Pour sa première exposition de photographies, le Palazzo Grassi explicite le travail du tirage dans la création du célèbre photographe américain.
VENISE - En fin de carrière ou à mi-parcours, nombre de photographes reviennent à leurs archives pour les revisiter. Irving Penn (1917-2009) n’a pas fait exception lorsque, âgé de 50 ans et durant vingt-trois ans, il a replongé dans ses négatifs et sélectionné des clichés pour en réaliser de nouveaux tirages. Il a ainsi exploré des procédés tel le tirage au platine – cher aux pictorialistes et connu pour sa stabilité sans équivalent, la subtilité des nuances et tons de gris que l’on peut obtenir, son coût aussi.
Tireur accompli, Irving Penn le fut toute sa vie et bien avant de devenir le célèbre photographe, icône parmi les icônes dans le domaine tant de la mode ou du portrait que de la nature morte. Penn, le légendaire photographe de studio, a toujours trouvé dans la chambre noire l’accomplissement de sa démarche de créateur. Tout particulièrement entre 1967 et 1990, années durant lesquelles il a régulièrement repris ses images et entamé, également dans cette perspective, en 1972, sa série de cigarettes consumées conçue spécialement pour être tirée au platine.
C’est ce que rappellent Matthieu Humery et Pierre Apraxine, les commissaires de cette exposition qui devrait faire date par son récit porteur de sens, d’émotions et la somptuosité des tirages. S’y intègre la présentation, pour la première fois au public et en forme d’installation dans une salle plongée dans l’obscurité, de dix-sept internégatifs placés dans des caissons lumineux. Supports intermédiaires, les internégatifs permettent de passer d’une image réalisée pour un magazine à un objet photographique. « Ils sont des pièces documentaires sans grande valeur commerciale, précise Matthieu Humery, des pièces que ne détient aucune collection publique ni privée. » Mais qu’une collectionneuse japonaise, Kuniko Nomura, a acquis auprès du photographe dans les années 1980 avant qu’une vingtaine d’années plus tard François Pinault ne lui rachète son lot de cinquante internégatifs couvrant la plupart des grandes séries. Ils permettent, au fil du parcours, face au portrait de Picasso par exemple, de mesurer les manipulations destinées à en faire ressortir l’œil noir, perçant, en jouant sur une gamme de gris veloutée. En comparaison, l’internégatif au monochrome gris étale paraît bien cru dans son image où le moindre détail apparaît.
Ensembles cohérents
Le choix d’Irving Penn pour la première exposition photo de la Pinault Foundation ne doit évidemment rien au hasard, bien que puissent venir plus facilement à l’esprit l’un des grands noms de la photographie contemporaine tels Cindy Sherman ou Hiroshi Sugimoto, également très présents dans la collection. « Irving Penn forme un bel ensemble cohérent dans la partie de la collection consacrée aux auteurs historiques, souligne Matthieu Humery. L’importance qu’il a accordée à la lumière résonne bien avec l’exposition “L’illusion des lumières” [jusqu’au 31 décembre] de Caroline Bourgeois [conseillère artistique de François Pinault]. »
Avec Irving Penn, la collection s’ouvre par ailleurs aux photographes historiques. Le portrait intrigant d’une couple d’enfants de Cuzco (Pérou), en haillon et pieds nus, disposés de part et d’autre d’une table basse, le regard pénétrant, a été la première photographie historique achetée en 2007 par François Pinault auprès de Matthieu Humery, alors que ce dernier dirigeait le département photo de Christie’s à New York. Tout un symbole donc que cette première image de 1948 retirée au platine que l’on retrouve dans le parcours et qui a conduit à l’achat de sa série autour des « petits métiers », puis à d’autres auteurs comme Le Gray ou Atget. Tout un symbole également dans l’histoire du collectionneur que cette exposition, mais aussi dans la démarche artistique du photographe : comme dans la prise de vue pratiquée en studio selon un protocole identique quel que soit le sujet, Penn a traité de la même manière, au tirage au platine ou au sel d’argent, ses différents portraits de célébrités, d’ethnies ou d’anonymes pour rendre encore plus palpable et atemporelle l’élégance, la sensualité ou l’identité propre à chacun.
Commissariat : Matthieu Humery, directeur du département photographies de Christie’s ; Pierre Apraxine, commissaire indépendant
Nombre d’œuvres : 141
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L’élégance selon Irving Penn
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 31 décembre, palazzo Grassi, Campo San Samuele 3231, Venise (Italie)
www.palazzograssi.it/fr
tlj 10h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : L’élégance selon Irving Penn