Le devenir de la Biennale de Montréal se joue maintenant, alors que la manifestation a gagné en visibilité en fédérant les principaux lieux d’exposition de la ville.
MONTRÉAL - Si cette biennale nouvelle mouture proposée par Sylvie Fortin peut déjà se targuer d’une réussite, c’est d’avoir été rendue visible. Événement devenu confidentiel lors de ses dernières éditions – sa fusion étant même envisagée avec la Triennale d’art québécois (ce qui a pu suscité l’an dernier une polémique) –, l’actuelle organisation est désormais sous les feux des projecteurs canadiens. Le partenariat avec le Musée d’art contemporain (MAC) où se déroule depuis le 22 octobre la plus grande partie de la manifestation, mais aussi la participation du Musée des beaux-arts qui montre un film récent de Shirin Neshat, comme celle de structures majeures de la vie artistique de la métropole (Fondering Darling, Vox, Parisian Laundry, Arsenal) lui donne une visibilité bienvenue. Mais il faudra encore d’autres éditions comme celle-ci, tout en haussant le niveau, pour atteindre l’objectif avoué de placer la Biennale de Montréal sur le grand échiquier des manifestations internationales qui comptent.
Cette biennale doit-elle garder une thématique ? Il y a celles qui font sans. Les commissaires Gregory Burke et Peggy Gale, associés à Lesley Johnstone et Marc Lanctôt (conservateurs au MAC), ont choisi de faire avec celle de « L’avenir ». Celui-ci n’est pas le futur. D’ailleurs la version anglaise du titre, « looking forward » serait plutôt traduisible par « attendre avec impatience ». Il s’agit donc de deux programmes qui se rencontrent ici, comme la résonance de cet antagonisme amical qui caractérise la ville, entre la Montréal francophone et sa jumelle hétérozygote, anglophone. Les œuvres ne regardent ainsi pas toutes dans la même direction : certaines se révélèront prospectives tandis que d’autres ressortent davantage aux impératifs de la prévision. Ce qui est frappant, c’est le nombre d’œuvres qui se penchent sur le passé. À l’instar d’une installation de Jacqueline Hoang Nguyen, Québécoise installée à Stockholm qui livre un film impeccable constitué de bandes amateurs, de documents datant de 1967, l’année du centenaire du Canada. L’artiste tricote science-fiction et documentaire avec une belle éloquence à partir des différentes facettes de cette année spéciale et du multiculturalisme canadien. Face à sa pièce, dans une des salles les plus réussies du MAC, Nicolas Baier a déployé une sculpture de chrome à fois séduisante et rétive, dont les hauts plis organisent un montré-caché troublé par la réverbération. La forme a été générée par le mot « Eternity » écrit en lettres bouclées. Mais le nom est illisible, le potentiel reste impénétrable. L’œuvre voisine avec l’un des animaux empaillés laissés par Abbas Akhavan dans plusieurs salles. Ici le cerf a été figé couché au sol, sans l’illusion de la vie habituellement donnée par la taxidermie. L’avenir n’est pas aux illusions de ce côté-ci de la biennale.
Entre mélancolie et espoir
L’équipe curatoriale a parfaitement réussi à équilibrer la présence d’œuvres cultivant une désillusion évidente (comme celle de Charles Gaines dont la mise en musique des manifestes révolutionnaires résonne avec une mélancolie pénétrante) et la présentation de pièces lus ambivalentes. La table-sculpture de Richard Ibghy et Marilou Lemmens est de celles-là. The Prophets (2013) combine invention formelle et intelligence spirituelle : sur treize mètres de long, quelque quatre cents petites sculptures individuelles d’aspect moderniste se déploient avec une simplicité matérielle désarmante. Des données statistiques économiques se sont mues en abstraction, non sans une pointe d’humour due aux annexes écrites. Entre scepticisme et admiration pour ces systèmes mathématiques, le tandem met en évidence la parfaite inefficience de ces chiffres une fois dépouillés de leur contexte. Richard Ibghy et Marilou Lemmens signent là l’une des meilleures œuvres de cette édition bien qu’ils ne soient pas nécessairement bien entourés : la salle, un peu bancale, réunit des photos banales du Bahreïn prises par Taysir Batniji, une œuvre elliptique de Raymond Boisjoly réalisée à partir d’un film de 1961 sur des autochtones en quête d’une autre réalité et une installation de peintures séduisantes quoique mutiques d’un jeune Québécois installé à Los Angeles, Nicolas Grenier. « L’avenir » n’est donc pas tout tracé pour cette biennale, il s’égare parfois dans des salles peu réussies, mais dans l’ensemble il offre une résolution pleine d’espoir. Les artistes sont-ils des oracles comme l’énonçait le directeur du Musée d’art contemporain, John Zeppetelli, à l’ouverture de l’événement ? Certains sont extralucides sur un état du monde en devenir, assurément.
Nombre d’artistes : 50
Nombre d’œuvres : 150
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Au Québec, l’avenir s’impatiente
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Montréal, jusqu’au 4 janvier 2015, dans 13 lieux dont le Musée des beaux-arts et le Musée d’art contemporain de Montréal, bnlmtl2014.org
Légende photo
Richard Ibghy & Marilou Lemmens, The Prophets, 2014, vue de l'installation à la Biennale de Montréal. © Photo : B. Ramade.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Au Québec, l’avenir s’impatiente