Aborder une installation des frères Chapuisat est toujours une expérience physique prenante. Leur nouvelle œuvre, au Centre culturel suisse, à Paris, ne déroge pas à cette règle. Grégory Chapuisat (né en 1972) a répondu à nos questions.
Frédéric Bonnet : Votre installation Les Éléments (2011) adopte un aspect futuriste évoquant la science-fiction. Pour quelles raisons ces formes vous sont-elles chères ?
Grégory Chapuisat : Il y a toujours eu un travail autour de la science-fiction en effet, mais sous des formes parfois moins définissables. Cela a toujours été là. Nous sommes nés là-dedans : La Guerre des étoiles, les jeux vidéo, etc.
F. B. : À quelles fins réutilisez-vous ce fond, important pour vous ?
G. C. : Je ne sais pas précisément à quelles fins, mais je pense que quelque chose a mûri. Avec l’âge, nous avons découvert l’architecture, cela a rejoint ma passion pour le brutalisme ; or, science-fiction et brutalisme sont assez proches. C’est peut-être un peu dans l’air du temps aussi, il ne faut pas le nier. C’est comme un vocabulaire que nous avons développé au fil du temps et que nous appliquons.
F. B. : Le vocabulaire employé ici a des racines précises puisque vous vous êtes inspirés de brise-lames découverts dans le port de Nice…
G. C. : Nous les avons vus et surtout expérimentés. Nous nous y sommes promenés, c’était une expérience assez hallucinante, à plusieurs niveaux. Il y avait l’objet en soi avec lequel nous nous sommes confrontés, puis, en y pénétrant, nous avons découvert son espace négatif. C’est une sorte d’espace intemporel qui m’a profondément touché. Il fallait en faire quelque chose, le partager. En tant qu’artiste j’utilise mes expériences personnelles pour les partager.
F. B. : Il y a toujours un lien à la nature assez fort dans votre travail, par les matériaux utilisés mais également par cet aspect brut que vous évoquiez. Cela pourrait être antagoniste avec l’idée de la science-fiction et son vocabulaire formel lisse et rutilant, non ?
G. C. : La science-fiction est pour moi ailleurs, et pas dans cet aspect rutilant. Pour moi, il s’agit plus d’envisager l’unicellulaire et ce genre de choses. Ce qui m’a le plus fasciné dans les explorations, c’est l’idée qu’on ait pu découvrir des cellules vivantes sur Mars ou sur la Lune.
F. B. : N’y a-t-il donc pas un fantasme visuel qui vous excite ?
G. C. : Non, je ne pense pas. Je ne suis pas un esthète, je m’intéresse plus à la matière, à la molécule. J’ai une passion pour la science située derrière et qui tient le tout ensemble.
F. B. : Vos installations ont souvent des formats assez monumentaux. Quand vous abordez un espace, y a-t-il une volonté de se mesurer à lui ?
G. C. : D’abord, il y a l’ego. Ensuite, il y a toujours l’envie d’être dans cette idée d’immersion, très proche de la scénographie. On essaye de transformer une scène au point où l’on oublie que c’est une scène. Et puis, très jeune, j’ai fait beaucoup de graffitis. La seule chose qui me passionnait était de peindre plus grand que moi, d’être un peu dans l’architecture, de dépasser le format humain.
F. B. : Il y a donc une notion de défi.
G. C. : Oui, bien sûr. Et peut-être aussi, je dois l’admettre, une certaine volonté de remplir l’espace. Par rapport au volume, il y a vraiment une envie d’être dans l’expansion. Il y a une curiosité sans fin, avec un côté organique entre autodéfense et envahissement.
F. B. : N’y a-t-il pas, ici, une fusion qui pourrait paraître contradictoire entre les aspects à la fois organique et fabriqué de l’installation ?
G. C. : Vous associez l’organique à un aspect visuel alors que je l’envisage plutôt comme une manière de penser, une philosophie de vie. Ce qu’on ne voit pas là, c’est le processus de fabrication. Nous ne sommes pas arrivés avec un plan fini, donné à un assistant. L’installation s’est créée au fil du montage, en partant d’un pseudo plan 3D de ce brise-lames de Nice trouvé sur Internet. La construction très formelle s’est donc faite de manière très organique.
F. B. : Dans votre biographie, il est mentionné « vivent et travaillent in situ ». Vous avez tout de même une base ?
G. C. : Non, je fête mes dix ans de nomadisme et j’en suis très fier ! Mon frère s’est, lui, sédentarisé pour des raisons amoureuses, mais moi, je n’y arrive pas. Il faut être honnête et dire que mon nomadisme est possible car j’ai des parents chez qui j’ai toujours la possibilité d’aller si j’ai des problèmes financiers, ou si je ne veux pas être sur la route l’hiver. C’est donc très rassurant ; je ne suis pas un extrémiste. Je suis devenu nomade à cause du monde de l’art, à cause de mon travail, et je suis devenu accroc.
Jusqu’au 18 décembre, Centre culturel suisse, 38, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 44 50, www.ccsparis.com, tlj sauf lundi 13h-19h. Catalogue à paraître
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Les frères Chapuisat : « Dépasser le format humain »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Les frères Chapuisat : « Dépasser le format humain »