LENS
Le duo d’architectes japonais a opté pour une intégration du bâtiment dans son territoire, un ancien carreau de mine, fermé en 1960, bordé de ses cités minières. Un écrin qui revendique sa modestie au profit des chefs-d’œuvre qui l’habitent.
Nombre de villes à travers le monde fantasment, depuis quinze ans, sur le Guggenheim de Bilbao. Pas Lens. Son musée sera tout sauf un geste architectural. Au contraire, l’édifice dessiné par les Japonais Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, de l’agence SANAA, en serait même la parfaite antithèse. D’abord, parader n’est pas dans le style du duo nippon. Ensuite, l’emplacement a fait le reste. De forme quasi triangulaire, le terrain, l’ancien carreau de mine n° 9 fermé en 1960, est en effet spectaculaire. Ce terril plat domine, à une moyenne de 4 m de hauteur, les cités minières alentour et leurs maisons de brique rouge.
Un édifice soigneusement fondu dans son environnement
En l’espace d’un demi-siècle, il a été recolonisé par la nature. Si bien que le Louvre-Lens s’installe dans un véritable îlot de verdure, un parc de 20 ha amplement ouvert sur la ville. Bref, un écrin. Que les architectes n’ont pas voulu altérer, glissant l’édifice entre les traces des « cavaliers » – ces voies, jadis ferrées, qui reliaient les puits entre eux – et déployant les différents corps de bâtiment en enfilade, sur une longueur de 450 m. Un attelage muséal d’une surface totale de 28 000 m2 que Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, décidément poétiques, comparent à « des barques sur un fleuve qui seraient venues s’accrocher délicatement entre elles ».
Ces cinq entités alternent transparence et opacité, parois de verre et murs de béton habillés d’aluminium. Au centre, on trouve le hall d’accueil. À l’est, la salle d’exposition permanente dite « galerie du Temps », qui abrite les collections du Louvre, puis le Pavillon de verre, lieu « d’approfondissement des collections ». À l’ouest, la salle d’exposition temporaire – 1 800 m2 –, puis « La Scène », auditorium de trois cents places. À cela s’ajoutent deux « esquifs » autonomes : le restaurant, cylindre de verre planté au bord du chemin d’accès historique du site, ainsi que le bâtiment administratif, un parallélépipède à deux niveaux.
Derrière l’apparente simplicité, les prouesses techniques
L’architecture du Louvre-Lens est des plus sobres. Les volumes d’abord : une suite d’édifices d’une hauteur constante de 6 m – soit inférieure à la ligne haute des arbres – et aux façades imperceptiblement incurvées. Les matériaux ensuite : le verre et l’aluminium anodisé poli. Le premier laisse filer le regard à travers. Le second reflète à l’envi le paysage environnant. Ce qui permet à l’ensemble de se « dématérialiser » davantage. Pour obtenir cette légèreté, les architectes ont eu recours à des techniques sophistiquées. Ainsi en est-il du généreux hall d’accueil – 4 000 m2 –, dont on se demande comment la toiture peut tenir, simplement supportée par une cinquantaine de frêles « allumettes », colonnes blanches d’un diamètre de 14 cm seulement. « Techniquement, explique Louis-Antoine Grego, architecte de l’agence SANAA et responsable du chantier, il devrait effectivement y avoir des contreventements, comme des croix de Saint André ou des murs. Mais nous avons déplacé les forces diagonales dans le plan horizontal et elles se concentrent désormais sur deux points d’ancrage seulement : d’un côté, la galerie du Temps, de l’autre, la salle d’exposition temporaire. Celles-ci ‘‘enserrent’’ la toiture et font, de fait, office de contreventements. »
Autre gageure : la galerie du Temps, salle gigantesque – 120 m x 25 m – sans aucun mur ni poteau, a été rendue possible grâce, notamment, à sa structure constituée d’une multitude de longues et minces poutrelles métalliques en forme de « T », qui strient l’espace dans sa largeur. Un « exploit » qui autorise le déploiement, d’un seul tenant, des quelque deux cents chefs-d’œuvre du Louvre.
Chaque bâtiment arbore ses caractéristiques propres. À l’intérieur du hall d’accueil, une série de « bulles » transparentes (verre) ou opaques (plâtre) délimitent des espaces variés : billetterie, librairie, cafétéria, espace « mécènes »... Au centre, un escalier mène au sous-sol et permet au public d’accéder aux « coulisses » du musée : les réserves et trois ateliers de restauration et de préparation des œuvres, visibles à travers de larges baies vitrées.
La galerie du Temps, habillée d’aluminium, est la pièce maîtresse du Louvre-Lens. Son sol en béton gris perle suit l’inclinaison naturelle du terrain. Le visiteur remonte ainsi le temps – de 3 500 avant J.-C. jusqu’au milieu du XIXe siècle – en descendant une pente à 0,3 %. Œuvres d’art obligent, la lumière naturelle qui traverse la verrière est régulée par une série de caillebotis intérieurs en aluminium et par des « vantelles » extérieures, panneaux mobiles qui s’ouvrent et se ferment en fonction de l’intensité des rayons solaires.
Le Pavillon de verre, qui accueille trois « bulles » opaques – des cabinets d’art graphique –, offre, lui, de splendides vues sur le parc. À l’est, on distingue l’un des « monuments » de la ville, le stade Bollaert, résidence du Racing Club de Lens. Au nord, se détachent deux impressionnantes
silhouettes, sombres et coniques : les terrils houillers des fosses n° 11 et n° 19 de Loos-en-Gohelle, les plus hauts d’Europe avec, respectivement, une altitude de 182 et 184 m. Si l’on devine déjà quelques « bosses » qui serviront de banquettes naturelles, appelées joliment « canapés d’herbe », il faudra néanmoins attendre un peu avant de voir à leur meilleur les « champs d’herbe haute », les « venelles en herbe rase » et autres « jardins miniatures » imaginés par la paysagiste Catherine Mosbach. L’invitation à flâner n’en sera alors qu’accrue.
Durée des travaux : du 4 décembre 2009 au 4 décembre 2012, date de l’inauguration officielle.
Ouverture au public : 12 décembre 2012.
Coût des travaux : 150 millions d’euros (région Nord Pas-de-Calais 88 millions autres financements [Europe, dépar-tement...] 50,5 millions mécénat 11,5 millions).
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Le Louvre-Lens - L’antigeste architectural
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Le Louvre-Lens - L’antigeste architectural