ROBOTS - En juillet 2015, le groupe d’activistes The Impact Team pirate le site de rencontres extraconjugales Ashley Madison et rend publiques les données de 33 millions d’utilisateurs.
L’événement ne pointe pas seulement la difficulté de préserver l’anonymat et la vie privée des internautes, il révèle aussi une vaste escroquerie en ligne. Pour pallier son incapacité à attirer un nombre suffisant d’utilisatrices, Ashley Madison a en effet eu recours à 75 000 bots informatiques.
Ces logiciels, conçus pour imiter le comportement et la manière de communiquer des êtres humains, y avaient pour rôle d’inciter les usagers à accepter un « chat » payant. Au lieu de la « rencontre virtuelle » attendue, ces derniers discutaient donc avec des « fembots » – des « angels » – selon la terminologie du site. C’est la nature de cette relation hommes machines que ¡Mediengruppe Bitnik interroge dans l’installation Jusqu’ici tout va bien, à découvrir jusqu’au 4 décembre au Centre culturel suisse (CCS), à Paris. Versé dans l’exploration des « subcultures du web », le duo artistique germano-suisse y donne vie aux 61 « fembots » créés par Ashley Madison à destination de ses utilisateurs parisiens. Les « anges » y sont réduits à une ossature qui les désigne d’emblée comme simulacres – ce sont des visages virtuels et masqués – sur des écrans placés à hauteur d’homme et montés sur roulettes. À tour de rôle ou d’une même voix, les fembots s’animent et se présentent avec cette neutralité propre aux machines : « Bonjour, je suis Fantasy 42 », dit l’une : « Bonjour Fantasy 42 », répond le chœur des écrans. « Ici Petit insecte », poursuit une autre. « Ici Clic-Clac », dit une troisième, et ainsi de suite… Naturellement, les fembots cherchent à engager la conversation. « Êtes-vous en ligne ? » répètent-elles ? « Il y a quelqu’un ? Je suis en ligne maintenant. Envie de discuter ? Voulez-vous me connaître mieux ? Venez me dire bonjour »… Parfois ponctuée d’un « LOL », la logorrhée tourne en boucle, révélant ce que les fembots d’Ashley Madison ont de stéréotypé et de rudimentaire. On doute qu’elles passent avec succès le test de Turing. Comment expliquer dès lors l’inquiétude où nous plonge Jusqu’ici tout va bien ? D’où vient notre impression que les créatures d’Ashley Madison, aussi sommaires soient-elles, non seulement ne sont pas des anges, mais pourraient bien s’avérer hostiles ? Pourquoi se saluent-elles ? Pourquoi parlent-elles d’une seule voix, les yeux tournés vers nous ? Ne seraient-elles pas en train de s’organiser, voire de conspirer contre nous, sous couvert d’une aimable conversation ? En répliquant dans l’espace d’exposition la situation d’énonciation créée par Ashley Madison – ce qui place le visiteur dans la peau de l’utilisateur piégé – ¡Mediengruppe Bitnik parvient à donner forme à une peur collective, celle de voir les « robots se dresser contre les hommes ». En la matière, le « Jusqu’ici tout va bien… » que répètent en boucle les fembots du CCS n’est pas de nature à nous rassurer : si les « angels » d’Ashley Madison se sont avérées capables d’escroquerie, en violation avec les lois de la robotique énoncées par Isaac Asimov, que nous réservent les créatures artificielles qui peuplent notre environnement ? Jusqu’ici, tout va bien… Mais demain ?
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Les bots ne sont pas des anges
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°695 du 1 novembre 2016, avec le titre suivant : Les bots ne sont pas des anges