PARIS
Inscrit dans une longue filiation qui remonte à Grünewald et Goya jusqu’à Bacon, l’esprit révolté et la puissance vitale de l’expressionnisme survit dans la peinture actuelle où il se délite et renaît sous de nouvelles formes, face au visage de notre monde malade.
Au début des années 2000, apparaît sur le devant de la scène française une nouvelle génération de peintres qui partagent un même fond expressionniste. Chez Ronan Barrot, Gaël Davrinche, Damien Deroubaix, Gregory Forstner, Cristine Guinamand, Youcef Korichi, Stéphane Pencréac’h ou Raphaëlle Ricol, on retrouve une même révolte contre l’ordre du monde, un désir furieux de peindre, un souffle de liberté et d’anticonformisme, une puissance formelle et une expressivité extrême.
Présents actuellement dans de nombreuses expositions, et bien que l’institution française demeure encore parfois frileuse face à leurs expressions dérangeantes, cette peinture témoigne d’un regain d’intérêt et d’un attrait du public. Et c’est peut-être à l’aune de cette actualité que se relit aujourd’hui la présence vivante de certaines figures tutélaires : des expressionnistes historiques comme Egon Schiele ou Otto Dix aux aînés plus directs comme Paul Rebeyrolle ou Vladimir Velickovic – que certains de ces « jeunes » peintres eurent comme professeur aux Beaux-Arts de Paris. Pas étonnant donc que le public soit touché par ce type de démarche percutante, dans une société en crise et à l’heure d’un ras-le-bol généralisé contre le dominant, tant en politique que dans un monde de l’art contemporain bercé par les lois du marché, le lisse et la froideur désincarnée du concept qui laisse dubitatif ou indifférent.
Si l’on parle ici de filiation, il semble pourtant difficile de circonscrire la peinture actuelle aux limites d’une étiquette. D’abord parce que cette filiation est multiple. Bien au-delà de l’expressionnisme historique des années 1910, entendu comme mouvement, toute l’histoire de la peinture est irriguée par une veine expressionniste qui exagère et distord les formes et les couleurs pour créer une intensité émotionnelle : des précurseurs isolés aux représentants historiques allemands du début du XXe siècle, des expressionnistes américains aux informels, matiéristes ou figuratifs européens d’après 1940 jusqu’aux néo-expressionnismes émergeant à la fin des années 1970, c’est un colossal fleuve qui s’écoule et d’où surgissent pêle-mêle les visages de Grünewald, Goya, Munch, Kirchner, Dix, Beckmann, Soutine, Picasso, Rouault, Fautrier, Rebeyrolle, Leroy, De Kooning, Guston, Bacon, Baselitz, Lüpertz, Immendorff, Kiefer ou de tant d’autres encore…
C’est dans cette filiation protéiforme que s’inscrit la peinture actuelle en embrassant des sujets et des techniques multiples, tantôt dans l’expressivité du dessin tantôt dans la libération du faire et de la matière, de la puissance du noir et blanc aux démesures de la couleur. Et s’il est question d’expressionnisme aujourd’hui, cet héritage est revu à travers notre modernité. Autant dire qu’il n’y a pas un regard sur l’expressionnisme, mais des regards où s’affirme, à des degrés divers, une teneur expressionniste renouvelée dans la diversité des œuvres et des pratiques. Des pratiques issues d’une génération qui questionne le pouvoir de l’image. Après la folie de l’histoire qui sans fin se répète. Après l’hypothétique mort d’une peinture qui ne cesse de renaître. Après les désillusions idéologiques et les théorisations de groupe. Après la prolifération massive des images et le malaxage entre High et Low culture. Et à l’heure de la mondialisation. Une génération qui partage donc, à la mesure de ces bouleversements, une même sensibilité à l’histoire et une même distance vis-à-vis des postures. Une génération boulimique qui, entre respect et parricide, dans le creuset de singulières individualités, entend digérer toutes sortes d’images et situe sa pratique au carrefour d’une hybridité complexe.
Le traitement expressionniste de la matière prime chez certains. Non pas que le contenu politique et tragique soit exclu. Mais la violence du sujet semble contenue dans la manière même de travailler, dans l’énergie formelle et la force gestuelle. L’image est mise à distance d’une lecture trop univoque, le motif se trouvant dissolu ou inidentifiable. De même que la dépense érotique de l’acte et la jouissance des couleurs renversent sentiment de malaise et noirceur.
Ce n’est pas un hasard si Gaël Davrinche s’intéresse plus à Bacon, Rouault ou Van Gogh qu’à Otto Dix, trop attaché pour lui à la réalité de l’actualité. Dans nombre de ses portraits, le choix du sujet importe moins que l’expression de tensions intérieures et la voracité de l’engagement physique, tant par la gestuelle libre que par l’intensité des couleurs, fait face à la torpeur du tourment d’être. De même, on aurait tort de chercher à identifier la nature exacte des motifs chez Ronan Barrot. La violence des sujets (crânes, crucifixion, émeutes, viol, meurtre) y est d’autant plus forte qu’ils sont ambigus. Citation picturale ou référence littéraire, sujet biblique ou banale quotidienneté, de l’actuel au classique, l’œuvre opère d’incessants mouvements d’une image à une autre. Le sujet y est en lutte avec une matière épaisse. Un magma souvent terreux, de bruns et de verts sombres, portant l’empreinte d’une gestuelle brutale, aux limites de l’abstraction, et dont la puissance vient autant de l’expressionnisme de Rebeyrolle ou de Leroy que du réalisme d’un Courbet ou de la touche libérée d’un Titien tardif ou d’un Manet. Une expressivité matiériste contrebalancée par des zones plus précises et réalistes, participant au trouble de la lecture.
Même ambivalence chez Cristine Guinamand : qu’il s’agisse de natures mortes, de paysages ou d’intérieurs, et qu’il y ait ou non un lien direct avec les drames de l’histoire (photos de guerre, citation d’Otto Dix, corps torturés ou décapités), la violence surgit littéralement, bien au-delà du sujet, dans un corps-à-corps brutal avec le médium. Multipliant les techniques, elle explore l’efficacité du trait comme l’énergie de la matière, diluée ou empâtée. Des expressionnistes, du mouvement allemand aux figures plus actuelles (Rouault, Rebeyrolle, Malaval, Réquichot, le Robert Morris des années 1980, Käthe Kollwitz), elle a regardé la brutalité des formes, la stridence des couleurs, la puissance du noir et le travail de l’hétérogène. Elle trouve sa singularité dans une dépense corporelle agressive dont la violence touche physiquement et l’œuvre et le spectateur. Peinture, bois, clous, scie, puzzle, l’artiste perfore, lacère, recouvre, fragmente, pulvérise : le support nous rentre dedans, l’image n’apparaît jamais de façon unitaire et univoque. Et s’il est dans sa peinture une origine noire, celle-ci est contrebalancée par la beauté d’une palette haute en couleur. Retournement que l’on retrouve autrement chez Barrot, quand sourdent du magma sombre des percées de bleus lumineux et de roses sensuels : promesse d’espoir et jouissance colorée.
Parfois, la question du sujet, dans sa violence ou ses liens à l’actualité, est posée d’une façon plus directe dans des visions sociétales qui manipulent une mémoire collective et des symboles forts dont la lecture demeure plus ouvertement identifiable, même si hybridée dans des compositions aux montages complexes. Ici l’expressionnisme est perçu comme révolte et combat contre la folie brutale du monde, par le truchement d’une force iconographique qui dérange et réveille les consciences. Le contenu politique y est très prégnant, les références à la guerre très présentes, surgissant dans des démarches singulières où l’apport de l’expressionnisme est mêlé à d’autres traditions.
Par la vivacité de sa palette, la spontanéité du geste ou la puissance du trait, par la noirceur absurde des situations ou l’exagération bouffonne des personnages humains à tête de canidés, l’œuvre de Gregory Forstner réactive une veine « expressionnisante » qui doit autant à l’apport de Dix, de Lüpertz ou de Schnabel qu’à celui de Grünewald, de Greco, d’Ensor ou de Goya. Il y met en scène les refoulés d’une mémoire collective par des collages d’images aux références hétérogènes, picturales ou populaires, intimes ou historiques, évoquant les barbaries de l’histoire, du nazisme au Kosovo, dans une singulière vision colorée et maniériste, teintée d’un humour grinçant et désillusionné.
De même, Stéphane Pencréac’h joue d’images symboliques fortes directement en prise avec notre mémoire collective, qu’il s’agisse de sujets actuels tirés d’une réalité médiatique ou de sujets mythologiques. Pietà, crânes, dépositions, gisants, émeutes, ses motifs tragiques demeurent facilement reconnaissables, inscrits dans des compositions souvent monumentales et très structurées, où ils gardent une présence assez centrale et se chargent même d’effets classiques : jeux de clair-obscur, illusion spatiale et trompe-l’œil, mouvements de drapé. L’artiste se dégage du pathos des sujets par des audaces formelles et une grande liberté subjective : gestuelle lâchée, intensité chromatique, ajout d’objets et de matériaux divers. Une force « expressionnisante » hybridée qui a su se renouveler à l’aune des libérations du néo-expressionnisme des années 1980 (Schnabel en particulier) et dans laquelle il insuffle un souffle baroque et romantique.
Quant à Damien Deroubaix, son art sombre qui représente la mort et les horreurs de la guerre tend vers une puissance expressive qui s’inscrit tant dans l’héritage picassien que dans la brutalité de l’expressionnisme allemand, dans le réalisme froid et la dureté incisive du trait d’un Beckmann ou d’un Dix. Manipulant ses motifs avec l’audace iconoclaste des montages dadas, il varie ses sources (musique métal, échos aux grandes guerres, sujets mythologiques antiques ou danses macabres médiévales) dans une œuvre hybride qu’il tire vers l’intemporel et teinte aussi d’un singulier primitivisme, entre ethnographie, folklore populaire et symbolisme.
De l’expressionnisme au réalisme classique ou hyperréaliste, la frontière souvent se trouble et demeure mouvante. Après des débuts expressionnistes, Youcef Korichi fait rapidement évoluer sa peinture, délaissant les sujets en prise directe avec l’actualité, dont la violence venait se surajouter à celle d’une facture très gestuelle. Il représente aujourd’hui des grilles et des paysages où les questions de frontière et d’enfermement véhiculent une dimension politique moins littérale mais sous-jacente. Il confronte diverses manières, ici empâtements et gestuelle large, là veine hyperréaliste, et déplace le problème de l’expressionnisme, à l’origine circonscrit au tableau en lui-même, à la question plus large de l’exposition : association des œuvres, points de vue et formats variés, fragments du motif, créent du trouble dans la perception et redonnent une sensation expressionniste.
Autre forme de déplacement, la peinture d’Axel Pahlavi à ses débuts hybride expressionnisme, réalisme et hyperréalisme. Le caractère déjanté et absurde de ses portraits aux figures éclatées et dissolues est issu d’un imaginaire qui se nourrit d’un expressionnisme, celui de Bacon ou de Grünewald, revu par sa fascination pour une culture plus populaire, bandes dessinées de science-fiction, mad movies ou jeux de rôles. Renouant avec l’essence de l’expressionnisme, il se confronte aux tourments de la chair, au cri, à la souffrance, mais aussi à la grâce, à travers les notions de résurrection et d’amour éternel qu’il retrouve dans le retable d’Issenheim. Interrogations de fond qui le mèneront à faire évoluer sa pratique vers une nouvelle vision de l’homme.
Quant à Filip Mirazovic, son travail se fonde sur le réalisme d’une tradition classique dont il conserve la puissance narrative et la composition, mais qu’il contamine par l’apport d’une veine expressionniste (de Kirchner, Dix ou Bacon à Baselitz et Immendorff). Par les débordements d’une matière épaisse et les accidents d’une gestuelle libre, il crée des failles dans l’ordre d’intérieurs lisses où se renversent les symboles du pouvoir politique et catholique, en écho aux violences du XXe siècle et de l’histoire yougoslave. C’est par cette hybridité et ces déplacements incessants que la peinture figurative se réinvente, au-delà des étiquettes. Par sa capacité à brasser les sujets et les formes, sans doute offre-t-elle une vision capable de représenter les bouleversements et malaises de notre temps, lui-même complexe, instable et fragmenté. Une hybridité curieuse qui n’est pas prisonnière d’un style et qui, entre sincérité et distanciation, intimité et universalité, évite l’écueil d’un certain expressionnisme quand il tend à la facilité, au lyrisme et au pathos d’une subjectivité nombriliste.
Mathieu Boisadan,le goût de la peau
Mathieu Boisadan voit l’expressionnisme comme une lutte. Une résistance à l’aseptisation du monde et à sa vitesse effrénée, à l’ère des images qui dématérialisent et désincarnent. Ayant particulièrement regardé Max Beckmann et Gustav Klimt, il perçoit cette veine tant dans son aspect formel qu’iconographique. Le travail en matière permet une appréhension physique du réel où traces gestuelles et épaisseurs donnent à sentir le goût de la chair. Ce qui est palpable jusque dans la découpe agressive du motif, tels ces fragments de corps, sensibles, épidermiques, tétons pointant et lèvres se mordant. Expressionniste, son art l’est parce qu’il est incarné. Physiquement. Et symboliquement. Il met en scène des corps qui semblent chercher le repos, le plaisir, l’intimité, la douceur, mais qui toujours semblent contraints par une force aveugle. Corps d’adolescents somnolant debout, corps assis écorchés, courbés, agenouillés, en lutte avec des vêtements ou des masques étouffants, en position instable, comme s’ils tiraient le fardeau d’un monde qui n’en finit pas de mourir. Carcasse nauséeuse du temps qui passe, des gravités d’une société qui nous happe vers le bas. Dense et mystérieuse, la peinture de Boisadan greffe des sources hétérogènes, emprunts à l’art ou à une culture populaire, référent à l’histoire passée ou actuelle. Ses personnages disproportionnés, comme dans l’art primitif, peuplent des forêts et des paysages indéterminés, comme marqués par les traces d’une guerre impalpable et abstraite sans nom, sans objet, sans durée, faits de restes d’architectures et de statues aux échelles improbables. Un monde à la fois très réel et onirique, violemment calme et suspendu, aux cieux mauves et bleus, baignés d’une lumière pâle plus proche de la mélancolie romantique que de la vivacité expressionniste. Le monde d’une jeunesse qui semble au bord. Au bord d’un étrange réveil. Comme avant la chute d’une mauvaise descente. À l’heure d’un after délavé où l’éclat du grand festin s’est faisandé durant la nuit.
Amélie Adamo
Mysticisme et nature sauvageIssu d’une génération plus jeune, le collectif Körper relit l’expressionnisme à l’aune de sa vivacité formelle, de ses liens à la nature et au mysticisme. Ayant assimilé Baselitz et Munch, la figuration gestuelle et brute de Klervi Bourseul crée des formes qui naissent des aléas de la matière : bestiaire imaginaire et êtres hybrides faits d’emprunts à l’art et à la littérature. Maël Nozahic (via l’expressionnisme allemand, mais aussi Van Gogh et Ensor) explore une peinture énergique, vive dans la palette et incluant récemment une gestuelle abstraite, qu’elle mixe à une figuration plus naturaliste mêlée à l’apport du romantisme, du symbolisme ou du surréalisme. Faites d’emprunts à maintes cultures et religions, ses visions étranges, enchantées et apocalyptiques, sont pleines de mysticisme et de primitivisme. Intéressé aussi par le primitivisme, qu’il regarde chez Gauguin ou dans les paysages ambivalents de Nolde et Munch, et y trouvant un écho avec les catastrophes naturelles actuelles, Arnaud Rochard représente des forêts en lisière de civilisation, peuplées d’animaux hybrides et d’êtres en errance. Réactivant les techniques expressionnistes, ses gravures sur bois ou linogravures sur toile contaminent le réalisme par des aplats et des contours découpés. Il tempère la violence de ses œuvres par l’apport d’autres référents : japonisme, art asiatique, Art nouveau, art médiéval, artisanat et imagerie populaire. Une hybridation qui crée une tension entre abstrait et figuratif, contemporain et archaïque, séduisant et menaçant.
Amélie Adamo
Énergie solaire, tribale et urbaineIl y a une tendance solaire dans l’expressionnisme actuel. Une joie sauvage, une frénésie vitaliste qui fait corps avec la violence du monde, en renverse sa part d’angoisse. Cette expression a affaire avec l’enfant qui est en nous : un déferlement baroque au sens outrancier du dernier Picasso, un flot spontané et libre comme un graffiti vibrant dans la ruelle des vivants, contant des histoires débridées, laissant monter les mots et les images du dedans, les transformant dans le feu du faire, brûlées par l’émotion de l’instant et la curiosité de se laisser surprendre. Une veine colorée et instinctive qui a trouvé en Jonathan Meese son représentant allemand et à laquelle on pourrait rattacher en France Raynald Driez, Timothy Archer ou Raphaëlle Ricol.Chez Driez, dans une approche plus noire, il y a une crudité érotique, où l’urgence et la nervosité graphique feignent la naïveté du dessin d’enfant, qui doit à l’expressionnisme allemand, à la pornographie ou au graffiti : mise en scène de poupées, mi-putes mi-vierges, à la fois burlesques et démoniaques, baroques et envoûtantes comme des fétiches vaudous. Dans un versant plus lumineux et joyeux, on trouve chez Archer la réactivation d’un primitivisme revu à l’aune de la modernité (expressionnisme allemand, Picasso, Cobra, Figuration libre, Street Art) autant que des arts primitifs d’Océanie ou d’Afrique. Quant à Ricol, sa pratique instinctive métamorphose symboles religieux et politiques, images enfantines ou pornographiques, réinventés en créatures hybrides et monstrueuses, qui doivent autant à Bosch ou à Philip Guston qu’au dessin animé et aux contes.
Amélie Adamo
Saturationet viscéralitéIl est une tendance dans l’expressionnisme actuel à la saturation du tableau et à une densité viscérale, où l’accumulation d’émotions et de matières, qu’accusent des formats colossaux, vient nous heurter physiquement. Intimiste est le travail de Lyzane Potvin, qui utilise sa propre image photographiée comme matériau de base. Et si elle tente de sublimer son sujet, en parlant à travers elle du malaise de l’humain, l’expression d’une vision sombre et d’émotions brutes lancées rouge noir sur la toile y demeure littérale : lâcher prise pour laisser surgir la violence intérieure et s’en libérer, de façon psychanalytique presque. Il y a là une force certaine, dans le caractère bestial et physique : épaisseur traitée au couteau, toile lacérée ou brûlée. Une énergie qui s’est nourrie de Pollock, de De Kooning ou de Riopelle. Mais le travail gagnerait peut-être à frayer vers d’autres voies que celle d’une noirceur à vif, vers plus de complexité et de contrepoints lumineux ?Tirant vers d’autres contrées les noirceurs humaines, le travail de Simon Leibovitz est plutôt catalyseur d’une épaisseur historique où grouillent maintes références. S’y bousculent les mémoires, archaïsme et modernité, grand art et culture populaire. Dans la boue colorée, entre entrelacs nerveux et magma de matière, le sang paraît soudain palpiter. Et émergent alors des images, des mots, des histoires, aux sens multiples. Et montent les cacophonies du mal et de ses lueurs. Des hommes et des bêtes. Saturé de lignes et de taches, de couleurs et de noirs, entre aplats et profondeur, l’espace se ferme et s’ouvre, comme une pieuvre ou un sexe béant. Il s’ouvre là, en somme, comme un expressionnisme percutant, renversant de virtuosité, un joyeux bordel maîtrisé. Une folie hermétique et sensible, attirante et repoussante à la fois, où l’on cherche parfois une infime percée d’air.
Amélie Adamo
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : L’expressionnisme en peinture, l’éternel retour