Avec Michel Blazy et Peter Coffin, le Palais de Tokyo juxtapose deux démarches qui flirtent avec les marges de l’œuvre d’art.
PARIS - Des drapeaux, nombreux et variés, jalonnent la salle ; on en relève même un dont la hampe est faite d’une branche de bois et l’étoffe remplacée par du plastique sombre, façon sac-poubelle. S’ensuit un drôle d’inventaire dont la diversité des composantes ferait virer le tout au capharnaüm si elles n’étaient rangées avec soin dans des vitrines ou sagement accrochées au mur. Cohabitent, en effet, quelques costumes d’apparat et autres accessoires qu’on pourrait croire d’opérette (sabre, couronne…), des insignes distinctifs, pièces de monnaie, plans et photographies… On y trouve également beaucoup de textes, déclarations constitutives mais aussi ouvrages, tel celui de Erwin S. Strauss à l’intitulé on ne peut plus clair et direct : How to Start Your Own Country [Comment créer votre propre pays].
Dans le cadre du second programme d’expositions mis en place par Marc-Olivier Wahler, le Site de création contemporaine du Palais de Tokyo, à Paris, accueille le projet « États (faites-le vous-même) » de l’artiste américain Peter Coffin. Une réflexion passionnante qui convie le visiteur à explorer une soixantaine de projets de micronations, parmi lesquels ceux d’illustres inconnus autant que ceux de nombreux artistes, telles la communauté de production « AVL Ville » de l’Atelier van Lieshout ou La République géniale de Robert Filliou.
Plus que par la dimension utopique des idées et discours exprimés, la proposition de l’artiste s’avère pertinente par la manière dont elle mêle habilement l’artistique et le politique sans que jamais ne soit tracée une véritable frontière entre les deux. Tel un minutieux documentariste, dont l’objet même de la recherche rejoindrait quelque part la fiction, Peter Coffin offre des contours mouvants à son œuvre… que l’on parvient, au final, à qualifier comme telle avec difficulté.
Tout comme la Declaration of Nutopia (1973) de John Lennon et Yoko Ono, proclamant la naissance d’une entité sans territoire, ni frontière, ni passeport, l’exposition explore ses propres marges avec une idée d’ouverture d’autant plus marquée que son titre sonne comme une exhortation à sauter le pas.
Dans un tout autre registre, l’exposition de Michel Blazy, qui dans l’espace précède la présentation de Peter Coffin, aborde également des questions similaires de marges et de frontières appliquées à l’œuvre d’art. En particulier parce que ses contours s’avèrent en grande part mouvants et incontrôlables, compte tenu de la nature même des matériaux employés, qui jamais ne sont stables, mais toujours mis en situation d’évolution. Son Champ de pommes de terre (2002) est ainsi une vaste étendue de flocons lyophilisés au-dessus de laquelle l’action d’un goutte-à-goutte modifie progressivement et profondément l’aspect et la structure de la pièce. Son Mur qui pèle (1998), badigeonné de farine de riz cuite, s’écaille inexorablement sous l’action de l’eau.
Laboratoire organique
À l’exception de deux travaux muraux, que leur installation contiguë asphyxie un peu du fait de leurs différences de textures s’accordant mal entre elles (Cerveau de pommes de terre, 2006, Sans titre, 2007), l’artiste a remarquablement négocié la gestion du vaste espace totalement ouvert, où d’autres avant lui se sont cassés les dents. Sautant de sa Collection d’avocats (1997-2007) soumise à l’éclairage indirect de deux grandes feuilles d’aluminium qui lui renvoient une intense lumière (Sans titre, 1995-2007), à sa fontaine de mousse se déversant en permanence hors de trois grands containers de poubelles (Fontaine de mousse, 2007), ou à ses roses en suspension faites de bacon séché (Roses beef, 2006), le regard se promène allègrement dans ce qui semble être un laboratoire ouvert à toutes les expérimentations. Surtout, il apparaît impossible de maîtriser le processus de l’exposition, qui s’impose à l’artiste tout comme au spectateur. Lequel constate une évolution de son aspect à chacune de ses visites.
Michel Blazy parvient de la sorte à provoquer un bouleversement du lien entre l’art, le réel et leurs marges respectives. Il s’avère d’autant plus frappant que s’impose une dimension organique qui, au-delà des changements d’aspects, se manifeste par l’humidité ambiante et l’odeur fort prégnante qui emplit l’espace et croît elle aussi en intensité.
Jusqu’au 6 mai, Palais de Tokyo / Site de création contemporaine, 13, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf lundi 12h-minuit.
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Aux marges du palais
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat général : Marc-Olivier Wahler, directeur du Site de création contemporaine Michel Blazy - Nombre d’œuvres : 22 - Surface d’exposition : 800 m2 Peter Coffin - Nombre d’œuvres : 65 micronations présentées Surface d’exposition : 250 m2
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Aux marges du palais