Architecture

Architecture : le vignoble mis en scène

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 24 septembre 2024 - 779 mots

À Reims, plusieurs grands domaines ont investi dans de nouveaux bâtiments afin d’améliorer l’accueil du public et mieux révéler la richesse de leur patrimoine.

C’est un chemin étroit, excavé entre deux murs de pierres blanches, se déployant sur une centaine de mètres, qui conduit au nouveau pavillon d’accueil de la maison Ruinart. Sur les parois hautes de quatre mètres ont été reproduites les traces des outils qui ont cisaillé la pierre. C’est avec ce paysage de crayère, typique des caves prestigieuses de la butte Saint-Nicaise que se fait le premier contact du visiteur avec la célèbre marque champenoise. Une immersion dans le terroir mise en scène par le paysagiste Christophe Gautrand et reconstituée par l’Atelier Artistique du Béton, spécialisé dans le décor. Ce cheminement constitue un préambule habile et réussi au nouveau pavillon d’accueil imaginé par Sou Fujimoto. L’architecte japonais a conçu un parallélépipède de pierres de Soisson coiffé d’une toiture légèrement courbe. Ce bâtiment offre une seule grande façade de verre, largement ouverte sur les chais historiques du XIXe siècle et qui entourent une cour d’honneur. Dans le pavillon, ont été aménagés par l’architecte d’intérieur Gwenael Nicolas, un espace d’accueil, un bar, un point de vente et des salons pour les dégustations. Le chantier a aussi porté sur la plantation d’un grand parc accessible au public, un jardin des artistes riche d’une vingtaine d’œuvres réalisées spécialement pour le site. On peut découvrir un banc circulaire en aluminium de Jeppe Hein, une sculpture façon rocaille d’Eva Jospin, les bois d’un cerf ornés de fruits colorés de Pascale Marthine Tayou. Ouvert à la visite depuis une dizaine d’années, le domaine était limité dans ses capacités d’accueil. Avec ce nouvel équipement, la marque espère doubler le nombre de visiteurs (26 000 en 2024) d’ici la fin de la décennie. Une marge de progression raisonnable : en matière d’œnotourisme, la Champagne a longtemps été à la traîne d’autres appellations comme le Bordelais ou la Bourgogne. Elle ne dispose pas d’un grand site fédérateur comme la Cité du vin à Bordeaux ou la Cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon. Plusieurs réalisations d’architectes viennent pourtant de sortir de terre. Outre le pavillon Ruinart de Sou Fujimoto, la maison Krug a investi dans de nouveaux chais de vinification à Ambonnay (agence AW2) et Taittinger a inauguré en juillet son site entièrement réaménagé par l’architecte rémois Giovanni Pace.

Visite et dégustation

En descendant dans les caves Taittinger, à 18 mètres sous la terre, le visiteur effectue un voyage dans le temps. Il découvre notamment un escalier menant à la crypte de l’abbaye bénédictine Saint-Nicaise édifiée au XIIIe siècle et détruite à la Révolution. Il peut aussi voir une plaque en l’honneur du passage de Pierre Le Grand en 1717 ou lire les dessins, graffitis et inscriptions gravées sur la pierre, des soldats et réfugiés de 1914-1918. En fin de visite, la dégustation se déroule dans un espace d’accueil rénové après dix-huit mois de travaux. Giovanni Pace a entièrement réaménagé le bâtiment de style Art déco, en l’agrémentant d’un péristyle de béton sur la façade extérieure ouvrant sur le jardin. Autour d’une grande salle de dégustation faisant office de galerie d’exposition, de nouveaux salons ont été aménagés, destinés à des parcours de visite spécifiques et limités à des petits groupes. Larges fauteuils, tables basses et tapis épais accueillent le visiteur. Au mur, des œuvres de Maria Helena Vieira da Silva, Sebastião Salgado et d’autres artistes sollicités pour la cuvée « Collection ». Sans surprise, la visite se conclut par l’espace de vente, un « concept store », qui propose des bouteilles, mais aussi une sélection de pièces d’artisanat signées par des créateurs locaux. Une autre façon de valoriser les richesses du terroir champenois.

Le label Unesco 

À l’est de Reims, la butte Saint-Nicaise qui regroupe quelques-uns des grands noms du vignoble, est l’un des sites champenois à avoir été inscrit depuis 2015 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Le prestigieux label porte sur un ensemble d’éléments : les coteaux, les maisons et les caves creusées dans les crayères. Véritables cathédrales souterraines qui se déploient sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur, certaines d’entre elles accueillent des œuvres d’art dans le cadre d’expositions temporaires ou d’installations plus pérennes, comme une spectaculaire installation de Maya Mouawad et Cyril Laurier chez Ruinart, sculpture qui illumine une salle vertigineuse. Surtout, en traversant ces caves souterraines, se révèlent les différentes strates temporelles accumulées depuis l’époque gallo-romaine. L’exploitation de ce qui était au départ des carrières de craie, destinées à la construction de Reims, s’est poursuivie jusqu’au milieu du XIXe siècle. Elles ont été ensuite aménagées et reliées par des réseaux de couloirs, pour servir au stockage des bouteilles.

Mathieu Oui

À voir
La 5e édition d’Architecture en Champagne propose un parcours dans le vignoble à la découverte des loges de vignes conçues et construites par des étudiants et des architectes, www.architecture-en-champagne.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°779 du 1 octobre 2024, avec le titre suivant : Architecture : le vignoble mis en scène

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