NANTES
Initiateur des Allumées et du Lieu Unique, passeur exigeant et efficace, Jean Blaise, est le moteur de l’action culturelle de la ville de Jean-Marc Ayrault.
Agglutinés sur le quai des Antilles, des dizaines de jeunes gens papotent, un verre à la main en cette belle soirée de juin, devant l’exposition de Roman Signer. À l’intérieur, dégaine d’adolescent et moue malicieuse, Jean Blaise passe de groupe en groupe. Debout sur le sol en béton ciré de la galerie du Hangar à bananes, il parle avec moult gestes, serre des mains et claque des bises. Rares sont ceux qui, à Nantes, ne connaissent pas l’ancien patron des « Allumées », du Lieu Unique et de la Biennale Estuaire, aujourd’hui à la tête du Voyage à Nantes. Impossible d’échapper à Jean Blaise. Il a creusé son sillon dans toutes les friches, théâtres et MJC des Pays de Loire depuis 1982. À Nantes, trente ans d’actions culturelles menées tambour battant ont eu raison de la réserve toute bourgeoise de la ville préfecture. L’ex « belle endormie » est aujourd’hui bel et bien réveillée. Place du Bouffay, le cœur de la ville, les terrasses de café sont noires de monde en cette fin de journée pré-estivale. Malgré la présence un rien inquiétante de cette façade de maison Mansart signée Leandro Erlich défiant les lois de la gravité perchée au sommet d’une échelle.
C’est lui, Jean Blaise, le prince charmant qui a réveillé la Belle au Bois dormant du Pays breton. Tout a commencé en mars 1989. Jeune conseiller général de Loire-Atlantique et maire de Saint-Herblain de 39 ans, Jean-Marc Ayrault, enlève la mairie de Nantes dès le premier tour. Le fringant premier magistrat s’emploie aussitôt à redonner quelques couleurs à sa nouvelle conquête qui s’étiole depuis la fermeture de ses chantiers navals et de son usine LU. Dans l’équipe du nouvel homme fort se glisse un homme à la silhouette discrète et au sourire en coin, Jean Blaise, que le maire côtoie depuis six ans à Saint-Herblain. Devenu le patron du Centre de recherche pour le développement culturel (CRDC), une structure itinérante qui sillonne la région en embarquant les populations dans des fêtes sans fin, il est appelé en renfort au Festival de Saint-Herblain.
Un saltimbanque audacieux
Là, il fait venir tous les artistes qui comptent dont Zingaro et la toute jeune compagnie Royal de luxe qui plante des voitures dans les arbres, et crée des spectacles qui déménagent comme l’inoubliable demi-finale du Water Clash. C’est l’euphorie. Élu maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault décide de miser sur la culture pour redonner « de la pêche » à sa ville. Main dans la main avec le patron du CRDC, il décide de créer un festival, « les Allumées » lancé en 1990.
« C’est moi qui ai inventé ce nom. Lui trouvait que c’était un peu “trop ”. Mais, on en a beaucoup discuté ensemble », lance Jean Blaise, l’air goguenard derrière ses grosses lunettes à la Woody Allen.
L’homme n’est pas à l’abri des contradictions. Saltimbanque, épris de voyages et d’exotisme, il est depuis trente ans arrimé à la même ville et au même homme, le député-maire de Nantes. Ancien étudiant en lettres, lecteur assidu de Céline, Proust et Bukowski, c’est la littérature qu’il « place au-dessus de tout ». Il opte pourtant pour le théâtre qu’il considère comme « foutu » et s’emploie à créer des univers métissés faits d’errances et de rencontres.
Fils d’un lorrain qui dirigeait une succursale de banque à Blida, il quitte l’Algérie en 1962 pour se réfugier à Bordeaux avec ses parents et ses quatre frères. C’est là qu’il découvre, médusé, chez un copain de lycée, fils de l’écrivain Roger Rabiniaux, l’univers enchanté de la culture. « Cela a été une illumination. Les murs de cette maison étaient tapissés de livres. Je découvrais une maison où on lit. Le premier livre que je prends par hasard dans cette bibliothèque de rêve est Au-dessus du volcan de Malcolm Lowry. Des disques de musique classique et de jazz traînaient partout. », se souvient Jean Blaise ému. Il retiendra de cette rencontre l’importance cruciale du rôle de passeur.
À Nantes, ses belles « Allumées » tout juste débarquées de Barcelone, Saint-Pétersbourg, Naples et Buenos Aires, embrasent la ville pendant six jours et six nuits. Plus de 100 000 personnes assistent en 1992 à l’arrivée du cargo 92 et à la parade colorée de Royal de Luxe. Chaque année pendant six ans, il invite des artistes de toutes les disciplines venus de métropoles fleurant bon l’air du large. L’art s’introduit dans la rue et dans les appartements. On parle l’espagnol, l’anglais ou l’italien et on danse le rock ou le tango dans les rues. Pour s’épargner l’usure du temps – une préoccupation chez lui très présente – il se fixe un terme, six ans, la durée d’un mandat.
« C’était fantastique, lors de la soirée d’ouverture des Allumées, de voir tous ces gens se diriger comme des fourmis vers l’île de Nantes. C’est étonnant comme l’art peut faire bouger les gens. Malheureusement, la majorité d’entre nous vit et meurt sans avoir connu cette expérience », poursuit le médiateur culturel qui s’emploie à inoculer le virus à la population. Première victoire du communicant et du passeur : en six ans, l’image de la ville s’est métamorphosée et rajeunie et les Nantais se sont pris au jeu de l’art et de la fête.
Le Lieu Unique, le temple
Après « les Allumées », ce sera « Fin de siècle » que lui réclame Jean-Marc Ayrault. En échange, Jean Blaise négocie la direction d’un nouvel espace culturel : l’ancienne biscuiterie LU. Éternel nomade, Jean Blaise a envie de se poser dans cette ancienne friche où il pourra imprimer sa marque. Un lieu de vie qui facilite l’accès à la culture et à l’art. Un lieu tendu vers l’innovation, l’expérimentation et la transversalité : théâtre, danse, musique, arts plastiques, littérature, design et architecture. Le Lieu Unique ouvre ses portes au public le 31 décembre 1999. « Il voulait que ce soit le dernier grand chantier du siècle. Il est très fort en communication », susurre Astrid Gingembre, directeur de projet au Voyage à Nantes, qui ne tarit pas d’éloge sur les qualités « d’écoute » et de management de son patron. Dans le temple du Lieu Unique, il choisit volontairement d’introduire des nourritures terrestres : un restaurant, un bar et un hammam. Fidèle à l’esprit du discours de Malraux sur les Maisons de la culture, il s’applique à tenir grandes ouvertes les portes de la Culture. Il crée des expositions gratuites, et ouvre une crèche pour le personnel et les gens du quartier.
Lors de l’ouverture, le premier janvier 2000, les Nantais sont invités à venir déposer chacun un objet de leur choix qui symbolisera le siècle écoulé. Consignés dans ce Grenier du siècle érigé en bord de Loire, ces milliers d’objets, « témoignage de ces vies minuscules », seront redécouverts en 2100. Une nouvelle tentative pour cet angoissé, hanté par la fuite du temps, d’en suspendre le cours ? Au Lieu Unique, les spectacles s’enchaînent à un rythme effréné. Ils sont formatés et proposés au visiteur en modules d’un quart d’heure.
« C’est de la culture zapping, s’emporte Pierre Roba, directeur de la Compagnie nantaise La Tribouille. Jean Blaise a été longtemps novateur, mais il s’est par la suite trop souvent plié à une règle d’or de nos sociétés : le jetable. Le rôle de l’art n’est-il pas de montrer qu’un autre monde est possible ? »
Au Lieu Unique, le pari de l’ouverture semble difficile à gagner. « Il a fallu aller chercher le public, que les gens s’approprient le lieu, certains nous reprochaient d’avoir bâti un lieu fermé et bourgeois », confie Astrid Gingembre. Malgré de bons chiffres de fréquentation – 490 000 visiteurs en 2006 – la déception est là : les espaces de spectacles, de théâtres et d’expositions peinent à s’ouvrir à un public nouveau. Notre passeur en est désormais convaincu : pour toucher le plus grand nombre, l’art doit sortir dans l’espace public.
C’est ce à quoi il s’emploie avec Estuaire, une biennale d’art contemporain née en 2007. La lettre de mission des maires de Nantes et de Saint-Nazaire est claire : créer un événement culturel qui symbolise la relation de proximité entre les deux villes. Jean Blaise mise aussitôt sur les arts plastiques, sa nouvelle passion depuis sa découverte de l’exposition La Beauté en Avignon. Conseillé par Jean de Loisy, il jalonne d’une quarantaine d’œuvres, réalisées in situ, les 60 kilomètres reliant Nantes à Saint-Nazaire. « Nous avons travaillé avec des artistes internationaux comme Daniel Buren et Erwin Wurm qui devaient, à partir d’une question locale, apporter une réponse universelle », poursuit Jean Blaise qui se découvre un nouveau terrain de jeu – la rencontre avec les artistes –… et de nouvelles contraintes liées à l’occupation du domaine public. « Tout doit se négocier avec le politique, c’est un équilibre à trouver. À Nantes, nous avons réussi à infuser la culture parce qu’il y avait une connivence entre les artistes, le médiateur et le politique ». Il est vrai que l’attelage fonctionne plutôt bien entre un politique, Jean-Marc Ayrault, qui comprend l’action culturelle et un animateur, Jean Blaise, qui comprend la politique.
Le Voyage à Nantes
En 2010, le député-maire de Nantes confie une mission à son ami : donner plus de visibilité à la destination touristique nantaise en s’appuyant sur l’effervescence culturelle de la métropole. Une nouvelle structure, unique en France, le Voyage à Nantes, est créé début 2011, et rassemble le château, les Machines de l’île, l’Estuaire, le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, l’HAB gallery et l’Office de tourisme. Une seule politique, une seule stratégie et une seule communication. Les dents grincent et trois têtes tombent dans les milieux culturels nantais. L’opposition municipale raille « le fait du prince » et « les copains d’abord ». La dernière machine de Jean Blaise a pris son envol cet été. « La Ville renversée par l’art », un parcours foisonnant, en quarante étapes reliées par un fil rose à travers des lieux de culture et de patrimoine, a investi la ville pendant deux mois. L’objectif ? Faire de Nantes l’une des cinq destinations françaises les plus fréquentées. « Un euro public investi dans une manifestation culturelle doit engendrer trois à six euros de retombées », rappelait, plus prosaïque, Jean-Marc Ayrault dans son discours d’inauguration du Voyage à Nantes. Les critiques dénoncent « une ville manège », un « grand Luna Park ». Jean Blaise, rétorque, un peu blasé, qu’il s’agit au contraire de promouvoir un tourisme noble. « Ce ne sera pas du divertissement. Nous voulons attirer des visiteurs en leur montrant ce que l’on a de plus beau et de plus fort à Nantes. »
1951 Naissance à Alger - Directeur d’un centre culturel à Bordeaux
1980 Directeur d’un centre culturel en Guadeloupe
1982 S’installe à Nantes pour bâtir une Maison de la culture
1990 Créateur du Festival des « Allumés » à Nantes
1997 Créateur du Festival « Fin de siècle » à Nantes
2000-2010 Directeur du Lieu Unique à Nantes
2002 Directeur artistique de la première Nuit Blanche à Paris
2007 Commissaire d’Estuaire 2007
2011 Directeur général du Voyage à Nantes
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Jean Blaise - Directeur général du Voyage à Nantes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Jean Blaise - Directeur général du Voyage à Nantes