Des œuvres fragiles réalisées dans le contexte de l’Arte povera à la maîtrise spectaculaire des matériaux, le Centre Pompidou consacre une rétrospective à Giuseppe Penone.
PARIS - À la toute fin des années 1960, Giuseppe Penone (né en 1947) réalise une série d’interventions dans une forêt des Alpes-Maritimes. Il tresse trois jeunes plants ensembles (Ho intrecciato tre alberi, « J’ai entrelacé trois arbres », 1969) et marque sa rencontre avec un arbre en enroulant une silhouette de fil de fer autour de celui-ci (L’albero si ricorderà il contatto, « L’arbre se souviendra du contact »). En ouvrant la rétrospective consacrée par le Centre Pompidou à l’artiste, ces gestes d’inscription retrouvent leur valeur inaugurale et programmatique dans une œuvre qui, entamé il y a plus d’une trentaine d’années, a suivi sa propre croissance, tout en s’infléchissant selon son environnement. Après que Germano Celant est venu le chercher, Giuseppe Penone a débuté sa carrière au sein du groupe de l’Arte povera. Plus jeune membre de la mouvance, il en a adopté et nourri les postulats (une défiance quant au consumérisme ambiant, une attention au processus, mais aussi, de manière plus souterraine, une référence permanente à l’alchimie médiévale ou à la Renaissance italienne). C’est dans ce contexte que Penone articule une grammaire fondamentale, simultanément théorique et formelle, appuyée sur l’insertion de l’homme – et au final de la culture – dans la nature. Le Pane alfabeto (« Pain alphabet », 1969) est une baguette dans lequel est inséré un alphabet en inox. Soit du pain et des lettres. Pour Scrive, legge, ricorda (« Il lit, il écrit, il se souvient », 1969) – action pour laquelle il enfonce un coin marqué par des lettres dans un tronc d’arbre –, il s’agit du langage et du bois.
Mais très tôt, l’œuvre de Penone suggère aussi des particularités, comme l’attention constante à l’image et au caractère sensuel des matériaux employés. « L’art conceptuel a eu une influence sur certains artistes de l’Arte povera, explique-t-il dans l’entretien publié dans le catalogue de l’exposition. De mon côté, par réaction, j’ai fait dans ces années-là (1972-1973) des travaux sur le corps et la peau, à travers des moulages et des projections. C’était une façon de ne pas renoncer aux possibilités dont l’aridité de la pensée conceptuelle pouvait nous écarter. À la fin des années 1970, cette rigidité engendrée par l’art conceptuel et son esprit iconoclaste a débouché sur la Transavangarde – à l’inverse un besoin d’exaspération d’image. »
Pensée de l’empreinte
La séquence photographique de Rovesciare i propri occhi (« Renverser ses propres yeux », 1970), fondée sur une performance dans laquelle l’artiste porte de lentilles de contact-miroirs, est symptomatique de cette pensée de l’empreinte. Elle contient dans son idée comme dans sa formalisation les processus d’introspection, de moulage et d’inversion chers à Penone.
Répartie en dix salles, l’exposition du Musée national d’art moderne regroupe en effet près de quatre-vingts œuvres, majoritairement construites à partir de renversements ou d’excroissances du corps : Unghiate (« Griffures d’ongle », 1997/2004), mais aussi les Soffii (« Souffles », 1978), masses d’argile anthropomorphiques déterminées par l’expiration. Avec ses poumons dorés, la cage de branchages de laurier de Respirare l’ombra (« Respirer l’ombre », 1999) est, une vingtaine d’années plus tard, le versant immatériel (la seule trace produite et l’odeur), le négatif et l’inspiration nécessaire mais absente des Soffii.
Si, en jouant sur l’analogie des surfaces et des matières : Pelle di cedro (« Peau de cèdres », 2002-2004), Pelle di marmo e spine d’acacia (« Peau de marbre et épines d’acacia », 2001), les travaux les plus récents de Penone achèvent la synthèse entre les règnes végétal et humain, celle-ci court tout au long de la présente exposition. Alter ego et interlocuteurs de l’artiste, les arbres se déploient parfois dans une forêt ressuscitée à partir de planches de bois usiné (Ripetere il bosco, « Répéter la forêt », 1969-1996). Ici, l’artiste a suivi le dessin des branches, des nervures et des cycles du bois pour inverser la pousse et remonter le temps. Alliant à sa subjectivité la partition inscrite dans le bois, Penone a suivi un mouvement contraire à quelques-uns de ses contemporains, cherchant sans cesse à inverser l’état d’industrialisation avancé du monde, là où les tenants de l’art minimal en affichaient les symptômes. Dans ces dernières sculptures comme Cedro di Versailles (« Cèdre de Versailles », 2002-2003), massif monumental dans lequel il a creusé une fenêtre où est reconstitué l’arbre dans un état antérieur, Penone ne manque toutefois pas d’afficher la maîtrise d’un art qui, malgré sa dimension processuelle, ne s’est jamais interdit le spectacle, fût-ce celui de la nature.
Jusqu’au 23 août, Centre Pompidou, galerie Sud, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, 308 p., 39,90 euros, ISBN 2-84426-234-1.
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Cercles de croissance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : Cercles de croissance