Centre d'art

Portrait

Génération « Palais de Tokyo »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 février 2006 - 758 mots

PARIS

La sélection d’artistes présentée au Site de création contemporaine reflète, dans une grande diversité, les préoccupations d’une époque, et bute sur la notion d’émergence qu’elle entend défendre.

PARIS - Assurément, on a connu l’endroit beaucoup plus brouillon et en désordre. L’accrochage de « Notre histoire… », au Palais de Tokyo, à Paris – destiné à donner au grand public et aux professionnels du monde entier un point de vue panoramique sur le dynamisme d’une génération française en devenir – est l’un des plus clairs que l’on ait vu en ces lieux, avec des œuvres qui respirent et une circulation fluide. C’est d’emblée ce qui surprend lors de la visite, et ce n’est pas anodin. Avec cette exposition bilan pour Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, qui quittent les lieux après quatre années passées à la tête du centre d’art qu’ils ont façonné, il convenait sans doute de faire place nette, de laisser trace d’une maturité acquise au fil des ans et de l’intimité avec ces espaces – redoutablement difficiles à occuper pour de jeunes artistes en raison de leur ampleur.

Politique de partenariats
Le budget alloué à la manifestation n’y est pas pour rien. Avec plus de 300 000 euros engagés, qui permettent notamment de produire près de la moitié des œuvres exposées, cette opération est la plus ambitieuse financièrement menée depuis l’ouverture du Palais de Tokyo. La dotation n’ayant semble-t-il pas été revue à la hausse par le ministère de la Culture (qui a pourtant voulu cette exposition), une active politique de partenariats a remarquablement porté ses fruits.
Sur le fond, les vingt-neuf artistes conviés offrent l’image d’une grande variété, rétive à toute tentative de classification. Quand Tatiana Trouvé invite dans l’un de ces espaces sombres et intimes dont elle seule a le secret, où de petites portes entrouvertes laissent filtrer la lumière (Polder, 2005), Wang Du décharge plusieurs tonnes de journaux qui redessinent l’espace (Luxe populaire, 2001), et Kader Attia retravaille, avec des matraques, la calligraphie koufi pour donner naissance à un fascinant labyrinthe.
Il se dégage tout de même, dans plusieurs propositions, comme une sorte de fond utile : ainsi des manifestants de Mircea Cantor délivrant le plus puissant – et sans doute le plus beau – des messages en brandissant des miroirs au lieu et place des traditionnels slogans (The Landscape is changing, 2003) ; des photos de Bruno Serralongue réalisées lors des Sommets mondiaux sur la société de l’information (SMSI) de Genève et Tunis en 2003 et 2005 ; ou, à dix mille lieues de là, du studio d’enregistrement ouvert sur les salles imaginé par Laurent et Pascal Grasso, et que Radio Classique utilise le temps de l’exposition (Radio Color Studio # 2, 2006). Si une caractéristique commune devait toutefois se détacher de l’ensemble, sans doute serait-ce un solide ancrage dans le réel et dans l’époque, dont est dressé un constat lucide, sans désenchantement, mais sans non plus d’enthousiasme débordant. Comme s’il s’agissait d’une période intermédiaire, que l’on ausculte à défaut de pouvoir en saisir pleinement la teneur et son devenir possible.

Notion d’émergence
La question d’une exposition bilan étant entendue et revendiquée par les commissaires, pour qui il convenait de s’en tenir à une sélection parmi les artistes français ayant accompagné les premières années du Palais de Tokyo, le visiteur pourra être plus circonspect quant à la notion d’émergence qui sous-tend le propos, jusque dans son sous-titre : « Une scène artistique française émergente ». L’une des principales cibles de l’exposition étant – à des vues de diffusion du « made in France » – le monde de l’art international, certains choix apparaissent ainsi pour le moins curieux lorsqu’ils se portent sur des artistes déjà très convenablement visibles, même à l’étranger. S’il est évident que la génération des années 1990 n’a rien à voir avec cette histoire, et que le rôle du Palais de Tokyo n’est pas de se transformer en MJC, ni de faire la sortie des écoles, on ne peut sérieusement considérer comme « émergents » certains artistes tels Wang Du, Mathieu Mercier, Michael Lin ou Matthieu Laurette, dont les biographies révèlent qu’ils s’exportent déjà fort bien. Le Palais de Tokyo a probablement œuvré de façon remarquable à leur diffusion, et c’est tout à son honneur. Mais, en s’imposant cette notion d’émergence, sans doute eut-il pu effectuer un tri plus précis et judicieux dans son histoire.

NOTRE HISTOIRE...

Jusqu’au 7 mai, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 38 86, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf lundi, 12h-00h. Catalogue, éd. Paris Musées, 256 p., 34 euros, ISBN 2-87900-950-2.

NOTRE HISTOIRE...

- Commissaires : Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans - Nombre d’artistes : 29 - Nombre d’œuvres : 35

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : Génération « Palais de Tokyo »

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