Le sculpteur et peintre belge, qui puise son inspiration dans les milliers de fleurs plantées dans son jardin-atelier de Sint-Martens-Latem, près de Gand, sera l’invité d’honneur de la Brafa en juin 2022.
La biographie officielle de l’artiste est aussi mince que ses sculptures sont imposantes : « Quinze est né en Belgique en 1971 et vit et travaille actuellement à Sint-Martens-Latem, une ville proche de Gand. Sa carrière a commencé dans les années 1980 en tant que graffeur. » Pour en savoir plus, il faut donc lui rendre visite dans les Flandres où l’on apprend que, né dans la campagne gantoise, le jeune Arne passe son enfance « au milieu des champs ». C’est à l’âge de 9 ans qu’il découvre la ville, lorsque sa mère, divorcée, s’installe à Bruxelles. « Cela a été un choc, se remémore l’artiste. Je découvre alors une ville monotone, grise et froide. » Un choc à l’origine d’une révolte qui passe, d’abord, par le graffiti : « Je voulais mettre de la couleur sur les murs de la ville. » La suite reste floue. Autodidacte – « Je ne suis pas allé longtemps à l’école : mon école est celle de la vie » –, le graffeur quitte la maison à 14 ans, puis fait peu à peu évoluer son travail du street art vers la sculpture publique monumentale, de la clandestinité vers la célébrité. Uchronia, gigantesque installation faite de 150 km de poutres de bois qu’il construit dans le désert du Nevada (États-Unis) pour le festival Burning Man en 2006, lui ouvre les portes à l’international. Seize ans plus tard, Arne Quinze répond à des commandes partout sur la planète, de Shanghai à São Paulo, en passant par Washington, Valence, Nice, Paris, Ostende, etc.
Spectaculaires, ses sculptures aux couleurs vives forment autant de fleurs en métal et aluminium disséminées dans la ville. « Il faut reconnecter l’homme au végétal et reconstruire nos villes avec la même harmonie que celle de la nature. Comment a-t-on pu s’éloigner autant de cette harmonie ? », s’interroge Arne Quinze. Un discours bien-pensant mais que l’artiste assure être à l’origine de son travail « bien avant la prise de conscience écologique des années 2000 ». « Mon père a aidé à la création d’une réserve naturelle ; j’entendais donc parler du réchauffement climatique bien avant que le sujet ne devienne médiatique. » Et de dérouler son laïus sur le sujet : « Les inondations touchent désormais toutes les régions du monde, la Belgique, l’Allemagne, la Chine, pendant que le Canada enregistre des températures de 50 °C et que l’Europe voit arriver les tornades. J’en ai la chair de poule ! » L’art, pour Quinze, serait donc affaire de militantisme, même si l’artiste refuse ce mot : « Je ne suis pas sur les barricades ; je me bats avec la beauté », dit-il. L’art participe donc, dans son esprit, d’une prise de conscience collective ; il améliore le vivre-ensemble grâce à la convivialité qu’il génère quand il se déploie dans l’espace public (« L’art public facilite l’interaction humaine. »). « Le jour où l’on transformera nos espaces bétonnés en plaines culturelles, on éradiquera la criminalité urbaine », dit encore Quinze. Si seulement…
« Cela a été une période inoubliable pour chaque Montois. On a vraiment eu la sensation que la culture prenait sa place », déclarait au printemps 2021 une passante à la RTBF (la Radio-télévision belge francophone) venue filmer la destruction de The Passenger (« le passager »). Construite cinq ans plus tôt près du centre historique de la ville, l’installation en bois de plus de 80 m de longueur et 16 m de hauteur a donc fini par gagner le cœur du public et incarner le redémarrage culturel de Mons, faisant oublier ses débuts houleux, sinon polémiques. Pièce maîtresse de « Mons 2015, capitale européenne de la culture », la structure s’effondre en effet accidentellement – une malencontreuse marche arrière d’une voiture – la veille de Noël 2014, heureusement sans faire de victime – « Les Montois l’ont échappé belle », soupire l’hebdomadaire Le Vif. L’œuvre est donc démontée peu avant l’inauguration de la manifestation ; elle sera reconstruite quelques mois plus tard par l’artiste, à ses frais, dans des dimensions plus raisonnables (43 m). Mais The Passenger divise : « Originale », disent certains, quand d’autres crient « Horreur ! » Pas grave, pour l’artiste, qui dit à l’époque se nourrir de la critique positive comme négative. « Je suis content que mes œuvres fassent parler », explique Arne Quinze, qui ajoute : « Dans un musée, 100 % des visiteurs sont acquis à l’art. Quand un artiste va dans la rue, il lui faut convaincre 99 % des gens ! C’est bien que les œuvres fassent parler d’elles ; mes œuvres sont là pour provoquer le dialogue, ouvrir le débat. »
Et cela fonctionne ! The Passenger n’est pas la première sculpture à faire parler d’elle. En 2012, l’artiste installe à Ostende Rock Strangers, un ensemble de sculptures monumentales, rutilantes et cabossées, comme échouées place des Héros en front de mer. « Des objets étranges qui se dressent à des endroits tout à fait improbables […], comme rejetés par les vagues. Leur orange vif contraste fortement avec leur environnement naturel et leur confère un effet surprenant », écrit l’office du tourisme local. Rock Strangers fait dire à Phillip Van Den Bossche, directeur du Mu.Zee, que l’œuvre « amène le XXIe siècle à Ostende, et nous en avons besoin. Il y aura des frictions bien sûr, mais c’est bien. » Et les frictions n’ont pas manqué. Ces rochers « étranges », ces « étrangers » roués de coups, gâchent la vue des riverains sur la mer. En 2016, le quotidien De Standaard révèle ainsi que les propriétaires d’un appartement réclament à Ostende le paiement de 80 euros par jour pour perte de jouissance ! Mais est-ce la vue sur la mer entravée qui gêne les Ostendais ou le fait qu’Arne Quinze dépose sous leurs yeux un sujet éminemment politique ? « Je voulais confronter les gens à l’immigration », raconte Quinze. Cela, bien avant que la crise migratoire ne bouscule l’Europe…
Quand on lui parle de la dernière série de peintures de Damien Hirst (Cerisiers en fleurs), Arne Quinze rappelle qu’il a, lui, commencé à peindre des tableaux de fleurs pour le festival « Normandie impressionniste » en 2010, bien avant que le sujet revienne à la mode. « Je peignais ce que je voyais depuis ma fenêtre : mon jardin, mon propre monde », dit-il. Et pour cause : en s’installant à Sint-Martens-Latem, Arne Quinze décide de retourner son terrain à coups de pelleteuse, à la stupéfaction de ses voisins. Quand ces derniers taillent leur gazon au ciseau, lui plante des milliers de bulbes et s’« émerveille » – un mot qui revient souvent dans sa bouche – de voir revenir les abeilles et autres insectes. Dès lors, il ne cesse de recouvrir d’imposantes toiles de couleurs chatoyantes et joyeuses. Quand la sculpture l’oblige à travailler en équipe – une dizaine de personnes œuvrent en permanence dans ses trois ateliers –, la peinture lui permet de se retrouver seul face à la toile et de composer de généreux « champs de fleurs ». « Pour lui, écrit Xavier Roland, directeur du Bam (le Musée des beaux-arts de Mons qui lui a consacré une rétrospective durant l’été 2021), le jardin n’est plus une chose à voir, mais devient le partenaire d’une expérience immersive qu’il capture avec ses grands formats. » Une expérience immersive, c’est justement ce qu’il promet d’offrir aux visiteurs de la Brafa, importante foire d’antiquaires à Bruxelles, en juin prochain.
« Miró, Max Ernst, Henry Moore – ses œuvres sont d’une telle simplicité et pourtant d’une telle force ! : tous ces sculpteurs m’ont influencé ! », dit Arne Quinze, qui ne cite étrangement pas John Chamberlain. Du côté des peintres, il semble falloir rechercher davantage du côté des impressionnistes, « les premiers à être sortis des quatre murs de leur atelier » – murs qui reviennent comme une litanie dans la bouche d’Arne Quinze : « Des murs blancs de la maternité aux planches du cercueil, nous restons enfermés toute notre vie entre quatre murs. Je veux faire tomber ces murs ! » Le festival « Normandie impressionniste » ne s’y trompe pas en l’invitant, pour son édition 2010 de « Rouen impressionnée », à réaliser un gigantesque mikado aérien de 120 m sur le pont Boieldieu à Rouen : Camille, titre donné à la structure, inaugure la même année une série de peintures sur bois en hommage à Monet (Les Jardins, Les Nymphéas).
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Arne Quinze au kaléidoscope
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°751 du 1 février 2022, avec le titre suivant : Arne Quinze au kaléidoscope