La Manufacture des œillets et son histoire sont au cœur du projet d’EstefanÁa Peñafiel Loaiza au Crédac,
à Ivry-sur-Seine.
Au Crédac, à Ivry-sur-Seine, Estefanía Peñafiel Loaiza revient sur le passé des lieux en jouant des temporalités et des usages.
Le site de la Manufacture des œillets entre dans la composition même de votre exposition, notamment avec plusieurs travaux vidéo. Qu’en avez-vous retenu et qu’est-ce qui vous a semblé là important au point de vous y intéresser de la sorte ?
Depuis que j’ai visité le Crédac dans son site actuel de la Manufacture, j’ai été attirée par le bâtiment lui-même, sa lumière, son histoire. J’avais remarqué aussi que le cadran extérieur de l’horloge était allumé la nuit mais que ses aiguilles ne bougeaient pas, ne donnaient jamais l’heure, que le temps y semblait arrêté. À chaque fois que j’ai l’occasion de travailler dans un espace aussi chargé d’histoires, je me sens poussée à l’investir en concevant des projets in situ. Ici j’ai été interpellée par ses récits subjacents, notamment le paradoxe que conserve ce modèle d’architecture aux niveaux social et humain, puisque la Daylight factory a été conçue avec pour principe de donner aux ouvriers une ambiance de travail plus agréable tout en épargnant l’énergie électrique. La lumière naturelle améliorait certes les conditions de travail, mais dans le but de les rendre plus efficaces et productifs. La lumière et le temps ont donc été les premiers axes sur lesquels l’exposition a commencé à se construire.
Y a-t-il une forme de nostalgie vis-à-vis des lieux que vous investissez et dans la manière dont vous en témoignez ?
Je pense à ces espaces particuliers que Foucault appelait « les hétérotopies » : ces espaces « absolument autres » qui semblent être hors du temps et de tous les autres lieux ou qui sont plusieurs espaces à la fois. Il est vrai que j’ai à plusieurs reprises exploré l’histoire des lieux que j’investis, mais c’est à chaque fois parce que ce sont des espaces particuliers, en même temps présents et ancrés dans une temporalité autre qui ne se réduit aucunement à une mémoire quelconque. Je m’efforce à chaque fois de ne pas soulever de la nostalgie et d’éviter le piège de la commémoration et de la « mémoire mémorielle ». Ce qui m’intéresse c’est d’observer, de créer et de transformer des images ; ce n’est pas l’histoire arrêtée, mais celle qui éclaire notre présent en s’actualisant.
L’empreinte est un thème récurrent dans votre travail et vous avez ici réalisé des empreintes du sol. Est-ce une manière de souligner des traces de passage et d’usage des lieux, une histoire ?
Ce qui m’intéresse surtout avec les empreintes c’est le lien qu’elles tissent entre des temporalités hétérogènes, un présent que l’on invente au jour le jour et de nombreux passés possibles. En parcourant les salles du Crédac, j’ai remarqué la présence de traces colorées au sol, des grandes formes géométriques pour la plupart. Elles m’ont interpellée et intriguée, et j’ai voulu en faire des présences. Elles correspondent probablement à l’ancien emplacement des machines de la manufacture, ou bien aux délimitations des espaces à l’époque des ateliers d’artistes. Mais il y en a aussi d’autres plus récentes laissées par les expositions précédentes. Ce sont donc des traces de temporalités juxtaposées, confondues, qui sont autant de traces de vie ; l’espace n’ayant pas cessé de se transformer. J’ai voulu en fait l’investir comme s’il s’agissait d’un lieu vivant. C’est pourquoi j’ai travaillé avec un vernis particulier dont la texture, une fois qu’on le décolle, prend l’apparence d’une sorte de peau, de quelque chose d’organique.
L’idée du « rebours » semble fondamentale puisque vous modifiez le sens de circulation et que vous jouez avec les temporalités dans l’exposition et dans vos œuvres. Pour quelles raisons ?
L’exposition a un peu été conçue à la manière d’un scénario, d’un récit dont la fin est censée dévoiler quelque chose de latent depuis le début. En changeant le parcours habituel du spectateur je cherchais à modifier son regard. L’idée du rebours revient régulièrement dans mon travail, mais je tente de l’aborder à chaque fois d’une façon très plastique, le renversement du temps et de l’espace étant essentiellement une manière de démultiplier les points de vue et les perspectives tout en déjouant les hiérarchies, les discours et les représentations convenues. C’est le caractère déstabilisant et indocile de ce geste qui m’attire.
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EstefanÁa Peñafiel Loaiza : « Les lieux chargés d’histoire m’inspirent des projets in situ »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 juin, Centre d’art contemporain d’Ivry-Le Crédac, La Manufacture des œillets, 25-29, rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06
www.credac.fr
tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : EstefanÁa Peñafiel Loaiza : « Les lieux chargés d’histoire m’inspirent des projets in situ »