L’Institut d’art contemporain de Villeurbanne abrite une exposition à double sens, entre réinvention du réel et négation de la vie
VILLEURBANNE - Tel un panneau de signalisation, la première œuvre de cette course d’orientation est le titre même de l’exposition. La formule imprononçable de Jimmie Durham – la vie, encadrée et barrée en travers –, haïku visuel, serait le premier indice d’un parcours qui tire sa force poétique d’une équivocité au premier chef embarrassante.Alors que l’Institut d’art contemporain (IAC) présente ses dernières acquisitions – qui vaudraient à elles seules le déplacement –, la commissaire Sandra Cattini perce un chemin de traverse dans ses salles. Selon le code de la route, la vie barrée signalerait une sortie de territoire, et par là même la limite de validité des lois qui le régissent. Si cette zone de non-droit est celle de l’art, ce dernier autorise à réinventer la vie, et par extension, le réel.
Cette liberté, l’artiste Noëlle Pujol la saisit pour transcender le trauma d’une enfance orpheline dans une suite de dessins stupéfiants. Mimant une patte enfantine, ils tracent le portrait fantasmatique d’une mère adoptive, femme à barbe armée d’un couteau de boucher, qui parfois fuit la cuisine pour s’adonner aux passions lesbiennes réprouvées par son milieu social. Refaire l’histoire, repeindre la réalité, refondre la société, tel serait le champ des possibles de l’art, quand la vidéo de Florence Lazar (Les Gardiennes) offre un cadre bucolique aux confidences de deux femmes voilées. C’est aussi la tentation de s’affranchir du réel pour réinventer le monde qui anime les participants de Second Life interviewés par Alain Della Negra et Kaori Kinoshita. Ici, le basculement dans le virtuel semble enjamber les barrières physiques, sociales ou morales, qui contraignent la réalité. Jeremy Deller, quant à lui, orchestre la réconciliation des courants populaires en hybridant les genres musicaux. Son Acid Brass, fanfare interprétant des classiques de house music, joue l’hymne d’une communion sociale utopique.
Vacuité de l’existence
Aussi, par le prisme de l’art, le réel dévoile-t-il les curiosités les plus enthousiasmantes, comme dans les photographies de Jean-Luc Moulène, où l’évocation érotique d’une bouteille en plastique venue se coincer entre deux pierres suffit à douter des hasards et réenchanter le monde. À ce titre, la sélection de coupures de presse régionale du duo énigmatique Taroop & Glabel meut la critique cynique de la société du spectacle dans un humour délectable. Une première traversée de l’exposition pourrait s’achever ici, sur l’escalier amorcé par David Renggli, une sculpture aux accents surréalistes dont le titre, Visite guidée, invite autant l’imaginaire à reconstituer l’ascension qu’il ne révèle la frustration d’une impasse.
Faudrait-il alors redescendre ces marches et refaire le chemin jusqu’à la vie barrée pour interroger son acception pessimiste – la négation de la vie ? Elle raisonne déjà sur les gouaches de Jean-Xavier Renaud accrochées dans cette même salle, où la caricature de l’image médiatique exprime aussi, dans la dégoulinure, un dégoût pour le narcissisme de la nature humaine. La critique sociale s’énonce dans le retour du réel qui rattrape toute tentative d’échappatoire, comme les lois de la botanique rabattent le rêve de jardin mobile de Franziska & Lois Weinberger où pourrissent les herbes folles. Alors les voix des hommes ressurgissent au premier plan de la vidéo de Florence Lazar pour cantonner les femmes au silence ; les lois de l’argent, de la religion et du sexe reportent leur système de pouvoir dans le monde virtuel dans les trois vidéos d’Alain Della Negra. C’est le retour du banal. Le fantasme de la fuite est réduit à l’atterrissage forcé, comme la montgolfière échouée de Kris Martin qui laisse entrevoir la vacuité de l’existence. Dans ce retournement de situation, le film de Véronique Boudier (Nuit d’un jour), en fin de parcours, expie le désir pyromane de table rase par la contemplation lénifiante d’un décor en flamme, dont les cendres fumantes offrent le spectacle d’un jour nouveau.
Commissaire invitée : Sandra Cattini
Nombre d’artistes : 11
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L’insoutenable légèreté de l’être
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Abonnez-vous dès 1 €LA VIE À L’ÉPREUVE, jusqu’au 14 février, Institut d’art contemporain, 11, rue du Docteur-Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, www.i-art-c.org, tlj sauf lundi et mardi 13h-19h
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : L’insoutenable légèreté de l’être