« J’ai appris la photographie avec un chien. C’était la nuit, ou plutôt les nuits.
Il m’en a fallu tant pour percer le soir et discerner les ombres. J’ai appris la photographie avec lui qui ne disait rien, mais qui voyait tout. » Ces mots datent de l’automne 2008, et ils nous avaient frappés autant que les photographies qui suivaient… Leur auteur, Jean-François Spricigo, était alors méconnu en France. Or, c’est tout un univers qui se découvrait, peuplé de chiens, de chevaux, d’oiseaux, d’enfants, de visages et de silhouettes à l’équilibre fragile. Le regard de chacun partageait la même candeur, curiosité ou gravité ; le mouvement perturbait la netteté de l’image ; et le noir et blanc, par ses contrastes subtils, modulait une palette de gris qui ne l’étaient pas moins.
Lauréat du prix de la photographie de l’Académie des beaux-arts, le jeune photographe belge bénéficiait d’une exposition au Palais de l’Institut de France. Dans le hors-série de la Revue des Deux Mondes qui lui était alors consacré, les textes d’Anne Biroleau, de Robert Delpire et de Marcel Moreau l’accompagnaient sur le devant de la scène tandis qu’en coulisse, Renate Gallois Montbrun, l’agent de Sarah Moon, et Agathe Gaillard l’épaulaient à leur manière. Quelques mois plus tôt, son arrivée à la galerie Agathe Gaillard avait donné lieu à une première présentation de son univers fait de photographies et d’écrits. La précision du langage, sa poétique n’étaient pas un effet de style. L’écouter parler fait entendre le même type de formulation, la même attention portée au mot prononcé et à la musicalité de la phrase. Ce soin porté à la langue française remonte à l’adolescence, bien avant la formation à la photographie à Saint-Luc à Tournai puis à l’Institut supérieur des arts à Bruxelles. La langue française « a été un refuge », dit-il, quant à Desproges et Brel, les fondamentaux d’une émancipation comme l’a été plus tard Marcel Moreau – auquel Spricigo a dédié son dernier ouvrage : oraison sauvage. « Jean-François a fait sienne ma devise, disait l’écrivain belge, décédé en avril 2020 : se dépasser pour s’atteindre […]. Quand je dis se dépasser pour s’atteindre, lui dépasse le visible, non pas pour atteindre l’invisible mais pour atteindre le substrat du visible. Le visible qui n’a pas été trafiqué, rendu factice par la vie ou la modernité, la technologie, etc. »
Treize années se sont écoulées depuis « anima » à l’Institut de France. Treize années au cours desquelles clips vidéo réalisés pour Albin de la Simone ou Alexandre Tharaud l’ont amené à élargir son mode d’expression tandis que la photographie, « journal intime que je n’ai jamais écrit », distille par bribes « le carnet de voyages de l’aventurier des songes » qui n’a rien perdu de son éloquence, de sa fluidité, ni de son caractère intime. Aux éditions Le Bec en l’air et à la Galerie Camera Obscura, oraison sauvage poursuit de conter sa manière d’être dans la vie, d’aimer et de rentrer en empathie avec les êtres et les paysages qui l’entourent, ou qu’il rencontre.
Au CentQuatre, le spectacle si l’orage nous entend voit Jean-François Spricigo monter sur scène, interpréter son propre texte, prolongation de à l’infini nous rassembler, spectacle donné en 2018 avec Anna Mouglalis comme partenaire. Car depuis anima, Jean-François Spricigo a trouvé dans le théâtre un autre moyen d’exprimer la teneur et l’atmosphère de son monde.
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Jean-François Spricigo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°750 du 1 janvier 2022, avec le titre suivant : Jean-François Spricigo