Ce n’était pas gagné : en réponse à ma requête, Nicolas Dhervillers, tout sourire, répond de sa voix douce, comme pour s’excuser : « En fait, je n’entretiens aucun rapport de fétichisation avec les objets. Je ne collectionne pas et je ne me vois pas vivre entouré de mes œuvres ! » On le rassure et,
du coup, ça fait tilt. Nicolas Dhervillers se jette à l’eau : « Finalement, il y a une chose à laquelle je tiens énormément : c’est une petite boîte de diapositives contenant vingt photos. Je la range dans ma bibliothèque, au milieu de mes livres.
Elle provient du garage de mon grand-père. Elle en a gardé l’odeur. » Un support en voie de disparition qui le fascine. Des photos de famille à regarder en transparence face à la fenêtre. Et qui, tenues dans la main, permettent de superposer ombres du passé et décor présent, comme Nicolas Dhervillers aime le faire dans ses montages photographiques. Que voit-il ? Des clichés montrant sa mère toute jeune fille, en voyage, posant avec ses parents. Des vues sans qualité particulière que Dhervillers apprécie cependant pour l’attention portée au cadre. Il remarque : « Elles ont été réalisées par un non-professionnel, mais, à cette époque, un amateur s’appliquait pour ne pas gaspiller une pellicule. Aujourd’hui avec les téléphones portables et la vogue des “selfies”, on prend des milliers de photos sans avoir forcément le temps, ensuite, de les regarder. Avec le numérique, on vit une époque de profonde mutation en ce qui concerne les traces de la mémoire humaine. Comment va-t-on pouvoir traiter les milliers de documents dont nous disposerons dans le futur ? C’est passionnant ! » Cette question de la mémoire hante, au sens propre du terme, les œuvres photographiques grand format de l’artiste. Ses paysages, nimbés d’une lumière artificielle, sont parfois « habités » par des personnages sortis d’une autre époque, et qui ont vécu sur place, quelques siècles en arrière. Dhervillers installe dans des vallées industrieuses aux usines fermées, ou sur des routes abandonnées, quelques discrets indices et crée, ainsi, une atmosphère étrange dans une dramaturgie cinématographique. C’est sa manière à lui d’interroger la notion de simulacre. De confronter différentes couches mémorielles. Car sa recherche du temps perdu mêle outils contemporains (prises de vue numériques en lumière naturelle, retravaillées avec Photoshop) et investigation dans les archives locales. Pour revenir à son objet fétiche, Dhervillers explique : « Les diapos contenues dans cette boîte ont été faites avant ma naissance. Quand j’en ai pris possession, il y a une dizaine d’années, je commençais mon travail d’artiste. Et ces photos sans provenance ni mention ont excité mon imagination. Je me suis figuré une fiction.
Et puis non, je n’en ai rien fait. Et pourtant je suis sûr que ça agit en profondeur. Et que ça ressortira un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre. » Ici, dans ces photos immobiles, quelque chose lui échappe… Il attend. Comme quand il travaille, sans idée préconçue, disponible au déclic et aux rebondissements. Il se rend à la bibliothèque, feuillette des livres d’art, de design, d’archi… « Je laisse mon esprit vagabonder jusqu’à ce qu’une idée me donne l’envie d’entreprendre une nouvelle série. De même, je ne passe pas un jour sans regarder un film ou une série TV, c’est indispensable à ma survie ! » Il est fasciné par le cinéma métaphysique d’Andreï Tarkovski, par les récits déconstruits de Lars Van Trier, et par la tension intacte qui traverse le Shining de Stanley Kubrick. Côté photo plasticienne, il met Jeff Wall au plus haut de la marche : « Pour moi, c’est celui qui donne l’heure. Ses compositions sont précises comme la mécanique d’une horloge. » Mais il conclut : « Je suis en train de développer des objets photographiques. De fil en aiguille j’arrive à penser la photographie autrement. » À suivre…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les diapos de Nicolas Dhervillers
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €« Nicolas Dhervillers, Photographies et installations », School Gallery Paris - Olivier Castaing, Paris-3e, du 28 janvier au 7 mars 2015, www.schoolgallery.fr
« Rétinal et autres séries », Galerie Cédric Bacqueville, Lille (59), du 5 mars au 1er mai 2015, www.galeriebacqueville.com
« Behind the Future », Triennale Photographie et architecture, Bruxelles (Belgique), du 19 mars au 20 mai 2015, archi.ulb.ac.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°676 du 1 février 2015, avec le titre suivant : Les diapos de Nicolas Dhervillers