Deux parents artistes et célèbres en leur temps, une enfance passée dans une communauté d’artistes... l’héritage était lourd pour le jeune Martin Szekely.
Après la période salutaire de la rébellion, quelle volonté et quelle discipline ne lui a-t-il pas fallu avoir pour s’en arracher et s’affirmer dans le monde du design, un monde dangereusement proche. Cependant le design est une pratique à l’opposé du geste artistique, dans lequel ce n’est plus la pièce unique et originale qui prime mais l’humilité devant l’usage de l’objet fait en série. Encore aujourd’hui Szekely est un mélange de passion et de ténacité. Après vingt années d’expériences diverses et la venue du succès, son langage est désormais décidé, presque péremptoire. Sa démarche est à la fois très mentale et pragmatique,
rien n’y est laissé au hasard.
L’exposition-rétrospective au Grand Hornu en Belgique en 1998 marque la fin d’une époque, fait le bilan des recherches faites sous l’emprise de la suprématie du dessin. C’est en exécutant le célèbre verre Perrier qu’il prend conscience de sa volonté d’abandonner toute idée de style. Il décide de viser l’essentiel, l’économie de moyens : « Un design sans dessin, la séparation de l’objet et de sa gestation. » Il applique désormais cette attitude dans ses deux champs d’action privilégiés : le travail nommé « intimiste » et le travail de commande. Intimiste est celui qui n’est pas le fruit d’une commande, dans lequel il peut développer et faire librement la démonstration de ce refus du dessin. Comme par exemple les Plats ou son collier sécable pour Hermès, ou sa récente armoire.
Quant au travail de commande, vraie définition du design industriel, il l’a déjà abordé avec le mobilier urbain pour Decaux ou le seau et rafraîchissoir à champagne pour Dom Perignon. La prise en compte des utilisateurs est alors primordiale : « Il n’y a pas d’objets sans gens. Les objets sont des médiateurs entre ces gens. » Ils doivent être de première nécessité et leur usage, visible au premier regard. Sinon quel besoin existe-t-il de produire autant d’objets ? Son travail consiste donc à faire l’inventaire de ces objets nécessaires, de les rendre évidents, familiers. « J’utilise des composantes volumiques qui appartiennent à tout le monde : la sphère, le cône, le plan, la ligne droite... avec l’ambition de faire des lieux communs au sens généreux du terme, dans lesquels les gens se retrouvent et s’approprient l’objet parce qu’il leur semble qu’il leur appartient. » Plus de dessin donc, mais un seul matériau « avec lequel on va directement au résultat », comme le dit son complice Christian Schlatter.
Parmi cet inventaire, Szekely a choisi une armoire et ces nouveaux plats qui seront présentés, avec une table en multiplis de bois de bouleau, dans le nouvel espace de la galerie Kreo. Tous ont en commun l’unicité de leur fabrication et la modestie de leur méthode. Ils sont d’un seul tenant, sans aucun assemblage ni composants disparates astucieusement réunis. L’armoire, proche du procédé de l’origami japonais, est comme une simple boîte en carton que l’on déplie. Elle est faite d’une fine feuille composée de trois strates (aluminium-plastique-aluminum), qui est ensuite découpée et perforée jusqu’à ce que la forme finale soit obtenue par pliage. Les plats en verre reprennent le procédé « mistral », inventé par Gaetano Pesce, mais traité à l’envers. Szekely utilise le processus du décalage, de « très légers petits déplacements du regard sur des choses que l’on connaît déjà, pour voir ainsi différemment » comme l’armoire dont l’intérieur est coloré et l’extérieur gris. Les plats, qui ont l’intérieur lisse et l’extérieur rugueux, sont de la couleur naturelle du verre changeant selon son épaisseur, et ont des formes aléatoires. La matière est devenue reine.
PARIS, galerie Kreo, jusqu’au 30 septembre.
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La ténacité de Martin Szekely
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°519 du 1 septembre 2000, avec le titre suivant : La ténacité de Martin Szekely