Le Whitney en 2010

Art américain

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 729 mots

Pas si décevante qu’elle n’y paraît, la Biennale du Whitney pêche par un manque de parti pris.

NEW YORK - Il est des expositions dont la qualité d’ensemble est loin d’être honteuse et qui pourtant ne suscitent guère d’enthousiasme. La 75e édition de la Biennale du Whitney, à New York, est de celles-là. D’emblée, le titre on ne peut plus sobre, « 2010 », évite d’afficher un positionnement curatorial relatif à une quelconque thématique, s’en remettant exclusivement à la marque d’un repère temporel symbolisant l’art américain en train de se faire.

Le critique d’art italien Francesco Bonami et le conservateur du Whitney Museum of Art Gary Carrion-Murayari, qui ont mis en musique cette édition, avancent principalement que :
 « les artistes sélectionnés […] reflètent les diverses réponses à l’anxiété et l’optimisme des deux années écoulées ». L’argument est court, mais la visite laisse toutefois apparaître des questionnements relatifs au modernisme pictural, à l’ambivalence de l’image et à la construction d’identités collectives.

Une première surprise est en effet la présence de la peinture en nombre soutenu, inhabituel dans ce genre de manifestations, même si ce parti pris est dès l’entrée de l’exposition saboté par une informe masse rouge de Piotr Uklanski (Untitled (Red Dwarf), 2010), du même acabit que celles visibles l’été dernier à la Pointe de la Douane, à Venise. Par-delà les références avancées par l’artiste, relatives à l’art brut censé se poser en réaction à la culture bourgeoise, la sculpture constitue une insulte à l’intelligence de l’œil et à l’idée même de discernement.

Technique asiatique
La suite du parcours révèle toutefois d’heureuses surprises, à commencer par les petits tableaux de Lesley Vance, dont les sombres abstractions sur fond noir inspirées de la nature morte du Siècle d’or espagnol induisent des compositions très intimistes, tout en tension et suspension. Chez Suzan Frecon, adepte, elle, du grand format, les formes élémentaires se dissolvent dans le champ coloré tout en entretenant une quête d’équilibre.

Tandis que Tauba Auerbach joue sur l’ambigu en laissant apparaître des impressions de texture et des variations dans la densité des couleurs qui proviennent de la manipulation de la toile. Autant d’expériences qui participent de la formation d’un langage complexe.

À l’opposé de ce spectre, Charles Ray, inattendu dans ce registre, s’essaye au genre pictural avec des motifs floraux multicolores dont l’artificialité questionne le lien à la nature. Un lien toujours exploré par Verne Dawson dans ses compositions allégoriques (Pagans, 2009), alors que, acide, George Condo entretient une dichotomie affirmée entre le corps et son environnement (Integrated Forms (Birman Woods), 2009).

Par ailleurs, les incertitudes relatives à l’époque se trouvent clairement exprimées chez nombre d’artistes jouant de la manipulation de l’image pour distiller le doute dans la définition de ce qui nous entoure et forme un cadre référent.

Les photographies de lotissements de James Casebere ont pour source des maquettes, dont les clichés agrandis se chargent d’une certaine picturalité (Landscape with Houses, 2009). Josephine Meckseper promène sa caméra dans le plus grand centre commercial des États-Unis. Elle en tire un film où l’adjonction d’un filtre rouge à l’image et le recours à une musique menaçante modifient la perception de la culture de la consommation (Mall of America, 2009). Roland Flexner, grâce à son usage particulier d’une technique asiatique de dessin à l’encre, emmène le visiteur dans des paysages qui n’en sont pas.

En outre, si plusieurs œuvres s’intéressent au registre identitaire, au genre, à la question du groupe voire de l’autorité sociale, les films de Jesse Aron Green et de Rashaad Newsome se détachent nettement du lot. L’un, en référence aux travaux d’un physicien allemand du milieu du XIXe siècle, laisse voir des hommes effectuant des exercices physiques sur des socles en bois, dans une liberté contrainte très dérangeante.

Le second a filmé des jeunes hommes exécutant une forme de danse en vogue dans le milieu gay new-yorkais des années 1960, puis a procédé à des coupes et à un montage afin de créer une nouvelle danse aux figures époustouflantes (Untitled (New Way), 2009). Ce faisant, il ne livre pas un témoignage mais la reconstruction d’une forme identitaire à travers la manipulation. La manipulation pour parvenir à la définition, voilà qui pourraient être les maîtres mots de 2010.

2010. WHITNEY BIENNIAL
Commissaires : Francesco Bonami, directeur artistique de la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo per l’Arte, Turin ; Gary Carrion-Murayari, senior curatorial assistant au Whitney Museum
Nombre d’artistes : 55

2010. WHITNEY BIENNIAL, jusqu’au 30 mai, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3600, www.whitney.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-18h, vendredi 11h-21h. Catalogue, éd. Whitney Museum, 264 p., env. 33 euros, ISBN 978-0-300-16242-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : Le Whitney en 2010

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