Exposé cet été à Saint-Malo, Royan, et La Rochelle pour une rétrospective, le discret Jan Voss fait l’objet d’une nouvelle monographie.
Son atelier est caché au fond d’une impasse, tout au bout d’une allée privée. Des enfants font de la patinette. Des adultes bavardent en sirotant un café devant leurs maisons. « Voss », un Post-it jaune collé de guingois sur la porte d’un ancien immeuble industriel signale que nous sommes arrivés à destination.
Une tête dégarnie émerge de l’embrasure de la porte. « Vous auriez dû rentrer. C’était ouvert », susurre Jan Voss d’une voix douce et flûtée. Les yeux bleus espiègles pétillent derrière les lunettes ovales. À l’entrée de son vaste et lumineux atelier abrité sous une immense verrière, trône un grand tableau au titre énigmatique : Harsch Critic (« Critique sévère »). Quelques mots griffonnés (« Enfantin », « rigolo », « ennuyeux ») tentent de se frayer un chemin au milieu de personnages, d’animaux, d’aplats de couleurs et de lignes sinueuses et insaisissables. « C’est une synthèse heureuse et sûre d’elle-même, une œuvre pleine d’autorité, de grâce et d’humour », note la critique d’art Anne Tronche en évoquant cette peinture de 2014.
Comme Harsch Critic, plusieurs dizaines de tableaux, dessins et assemblages attendent, adossés au mur, d’être embarqués vers leurs escales estivales, en Bretagne à Saint-Malo, à Royan et La Rochelle (Charente-Maritime), où se tiendront respectivement des expositions et une rétrospective de Jan Voss baptisée « Toutes voiles dehors ! ».
Un alphabet fantaisiste
C’est à proximité de la mer du Nord, à l’embouchure de l’Elbe que Jan Voss a vu le jour en 1936 dans la famille d’un médecin.
« Certains matins à Hambourg, j’entendais, alors que j’étais encore au lit, les yeux fermés, j’entendais les longues plaintes graves des bateaux aveugles qui remontaient l’Elbe vers le port. Je savais qu’il y avait du brouillard, non, j’étais sûr de voir le brouillard, les yeux toujours fermés », se souvient-il dans ses Mémoires publiées en 2006 (À la couleur, éd. Mercure de France) .
La veille du baccalauréat, il prend la poudre d’escampette et gagne la Turquie. « J’étais un jeune homme très immature. J’étais toujours en opposition », lance-t-il. C’est à Istanbul et dans des villes et villages d’Anatolie que Jan Voss réalise, en 1955, ses premières œuvres, des aquarelles aux tons clairs et dilués. De retour d’escapade, il s’inscrit à l’Académie des beaux-arts de Munich où il passera cinq années. Dans l’atelier d’Ernst Geitlinger, un peintre et un esprit non conformiste, il apprend à écouter sa voix intérieure et commence à inventer son univers.
Diplôme en poche, il décide de s’installer à Paris, séduit par l’effervescence artistique et la bonhomie de la capitale. « Ma surprise, ce fut de voir des curieux ou des clients, venant du marché de Buci avec leurs filets remplis de légumes et de fruits, entrer avec le plus grand naturel dans les galeries de peinture de la rue de Seine pour regarder les tableaux abstraits. » Il s’installe rue des Abbesses avant de rejoindre un dépôt à Gentilly dont il assure la garde contre l’hébergement. Là, à l’écart du monde, il peint tâtonne, cherche son style et commence à créer son alphabet imaginaire et fantaisiste. Il dessine de son écriture nerveuse des figures sautillantes. Des sortes d’apparitions jaillissent sur le papier, donnant naissance à des scènes cocasses ou saugrenues. La bande dessinée et le dessin d’enfant affleurent dans ces espaces, associant peinture, crayon et craie, qui se croisent et se télescopent. L’impression de flottement et de mystère est renforcée par les titres décalés de ses tableaux.
Vers une stylisation des formes
Sur les bords de Seine, il retrouve Lourdes Castro et René Bertholo rencontrés à Munich. Ces deux artistes d’origine portugaise viennent de créer une revue au nom étrange, KWY, aux travaux de laquelle il s’associe. Il fait la connaissance de Pol Bury, d’André Balthazar, d’André Pieyre de Mandiargues et de Pierre Alechinsky. Sociable, il sait aussi établir une distance pour préserver sa tranquillité. « C’est un homme discret et d’une grande sensibilité. C’est aussi un taiseux, il se protège terriblement », observe Anne Tronche, qui vient de lui consacrer une monographie (éd. Hazan).
En 1964, il commence à exposer dans des salons. Viviane Forrester, qui tient une galerie avenue de l’Opéra, la galerie du Fleuve, le repère et lui offre sa première exposition personnelle. Cette même année il s’embarque dans l’aventure des « Mythologies quotidiennes » et se retrouve un temps associé à la Figuration narrative. À l’étranger, les expositions personnelles s’enchaînent, à Copenhague, New York, Milan et Munich. « L’ambiance guillerette et inoffensive de ses récits morcelés » (Anne Tronche), ses images flottantes et son vocabulaire « versatile et joyeux » séduisent galeristes et collectionneurs.
Au début des années 1970, un tournant s’amorce. Place au rythme. Les attributs anecdotiques disparaissent, les formes figuratives deviennent plus stylisées. « Un monde d’une poésie nouvelle sans pesanteur, racontant des déboires et des liesses, des passions et des écarts de conduite se constitue », relate la critique d’art. Pour nourrir son inspiration, ce bricoleur, doux et rêveur, tente des expériences. Il trempe des bouts de papier attachés à des ficelles dans de la peinture et les repêche pour examiner le résultat. Il plie des feuilles en s’efforçant de leur donner du relief.
Humour et pirouettes
En 1977, aux côtés de Shukuko Tabé, sa compagne qui deviendra son épouse, il découvre le Japon. Il se passionne pour l’art raffiné du pays du Soleil-Levant et pour la calligraphie. Ses tableaux se couvrent alors d’un lacis de lignes emmêlées et de taches colorées. « Dès qu’il rencontre l’ennui, dès qu’il l’effleure, Jan Voss bifurque », s’amuse son marchand, Jean Frémon (Galerie Lelong).
En 1978, il reçoit les honneurs de l’ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris, qui lui consacre une rétrospective.
Yves Michaud, qui a côtoyé Jan Voss à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris du temps où il en était le directeur, salue « sa petite musique », sa capacité à se renouveler mais aussi son « sens de l’humour et des pirouettes ». Refusant tout enfermement dans le connu, toute route tracée, il ne cesse d’expérimenter. À partir du milieu des années 1980, il s’essaye aux collages. « Il cherche à briser la continuité de son écriture picturale. » Pour cela, il recourt « à des antipuzzles » pour faire naître une « nouvelle cohérence », analyse Anne Tronche.
« Quand on a découvert une nouvelle pratique et qu’on la maîtrise, on en devient un peu prisonnier. Cela devient un truc, une façon de créer qui me déplaît. Il m’est impossible de travailler à partir d’un modèle que j’ai en tête. C’est pour cela que j’aime déchirer le papier, abîmer les pièces », explique Jan Voss d’une voix calme et déterminée. À la fin des années 1980, il se lance dans les assemblages puis s’attaque, dix ans plus tard, à la sculpture. Les siennes sont réalisées à l’aide de planches de bois, de cageots, de carton et de treillis métallique récupérés. Ces enchevêtrements de formes mutiques ressemblent à des kaléidoscopes. Avec le même étonnement et le même émerveillement naïf, Jan Voss travaille souvent deux ou trois œuvres de concert. Il crée des céramiques, des estampes. Fait équipe avec des poètes et des écrivains comme Jacques Dupin, Peter Handke, Jean-Christophe Bailly et Bernard Noël pour réaliser des livres d’artistes. « Son œuvre est une constante réflexion sur le pouvoir des formes et des matériaux, sur la façon dont les différents éléments s’enrichissent continuellement en trouvant des jonctions antithétiques », observe Anne Tronche.
Célébré en France et dans quelques pays d’Europe, Jan Voss n’est aujourd’hui plus dans les écrans radar, lance un marchand d’art. Comment expliquer que son rayonnement international se soit peu à peu estompé au fil des décennies, que l’artiste n’ait pas été exposé dans des musées de premier plan ? « Il est trop discret. Ce n’est pas un artiste qui fait le forcing. Si on veut être connu, il faut être rentre-dedans à la manière de [Markus] Lüpertz », indique Yves Michaud. « C’est un homme excessivement modeste, il ne se fait pas valoir, note de son côté Jean Frémon. Il n’aime pas l’autopromotion, ne fait jamais de rodomontades. Quand il pratique l’humour, c’est par-dessous, jamais avec l’idée de briller. »
1936 : Naissance à Hambourg, en Allemagne.
1955-1960 : Études à l’Académie des beaux-arts de Munich.
1960 : S’installe à Paris.
1978 : Expose à l’ARC-Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
1981 : Rejoint la galerie Adrien Maeght.
1987-1992 : Enseigne aux Beaux-Arts de Paris.
1987 : Intègre la Galerie Lelong.
2002 : Exposition monographique au Musée des beaux-arts de Dunkerque.
Été 2015 : Expose à La Rochelle (espace Encan), Royan (Centre d’arts plastiques) et Saint-Malo (chapelle Saint-Sauveur). Parution de Jan Voss, éd. Hazan, coll. « Monographie ».
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Jan Voss - Artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Jan Voss - Artiste