Nomination

L’ACTUALITÉ VUE PAR

Bruno Racine, président du Centre Pompidou

« Le Centre doit prendre la mesure de l’élargissement de la scène mondiale »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 1752 mots

Directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris de 1988 à 1993, chargé de mission auprès du ministère des Affaires étrangères (1993-1995) puis du Premier ministre (1995-1997), Bruno Racine a été directeur de l’Académie de France à Rome de 1997 à 2002, date à laquelle il prend la présidence du Centre Pompidou. À l’occasion des 30 ans du Centre (lire notre dossier du JdA no 247, 17 novembre 2006), il évoque les manifestations prévues en 2007 et revient sur la politique de l’institution envers les artistes français comme sur ses projets de développement à Metz, Shanghaï ou Abou Dhabi.

Le Centre Pompidou souffle aujourd’hui ses trente bougies. Que représente cet anniversaire dans l’histoire de l’institution et qu’avez-vous prévu comme événement fort pour le fêter ?
2007 sera effectivement une année exceptionnelle pour nous puisque plusieurs facteurs vont coïncider : la réouverture intégrale du musée après deux ans de travaux, avec un étage historique et un étage contemporain totalement repensés ; une programmation qui se veut le reflet des grandes missions du Centre ; un retour sur notre histoire et la montée en puissance des projets extérieurs. Nous allons publier un ouvrage de recherche très complet sur ce qu’a représenté le Centre Pompidou dans la vie culturelle française. La programmation va refléter notre responsabilité par rapport à la scène contemporaine et notamment vis-à-vis des artistes vivant en France, avec l’exposition « Airs de Paris » et l’invitation faite à Annette Messager. L’ensemble composera comme un bouquet de ce que le Centre peut offrir, avec en début d’année la photographie et la bande dessinée, la littérature avec Beckett, les arts plastiques, le design, l’architecture avec l’hommage à Richard Rogers et enfin le cinéma avec Victor Erice/Abbas Kiarostami. Nous ne négligeons pas l’aspect historique, puisque sont prévus une importante exposition Giacometti à l’automne et des hommages à Arshile Gorky, Julio González et Pierre Klossowski.

L’exposition « Airs de Paris » ne fait-elle pas double emploi avec  « La force de l’art » [la manifestation sur l’art français présentée en 2006 au Grand Palais] ? Pourquoi n’a-t-elle pas vocation à tourner ?
La scène française est suffisamment vaste et ouverte pour qu’on puisse bénéficier d’événements qui se succèdent à un an d’intervalle sans redondance. Nous avions d’ailleurs programmé « Airs de Paris » avant que le Premier ministre ne lance « La force de l’art ». Notre exposition sera thématique, articulée autour de la vision de la ville, et comprendra une forte composante design. Elle sera donc très différente de la manifestation du Grand Palais qui se présentait comme une très riche constellation de propositions de commissaires. « Airs de Paris » a été conçue pour les 30 ans du Centre et non pour la diffusion. Je crois qu’il serait plus facile de faire circuler à l’extérieur des monographies d’artistes que des panoramas.

Il semble que l’idée de monographie soit au cœur de votre projet pour les espaces en friche du Palais de Tokyo.
Avant de parler de lieux possibles, [posons-nous la question de savoir] quel est le problème . Il ne sert à rien de déplorer le recul des artistes français sur la scène internationale si, dans le même temps, nous ne sommes pas capables d’organiser de manière systématique et méthodique leur présentation dans notre pays. Il y a Paris, avec le Site de création contemporaine ou l’Espace 315 [au sein du Centre Pompidou], une place réservée à la création émergente ou expérimentale. Il existe aussi des hommages aux artistes consacrés comme Daniel Buren, ou Pierre Soulages – une exposition que nous projetons pour son 90e anniversaire. Mais [à côté] il serait indispensable de présenter de manière beaucoup plus fréquente des artistes en pleine maturité et qu’on ne voit pas assez souvent dans les grandes institutions.

Pourquoi le Centre Pompidou ne le fait-il pas déjà dans ses murs ?
Par rapport à 1977, il y a trente ans de vie artistique française de plus dont il faudrait rendre compte. Nous ne sommes pas en mesure de le faire au rythme voulu, car nos missions nous obligent à couvrir une grande variété de sujets dans des espaces somme toute limités. Nous devons prévoir un intervalle d’un an, voire dix-huit mois, entre deux monographies de ce genre. Lors de sa visite à la FIAC (Foire internationale d’art contemporain), en octobre 2005, le Premier ministre a invité le ministre de la
Culture à engager une réflexion sur les possibilités que représentent les espaces actuellement en friche du Palais de Tokyo et que n’occupe pas le Site de création contemporaine, dont l’autonomie doit rester intacte. Ce travail se poursuit.

Pour quelles raisons cette action se place-t-elle sous l’égide du Centre Pompidou ?
Elle se fera sous l’égide de l’État, mais, comme ce domaine recoupe les missions du Centre, il est naturel que celui-ci y apporte sa contribution, notamment en mettant à profit sa dimension internationale ou sa coopération avec les musées en régions. Nous avons aussi établi des partenariats avec des institutions étrangères, accords fondés sur la notion d’échange, je pense en particulier à celui que j’ai conclu avec le MAXXI [Musée national d’art du XXIe siècle] à Rome.

Pourquoi l’exposition sur les Nouveaux Réalistes, comme celle à venir portant sur la Figuration narrative, n’ont-elles pas lieu au Centre Pompidou, mais au Grand Palais ?
L’exposition sur les Nouveaux Réalistes aurait eu tout à fait sa place au Centre Pompidou mais, compte tenu des accords internationaux que nous avions sur plusieurs grands projets, cela aurait repoussé l’exposition à une date trop éloignée. Je l’ai naturellement proposée à la Réunion des musées nationaux, qui avait un créneau libre dès 2007. D’une manière générale, les institutions culturelles doivent désormais travailler en réseau. Les Galeries nationales du Grand Palais coopèrent avec les grands musées et je n’ai pas la sensation de faire quelque chose d’hérétique. Après tout, on verra les Nouveaux Réalistes dans les salles qui ont présenté aussi « Matisse-Picasso », « Degas » ou « Chardin ». C’est, je crois, une ouverture très intéressante.

Est-ce l’exiguïté des lieux qui motive votre développement à Metz et Shanghaï ?
Non, pas du tout, même si le fait que le Centre ne soit en mesure de présenter qu’une fraction de sa collection reste un facteur important. La création du Centre Pompidou-Metz, qui devrait ouvrir à la fin de l’année 2008, relève d’une approche régionale et européenne fondée sur la richesse de la collection, laquelle permet une multiplicité de points de vue. Même s’il y a des renouvellements réguliers de la présentation du musée à Paris, une certaine stabilité s’impose vis-à-vis du public. L’expérience très positive de « Big bang » et du « Mouvement des images » montre qu’à partir du même fonds peuvent être proposées des lectures originales et stimulantes du siècle. Metz sera un banc d’essai permanent pour ces renouvellements de la vision sur l’art de notre temps, en plus de ses projets d’expositions propres. L’idée de départ est d’ouvrir le Centre Pompidou-Metz pendant les premiers mois avec des œuvres seulement issues de la collection, sachant que celle-ci est suffisamment riche pour qu’on puisse y présenter le premier choix sans dépouiller Paris.

Le projet d’une antenne à Shanghaï est-il grippé ?
Le processus se déroule normalement, comme le ministre l’avait annoncé sur place. Le principe a été officialisé lors de la visite du président de la République. La discussion actuelle porte sur les aspects juridiques et financiers, car il n’existe pas, à ce jour, de formule toute prête dans le droit chinois permettant à une institution comme la nôtre d’être programmateur en Chine sur une base régulière. Nous discutons également des actions de préfiguration qui auront lieu dès cette année. Nous sommes dans une logique d’échange culturel et non d’exportation pure et simple. Il s’agit de créer en Chine une institution dotée d’une double mission : d’un côté initier le public local de manière méthodique à l’art occidental du XXe siècle, de l’autre avoir une spécialité chinoise et asiatique et constituer une collection propre dans ce domaine. Le Centre Pompidou et le Musée national d’art moderne ont pour vocation de couvrir l’art contemporain à l’échelle planétaire. Ceci n’avait qu’un impact marginal lorsque l’Inde et la Chine étaient des acteurs à peine émergents. Or la Chine est devenue un acteur majeur de la scène artistique mondiale. Aujourd’hui, le marché reflète un regard euro-américain. Dans vingt ans, nous n’en serons plus là. Nous devons nous préparer à cette évolution et nous construire dans la durée une compétence que nous n’avons pas aujourd’hui. Je ne crois pas que les coups de projecteur intermittents donnés sur tel ou tel pays soient suffisants. Nous pouvons bâtir une compétence en devenant l’animateur d’une institution chinoise, qui aura une double fonction d’ouverture sur l’Occident et de connaissance de son propre environnement artistique.

Quel rôle le Centre Pompidou jouera-t-il dans la future institution labellisée « Louvre » à Abou Dhabi ? Comment jugez-vous la controverse autour de ce projet ?
Dans le concept de musée universel qui a été développé pour ce projet, les frontières chronologiques ou thématiques qui président aujourd’hui à la répartition des collections nationales entre les musées sont absentes. Nous pourrons donc être appelés à consentir des prêts temporaires à la future institution. Le Centre est également très intéressé par les aspects pédagogiques du projet. Cette opération ne mérite pas du tout les accusations dont elle fait l’objet, car c’est bien un dessein culturel cohérent et exigeant qui a été mis au point et proposé, le nom du Louvre étant en quelque sorte une garantie de rigueur. La mondialisation est un phénomène qui affecte les musées. S’il se fait quelque chose à Abou Dhabi, et même si le Centre n’y occupe qu’une place secondaire, c’est une porte d’entrée possible vers le Moyen-Orient. Le Centre doit prendre la mesure de l’élargissement de la scène culturelle mondiale. Nous allons aussi lancer un groupe d’Amis du Centre Pompidou au Japon. Je compte envoyer un représentant du Centre [qui serait basé] de façon permanente au Brésil pour mettre sur pied une structure analogue tournée vers l’Amérique latine.

Quelle exposition récente vous a-t-elle marqué ?
J’ai regardé très attentivement l’exposition « Fischli & Weiss », [qui s’est achevée le 14 janvier] à la Tate Modern, à Londres – deux artistes que j’avais invités à la Villa Médicis, à Rome, il y a quelques années –, en pensant au type d’exposition qu’il serait souhaitable de présenter à Paris et en régions, à un rythme soutenu, pour les artistes de la scène française lorsqu’ils en sont à ce stade de leur carrière.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : Bruno Racine, président du Centre Pompidou

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