient au XVIIIe siècle, mais j’en propose une version contemporaine. »
En effet, l’illusion est parfaite. Mais lorsqu’on s’approche, on s’aperçoit que ce décor à la poésie puissante est réalisé en carton recyclé [voir p.69]. Des plaques empilées les unes sur les autres figurent différentes couches de terre, tandis que des blocs incisés au cutter dessinent des rangées d’arbres. Autant d’effets de matières et de formes donnés grâce à la Dremel, cette miniperceuse électrique multifonctionnelle à laquelle on peut adjoindre toutes sortes de mèches, et qu’Eva Jospin utilise quotidiennement : « Au départ, comme je n’avais pas beaucoup d’argent pour produire de grandes œuvres, je me suis rabattue sur le carton et j’ai découvert sa formidable plasticité. » Pari réussi car les reliefs-sculptures d’Eva Jospin, tout comme ses dessins et gravures, nous relient aux poumons de la vie. À l’écologie des profondeurs. Elle précise : « J’ai toujours hésité entre la peinture et la sculpture. Lorsque j’étais étudiante, il fallait choisir entre peindre ou réaliser des installations quasi industrielles. Je n’étais pas la seule à avoir envie d’un retour au travail fait main et à vouloir décloisonner les genres.
Les propositions de l’artiste Kippenberger, à la fois peintre, sculpteur et performeur, ont constitué un signal positif. » Depuis, Eva Jospin travaille à la lisière des genres, entre peinture et sculpture, installation et décor. Elle pulvérise, en douceur, les classifications. Exposer aujourd’hui un paysage hybride dans la Cour carrée du Louvre, son musée de référence, témoigne d’une salutaire prise de liberté. Et constitue un vibrant hommage à l’histoire de l’art.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L'objet fétiche d'Eva Jospin
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €du 12 avril au 28 août 2016. Cour carrée du musée du Louvre, Paris-1er. Du mercredi au lundi de 10 h à 18 h. Entrée libre.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°691 du 1 juin 2016, avec le titre suivant : L'objet fétiche d'Eva Jospin