Histoire de l'art

Jean-Claude Silbermann

Breton ne faisait pas de “politique intérieure”

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 2 septembre 2024 - 341 mots

Comment avez-vous rencontré André Breton ?

Quand j’ai rencontré André Breton, en 1956, j’avais 21 ans et j’avais rompu depuis trois ans avec mon milieu familial – et un destin trop bien tracé. Ma décision de consacrer ma vie à la poésie, liée à l’esprit d’insubordination qui me portait, m’a conduit tout naturellement au surréalisme. Ayant repéré le café où le groupe se réunissait, j’ai attendu Breton à la sortie, et lui ai dit : « Vous êtes André Breton ? Je m’appelle Jean-Claude Silbermann, je suis surréaliste. » Il m’a offert, sans autre examen, de venir au café quand je voulais.

À cette époque, comment se passaient les échanges et les discussions dans le groupe surréaliste ?

Discrètement attentif à chacun, animé par une constante bienveillance, Breton ne faisait pas de « politique intérieure ». À l’intérieur du groupe, Breton, par sa présence et son exemple, favorisait la possibilité pour chacun, selon les préoccupations qui lui étaient propres, de trouver en lui-même des chemins impratiqués. Un jour, je lui ai montré une nouvelle que j’avais écrite. Il m’a donné rendez-vous chez lui, servi un verre de blanc. « Vous allez penser que j’ai l’air un peu pion, mais Paul Valéry a fait la même chose avec moi », m’a-t-il prévenu avec une extrême délicatesse. La veste m’a paru un peu large d’épaules pour moi, mais, sous couvert de ce compliment, Breton a entrepris de corriger rigoureusement mon texte, de l’orthographe à la ponctuation en passant par l’emploi des temps… Le personnage principal de ma nouvelle se transformait pour finir en insecte. Il m’a fait remarquer que cela évoquait de trop près La Métamorphose de Franz Kafka. Croyant tenir un argument de poids, je lui ai répondu que je ne l’avais pas lu. « D’abord, c’est une lacune, m’a-t-il rétorqué. Ensuite, cela n’a aucune importance, car c’est dans l’air. » Cette phrase est restée pour moi depuis comme une sorte de boussole : quand on crée, il est essentiel de bien sentir, de tenter de prendre conscience, et parfois même de se méfier de ce qui est dans l’air.

Peintre, poète et dernier surréaliste, Jean-Claude Silbermann a participé au mouvement de 1956 à 1969, date de sa dissolution.
À voir
« Jean-Claude Silbermann. L’attente et la raison ardente »,
Galerie Sator, 8, passage des Gravilliers, Paris-3e, du 13 septembre au 5 octobre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : Breton ne faisait pas de “politique intérieure”

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