Avec l’essor du street art au tournant des années 2000, est venu l’inventaire de ses précurseurs.
Parmi ceux qui lui ont ouvert la voie, un nom revient avec constance dans la bouche des artistes urbains poussés à l’orée des années 1980, mais aussi, ce qui surprend davantage, dans les rangs du graffiti : celui de Gérard Zlotykamien. Plus opaque au grand public qu’Ernest Pignon-Ernest ou Blek le rat, l’artiste français, 80 ans en 2020, affiche une antériorité absolue en matière d’interventions in situ : ses premières figures vacillantes, bien nommées « éphémères », il les a tracées à la bombe aérosol ou à la poire à lavement sur les murs de Paris dès le milieu des années 1960, pour les disséminer ensuite du trou des Halles au Marais en chantier, puis en Allemagne ou au Cap. À l’époque, le graffiti est tout juste en gestation outre-Atlantique, et les œuvres créées sans commanditaire dans l’espace public sont rarissimes. Zloty, comme l’appellent ses aficionados, est un franc-tireur, n’appartient à aucune chapelle, ne défend aucun dogme, et présente, de l’aveu de sa galeriste Mathilde Jourdain (Mathgoth), bien des « zones d’ombre ».
Contre La Censure -
Son échappée précoce et singulière hors les murs doit en partie à un événement : sa participation en 1963 à la troisième Biennale de Paris, alors qu’il a 23 ans. Autodidacte venu à la peinture sous la tutelle d’Yves Klein, son professeur de judo, il y investit les anciens abattoirs de la Villette avec Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Mark Biass, Mark Bruss, Jorge Camacho et Pierre Pinoncelli. Là, il découvre la censure : les quatre portraits de dictateurs présentés par Arroyo font scandale et sont bientôt bâchés pour ne pas entacher les relations de la France avec l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar. Pour Zlotykamien, juif d’origine polonaise, dont certains membres de la famille ont péri dans les camps, ces bâches signent un divorce durable avec le monde de l’art. Puisqu’on étouffe au dedans, c’est dehors qu’il ira peindre. En toute liberté donc, quitte à en payer le prix, au gré de condamnations et d’amendes.
Du reste, un tel choix sied bien à un artiste hanté par la disparition. Quand il ne livre pas ses éphémères à la ville, Zlotykamien les dissémine sur divers rebuts (matelas trouvés dans la rue, cernes de bois…) ou les brûle pour enfermer leurs cendres dans des bocaux – certains d’entre eux seront exposés à partir du 18 octobre à la Galerie Mathgoth. Sans doute faut-il y voir l’empreinte de l’Histoire, de la Shoah et d’Hiroshima, mais aussi l’influence d’Yves Klein, dont il partage l’attrait du vide et cette façon particulière d’approcher la peinture comme un art martial. « Lorsqu’il peint en extérieur, il est concentré comme un sportif de haut niveau, rapporte Mathilde Jourdain. Son intervention est minimale, il est sûr de lui et de son trait, qu’il exécute sans esquisse préalable. »
Il y a aussi chez Zlotykamien quelque chose du Bartleby de Melville : une sorte de retrait qui l’a longtemps tenu aux marges du marché. En 2009, l’exposition « Né dans la rue », à la Fondation Cartier, lui a rendu un début de visibilité en l’invitant à couvrir les façades vitrées de l’édifice. Puis il rencontre Mathilde et Gautier Jourdain, qui deviendront ses galeristes et conduiront une série d’expositions monographiques autour de son travail. À mesure que l’art urbain progresse sur le marché, Zlotykamien y trouve enfin sa juste place, mais à sa manière – discrète et décisive.
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Gérard Zlotykamien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : Gérard Zlotykamien