Lauréat du Turner Prize en 1999, l’artiste vidéaste britannique Steve McQueen signe son premier long métrage. Présenté à Cannes en mai 2008, Hunger met en scène la grève de la faim entreprise par Bobby Sands, incarcéré en 1981 dans une prison irlandaise. Ce film a valu la Caméra d’or à l’artiste.
Le conflit nord-irlandais du tout début des années 1980 constitue le contexte dans lequel prend place Hunger, le premier long métrage cinématographique de Steve McQueen (artiste anglais né en 1969). À la prison de Maze, des détenus républicains entament une grève de l’hygiène afin d’obtenir un statut de prisonniers politiques, certains allant jusqu’à la grève de la faim, à l’instar de Bobby Sands devenu un emblème de la lutte. Hunger est un film coup de poing où pas une seule seconde n’est de trop, où chaque plan est tracé au cordeau.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de passer du film court au long métrage ?
Je ne fais pas de films mais des œuvres d’art ; je suis un artiste qui travaille avec le film. Si j’ai fait un long métrage, c’est que ce sujet présentait un intérêt particulier. M’intéressait également l’idée de construire une narration à travers le format du 35 mm.
La nature du travail n’est tout de même pas identique entre un film d’une durée de 10 minutes pour l’un, de 1 heure 40 pour l’autre…
Pour moi, cela n’a pas trait au temps ni à une analyse du mode de production ; cela tient à un certain genre d’atmosphère au moment où je travaille. Il y a donc deux choses différentes : la forme courte est comme de la poésie, la forme longue comme un roman. Avec la poésie, vous essayez de trouver un langage afin d’être au plus près de la chose ; le roman est plus un voyage dans le temps afin d’atteindre la fin.
Si ce film n’est pas fondé sur l’actualité, peut-on en faire tout de même une lecture contemporaine ?
Absolument. Il est intéressant de voir ce qui se passe au Moyen-Orient aujourd’hui, même s’il s’agit d’une coïncidence et que cela n’a pas constitué une inspiration directe. Pour moi, [l’histoire contemporaine] a une signification parallèle, car parfois le passé peut refléter le présent. L’idée du corps [considéré] comme un tout est alors évidente. La manière dont les détenus utilisent leurs excréments, leur urine et leur corps comme un outil, une arme de négociation, est fondamentale.
Le personnage de Raymond Lohan, le gardien de prison, a une vie très rangée alors que son travail est très violent et peut être vu comme immoral. Avez-vous mis en scène une forme de manichéisme pour qualifier les personnages et la situation ?
Raymond est un peu tout le monde. Sa vie de famille se déroule dans une certaine normalité, mais ensuite il travaille dans un endroit où les murs sont couverts de merde et de pisse, puis il rentre à la maison et redevient normal. C’est une sorte de situation à la Dr. Jekyll & Mr. Hyde, très importante selon moi car elle est potentielle en chacun de nous. J’espère donc éveiller une sympathie pour lui, parce que c’est une situation compliquée, ce travail étant très bien payé à une époque où il y en avait peu. Mais j’espère aussi qu’il sera jugé, car nous devons nous élever parfois afin de faire face à ce que nous ne voulons pas faire.
L’une des questions-clés du film me semble être la certitude de savoir ce que vous devez faire. Dans la très longue scène de dialogue entre le prêtre et Bobby Sands, où ce dernier lui annonce son intention d’entamer une grève de la faim, il lie cette action à la question du respect…
Je pense en effet que la question du respect est le pivot de la conversation ; on doit respecter les souhaits de quelqu’un, la conduite de sa propre vie. Bobby se trouvait dans une situation où il devait suivre sa nature et ses impulsions. Vous ne pouvez raisonner avec cela, vous ne pouvez que l’accepter. Et l’accepter devient une forme de respect.
La façon dont vous traitez le temps est remarquable, avec des scènes parfois très longues mais une absence de temps mort et rien d’inutile…
Je voulais en effet filmer d’une manière musclée, sans gras, que tout soit une nécessité, que rien ne soit en supplément. Face à une telle situation, vous devez la respecter et vous ne pouvez pas rendre le propos romantique. Vous devez être très discipliné et strict, et en même temps parfois très brutal car les choses étaient ainsi.
Est-ce la raison pour laquelle le traitement de l’image est si précis, presque clinique parfois ?
Des gens m’ont dit que « l’image est belle ! », ou des choses de la sorte, mais ce n’est pas du tout le cas. Ici, vous devez engager le public, et ceci l’oblige parfois à regarder quand il veut se détourner. Il est nécessaire de cadrer les choses ou de composer des images qui soient directes, et pas du tout de les rendre belles.
Dans nombre de vos œuvres, un très fort impact met le spectateur dans une position d’inconfort.
Sentir les choses, leur poids, leur gravité est très important. « Qu’avez-vous ressenti en regardant ? » est une question essentielle. Ce n’est pas très intéressant si les choses sont flottantes, car ensuite vous devenez paresseux. Il ne s’agit pas d’une critique des gens. C’est juste une critique des films, une critique de mon art.
STEVE McQUEEN, HUNGER, 2008, film 35 mm, durée 1 h 40 min. Sortie en salles le 26 novembre.
STEVE McQUEEN, jusqu’au 29 nov., galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, du mardi au samedi 11h-19h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’homme à la Caméra d’or
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : L’homme à la Caméra d’or