À l’heure où le gouvernement s’enferre dans son débat sur une hypothétique identité nationale, d’autres font de l’intégration des diversités culturelles un passage obligé, sinon un thème de recherche. C’est le cas de François Mangeol, 25 ans, fraîchement diplômé, l’an passé, de l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne (Loire). Cet as du graphisme – il a, par exemple, dessiné, avec Julie Cornieux et Damien Crabol, la signalétique de la 5e Biennale internationale de design de Saint-Étienne (2006), et, avec Allan Durand, la nouvelle identité visuelle du site web du designer Éric Jourdan (2009) – est l’auteur d’un objet pas si habituel chez les créateurs actuels : un tapis. Le sien est immense : il mesure 4,92 mètres sur 2,88 mètres et son poids avoisine les… 100 kilos de laine pure. Originalité : ledit tapis mélange deux cultures distinctes, Orient et Occident, d’où son nom : Occidorient. Du Levant, François Mangeol a retenu la double fonction du tapis persan : pratique et symbolique.
Outre son utilité en tant qu’objet, celui-ci a aussi fonction essentielle de représentation, voire porte au divin. « Construit comme un ouvrage d’architecture, le tapis persan figure un plan d’ensemble, explique François Mangeol. Il constitue un espace magique habité par la sphère de l’univers. » Du ponant, le designer a choisi l’emblématique et très populaire typographie Times New Roman, laquelle évoque, selon lui, une « synthèse créée du monde occidental » parce qu’elle est « équilibrée, élégante et simple ». Née au début des années 1930 et rendue mondialement célèbre par la firme Microsoft qui en a fait le caractère par défaut de son logiciel d’édition Word, cette police de caractères est encore aujourd’hui amplement utilisée par les maisons d’édition de livres parce qu’elle facilite la lecture et permet d’économiser de la place sur la page. François Mangeol, lui, en use comme motif. À l’aide d’un logiciel informatique, il est venu progressivement, par agrégation, habiter l’entière surface du tapis, des bordures extérieures jusqu’aux champs intérieurs, et ce, sans aucune déformation des caractères. « J’ai poussé à l’extrême le principe même de fabrication d’un tapis persan, la répétition des motifs, jusqu’à remplir l’espace du tapis pour en tirer un nouveau langage, tout à la fois familier et abstrait », souligne Mangeol. La typographie Times New Roman se métamorphose alors en une étonnante calligraphie au faux air orientalisant.
« Tufté main »
Autre particularité de ce tapis : il est en noir et blanc ou, plus exactement, en gris et blanc, un gris très dense et un blanc qui lui, au contraire, a été décoloré aux ultraviolets. Une combinaison qui, au final, génère un effet chromatique des plus raffinés. Comme on dirait d’une photographie, le motif est d’une haute définition. C’est la méthode de fabrication, le fameux « tufté main », qui permet une telle précision. Cette technique consiste à fixer au moyen d’un « pistolet à aiguille » des fibres de laine au travers d’une toile (un canevas en coton) tendue sur un métier vertical. On peut ainsi implanter les fibres, brin par brin, et reproduire le motif avec quasiment la minutie d’un pixel d’image numérique. Le tissage est l’œuvre des tapissiers de la manufacture de tapis Tisca, à Moroges (Saône-et-Loire). Temps de fabrication de la pièce : un mois et demi. Pour passer à la commercialisation proprement dite et selon le fameux dicton « On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même », François Mangeol vient, avec deux partenaires, Vincent Lemarchands et Valérie Gonot, de créer, à Saint-Étienne, une société d’édition d’objets baptisée Édition sous étiquette (ÉSÉ). Au final, seul un élément de ce tapis reflète davantage l’Occident que l’Orient : son prix, 25 000 euros. Comme dirait un facétieux Anglo-Saxon : « Carpet diem ! »
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Design : Tapis perçant
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Design : Tapis perçant