Multimédia

L’art du volume

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 1 août 2007 - 636 mots

Entre son et images, entre Fluxus et pop art, punk et underground, Christian Marclay hausse le volume.

 Paris - Écouter les images et voir les sons… c’est un peu le défi synesthésique que Christian Marclay s’est donné depuis les années 1980. Pour ce Californien élevé en Suisse et installé à New York, la musique, et plus exactement le son, constitue un matériau plastique à manipuler, distordre, « séquencer », découper, décupler, imager… sans limites. Reconnu dans le milieu underground de la musique comme dans celui de l’art, DJ expérimental et artiste plasticien, Marclay est actuellement exposé au Musée de la musique à la Villette, à Paris. La commissaire de l’exposition, Emma Lavigne, a pris le parti de ne montrer que les installations vidéo de l’artiste, délaissant les assemblages réalisés à partir de multiples pochettes de disque ou les « colliers » de vinyles géants.
À 52 ans, Christian Marclay est un artiste hybride exclusivement nourri de son. D’entrée, dans cette exposition intitulée « Replay », il nous le démontre avec une vidéo où ce discophage invétéré se met à dévorer sans fin des galettes de vinyle (Fast Music, 1982). À écouter mais aussi à voir, ce film apparaît comme un clin d’œil aux années glorieuses du punk rock des années 1970-1980, à l’underground new-yorkais avec Glenn Branca, Lydia Lunch, et quelques autres musiciens brillamment survoltés. Un peu plus loin, sur moniteur toujours, une colonie de jeunes excités s’emploie à détruire du vinyle par tous les moyens (Record Players, 1984). Pas de quoi s’affliger, mais il faut tendre l’oreille : c’est le son qui est libéré de son carcan. Et les guitares, objets cultes du musicien, sont elles-mêmes lynchées dans cette sarabande artistique. Une Solid Body, comme dans un Western d’une autre époque, est ligotée à un camion et traînée à travers les routes du Grand Canyon (Guitar Drag, 2000). Son agonie a une belle résonance. On peut aussi reconnaître là l’esprit des performances orchestrées par Fluxus. Body art et violence contenue : Nam June Paik et John Cage ne sont pas loin. Marclay est constitué de toutes ces influences ; il a aussi séjourné en pays helvète et a participé à la libération plastique instituée par le fameux groupe Ecart, réuni autour de John M. Armleder.
C’est cet esprit qui imprègne les salles de cette exposition que l’on peut se rejouer en boucle. Toute une géographie sonore qui se déploie sur deux étages pour un « Replay » à la qualité plastique indéniable. Seul bémol : on peut manquer certaines salles tant la présentation pêche par sa signalétique.

Suspense
Autres supports sonores affectionnés par Marclay : la bande magnétique bien sûr, mais surtout la pellicule filmique avec ses impressions, sa densité, ses cicatrices thermiques. L’artiste utilise les archives du cinéma et nous convie à des concerts d’un nouveau genre. Avec Telephones (1995), ce sont les sonneries de téléphone de toutes époques qui ont été soigneusement prélevées dans la mémoire cinématographique (Telephones, 1955). L’installation Video Quartet (2002) convoque quant à elle sur quatre écrans géants les séquences filmiques dans lesquelles interviennent des instruments de musique. Et dans cette arythmie, entre douceur et violence, Marclay continue à nous surprendre. Au détour d’une salle, le visiteur se trouve entouré de projections vidéo. Après quelques instants de suspense et d’inquiétants cliquetis, il devient la cible d’un déferlement de balles. Il est l’innocente victime de tous les malfrats, bandits, cow-boys vengeurs et autres guerriers belliqueux de l’histoire du cinéma. Une étrange séduction s’opère. Le visiteur se laisse aussi captiver par les mélodies de la salle d’écoute et de lecture où toutes les œuvres de Christian Marclay sont consultables. Une fois la visite terminée, on peut appuyer sur « Replay » et monter le son.

Christian Marclay, Replay

Jusqu’au 24 juin, Cité de la musique, Musée de la musique, 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 44 84 44 84, du mardi au samedi 12h-18h, dimanche 10h-18h. Cat., 176 p., 32 euros.

Marclay, Replay

- Commissaire de l’exposition : Emma Lavigne, conservatrice au Musée de la musique - Nombre d’œuvres : 9 installations et projections vidéo

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°261 du 8 juin 2007, avec le titre suivant : L’art du volume

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