Rompant avec un récit tourné vers le concept de rupture, une nouvelle histoire des avant-gardes inscrit désormais la modernité dans la continuité avec le passé et la tradition.
En 2014, le Centre Pompidou donnait à voir « Marcel Duchamp, la peinture, même ». L’exposition opérait une relecture de l’œuvre de Duchamp par le prisme de la peinture et non plus à travers le mythe moderniste de la rupture (par l’inventeur du ready-made, notamment) et de la mort du tableau. Contre la radicalité iconoclaste, la peinture de Duchamp s’inscrit dans un regard fécond porté sur la tradition picturale, de Cranach à Manet ou Matisse, du symbolisme au futurisme. Sources dans lesquelles l’artiste fonde la genèse d’une longue réflexion portée sur l’érotisme, le voyeurisme ou le corps mécanique. De ses premiers nus jusqu’à son œuvre ultime, Étant donnés, Duchamp n’a eu de cesse, en effet, non pas de tuer, mais de chercher à réinventer la peinture. Une peinture qui tente de capter ce qui échappe à la rétine, certes antinaturaliste, mais qui n’en demeure pas moins poétique.
Six ans auparavant, c’est le Grand Palais qui se proposait de relire l’œuvre d’un autre géant de la modernité, Pablo Picasso, à travers, cette fois, l’angle du passé. « Picasso et les maîtres » rapprochait la peinture de Picasso de celle du Greco, de Vélasquez, Goya, Zurbarán, Ribera, Poussin, etc. Picasso a lui aussi été perçu de façon réductrice au nom du modernisme et de la rupture : l’inventeur, avec Braque, du cubisme, celui dont l’invention formelle ouvrirait la voie à l’abstraction. Au sein de ce récit, certaines périodes de l’artiste ont été occultées ou critiquées. Il en est ainsi de la période néoclassique des années 1920 ou de la période tardive : ce Picasso ? taxé de passéiste, réac, ringard, faible, sénile ! Bien heureusement, maints ouvrages et expositions ont reconsidéré l’œuvre du maître, dans ses liens plus complexes avec la tradition. À la fin des années 1980, le Centre Pompidou programme déjà « Le Dernier Picasso ». Cette exposition a permis de relire cette période tardive qui, dans les années 1970, était passée inaperçue ou violemment critiquée aux yeux d’une génération formaliste et postmatissienne, tournée vers l’abstraction. Or, c’est ce dernier Picasso que regardera la génération des peintres des années 1980, tournée, elle, vers la figuration. Ce qu’elle trouvera dans cet ultime Picasso ? Le plaisir et la volonté de peindre, le toujours plus des outrances baroques, contre l’ascèse, et le toujours moins du formalisme américain.
Depuis les grands cycles amorcés dans les années 1950, Déjeuners, Femmes d’Alger et Ménines dialoguant avec les maîtres, jusqu’aux derniers autoportraits : s’y retrouve une même dimension érotique et vitale de la peinture. Le dernier Picasso, c’est aussi une violence gestuelle, une expressivité matiériste qui ouvrira une porte décisive pour la peinture de la fin du XXe siècle. Et surtout, c’est une magistrale leçon de peinture, une inscription boulimique et féconde dans la grande tradition picturale figurative. Un dialogue permanent par lequel la peinture ne cesse de se réinventer, contrairement au mythe moderniste de sa mort programmée.
Ils ont créé dans l’ombre et le secret d’une cellule, d’une chambre. Longtemps, le monde de l’art a détourné le regard des œuvres marginales, singulières, de ces artistes « bruts », « singuliers », qui ne cherchaient guère à s’inscrire dans l’histoire de l’art. Mais voici qu’en 2001, le MoMA de New York confronte des œuvres de Goya à celles d’un homme évadé d’un asile d’aliénés devenu portier d’un hôpital, auteur d’une œuvre littéraire et picturale magistrale de 15 000 pages, découverte après sa mort en 1973 : Henry Darger. Une porte s’est ouverte. En France, en 2010, le Musée du LaM, à Villeneuve-d’Ascq, s’enrichit d’une section d’art brut, mise sur le même plan que l’art moderne et contemporain. L’Outsider Artfair, foire née à New York, tient sa première édition à Paris en 2013, l’année où la Biennale de Venise fait la part belle à ces artistes hors normes aux côtés des artistes contemporains. En 2015, tandis que la Maison rouge expose la fabuleuse collection d’art brut du collectionneur Bruno Decharme, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre une rétrospective à Henry Darger. Bientôt, le Centre Pompidou acquiert un dessin du Tchécoslovaque Lubos Plny auprès de la Galerie Christian Berst, spécialisée dans l’art brut contemporain. Il n’empêche : la révolution « brute » au sein de l’histoire de l’art n’en est encore qu’à ses débuts. À Paris, par exemple, la seule institution consacrée aux artistes « hors normes » reste la Halle Saint-Pierre.
Marie Zawisza
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Duchamp et Picasso, deux "classiques" de l’avant-garde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°740 du 1 janvier 2021, avec le titre suivant : Duchamp et Picasso, deux "classiques" de l’avant-garde