Styliste et galeriste, agnès b. est aussi une importante collectionneuse d’art contemporain qui met sa passion au service de la découverte et du soutien des artistes.
L’exposition « Vivre » à venir au Musée national de l’histoire de l’immigration, est la première exposition à Paris, en dehors de la photographie, de votre collection d’art contemporain. Pourquoi maintenant ?
J’ai attendu que la proposition vienne. Lorsqu’elle est venue, j’ai accepté immédiatement, parce que j’adore ce musée depuis toujours. J’y ai emmené mes enfants ; j’y ai vu des expositions de Jean-Hubert Martin, des œuvres de Chéri Samba, un artiste formidable que j’aime beaucoup. Le musée est un lieu très beau, un bâtiment des années 1930 ; un musée des colonies devenu – parce qu’il suit l’histoire de France – « Musée national de l’histoire de l’immigration ». Il est important de préciser qu’il s’agit de « l’histoire » de l’immigration, car on a besoin de raconter cette histoire justement en ce moment, afin de redonner une dignité à tous ces Français qui sont nos grands-parents et qui se sont battus pour nous. Ils ne sont pas venus nous envahir comme certains le disent, ils sont venus servir la France.
« Vivre » est donc plus qu’une simple exposition, c’est un engagement…
Je ne fais pas une exposition politique, mais une exposition sur « Vivre ». Or, vivre est devenu une question très politique. « Vivre », cela veut dire travailler, danser, aimer, habiter… Le choix des œuvres de cette exposition a été fait avec Sam Stourdzé [le directeur des Rencontres d’Arles, ndlr]. Nous ne nous connaissions pas, mais j’ai pensé à lui, et il a accepté. Je travaille beaucoup à l’instinct.
L’exposition présentera une partie de ma collection ainsi que quelques œuvres du Musée national de l’histoire de l’immigration [de Kader Attia, Roman Cieslewicz, Mona Hatoum, Chéri Samba et Djamel Tatah, ndlr]. On y verra par exemple Claude Lévêque, que j’ai montré très tôt, ou encore John Giorno, que j’ai présenté dans ma galerie bien avant le Palais de Tokyo. Il y a fait des conférences filmées, c’était génial. À New York, il y a quelques mois, nous nous sommes rencontrés avec John dans la rue alors qu’on portait le même t-shirt « Giorno ». Il s’est jeté dans mes bras ! Il y a beaucoup d’affect, d’amour dans le milieu de l’art. L’amour de l’art, cela entraîne l’amour des artistes.
Vous ne collectionnez donc pas seulement les œuvres, mais aussi les artistes et leur histoire…
Tous mes amis sont artistes ou musiciens. Nous avons une même nature en commun, nous nous comprenons. Le terrain de l’art, je le connais depuis toute petite. J’ai toujours aimé la peinture. Enfant, je voulais devenir conservatrice, mais je me suis mariée à 17 ans et j’ai eu des jumeaux à 19 ans. En 1983, j’ai enfin ouvert ma galerie. Donner à voir, je pense que c’est un privilège. On expose en s’exposant, on propose puis on attend que les gens réagissent. C’est toujours très intéressant.
Quel est le déclencheur de l’achat d’une œuvre ? Est-ce l’artiste ou bien l’œuvre ?
C’est l’œuvre qui me touche en premier. Mais l’artiste peut aussi me conduire à acheter une œuvre. Par exemple, Ryan McGinley que j’ai rencontré dans une fête à New York. Il m’a sorti dix petits tirages photo de sa poche, et j’y ai vu la même force que les photos de Nan Goldin. J’ai été la première à présenter les photos de McGinley à Los Angeles. Maintenant, il est devenu une star aux États-Unis. C’est dingue !
Yvon Lambert vous a dit un jour : « Toi tu découvres, nous on fait le boulot ». Était-ce juste ?
Nous ne sommes pas dans la même configuration lui et moi ; moi, j’ai une autre activité. Les galeries sont obligées de vivre de l’art de leurs artistes, tandis que moi je suis plus libre. Je présente dans ma galerie des choses que j’aime, en espérant que les gens vont aimer à leur tour. La galerie vend, mais jamais avec un prix très élevé, car la plupart des artistes que nous présentons, nous les découvrons. Par exemple, les peintres Claire Chesnier [exposée à la galerie du jour agnès b. jusqu’au 22 octobre, ndlr] ou Claire Tabouret, que j’ai connue aux Beaux-Arts.
Est-ce pour vous rapprocher des artistes que vous avez créé le prix agnès b. ?
Je l’ai créé pour aider les artistes, et aussi parce que je connais la vie des artistes. Les intermittents du spectacle ont des aides, tandis que les artistes n’ont rien. Ils ne reçoivent pas de soutien de la Maison des artistes. La vie d’artiste est compliquée, il faut souvent faire un autre travail en parallèle pour vivre…
Vous êtes critique vis-à-vis de l’influence de l’argent dans le milieu de l’art. Cela est-il nouveau ?
À la Renaissance, il y avait déjà des protecteurs – qui étaient même au centre des tableaux. L’art a toujours eu besoin d’être soutenu, mais maintenant il y a un paramètre nouveau qui est la fluctuation des prix. Je crois, malheureusement, que c’est l’argent qui influence tout. Claude Lévêque ne voulait plus travailler avec le néon. Après avoir quitté la galerie, il s’est remis à faire du néon alors que je sais pertinemment qu’il ne voulait plus en faire. Le marché demande aujourd’hui aux artistes de produire un objet commercial, et c’est cela qui est mauvais. C’est la mort du petit cheval ! L’artiste doit toujours être ailleurs. Mais certains collectionneurs sont merveilleux et suivent de près ce qu’on fait à la Galerie du jour.
Vous n’avez pas peur de parler de « beauté », vous revendiquez même ce mot qui est pourtant presque devenu tabou dans l’art contemporain…
« La Beauté en Avignon » était une exposition magnifique, c’était un chef-d’œuvre. J’aime bien Jean de Loisy [qui en était le commissaire en 2000, ndlr], et je trouve superbe qu’il soit au Palais de Tokyo aujourd’hui. Connaissez-vous la définition de la beauté ? Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui était chez ma famille versaillaise, la première phrase sur la beauté c’est : « La beauté est le sentiment de rapport agréable, visuel ou sonore » ; c’est intéressant…
La beauté est-elle le principe actif de toute la collection ?
Non, ce serait plutôt l’humanité. Il y a beaucoup de photos, de poésies qui s’accordent à ce concept. La beauté peut prendre tellement de formes… C’est ça, la beauté de la beauté.
1941 : Agnès Troublé naît à Versailles
1958 : Se marie avec l’éditeur Christian Bourgois, dont elle gardera l’initiale du nom pour sa marque de vêtements
1973 : Dépose sa marque de styliste, « agnès b. », et ouvre sa première boutique à Paris deux ans plus tard
1984 : Inaugure la Galerie du jour, aujourd’hui située rue Quincampoix à Paris-4e
2009 : Crée le Fonds de dotation agnès b.
2013 : Premier long métrage, Je m’appelle Hmmm…, avec l’artiste écossais Douglas Gordon comme acteur principal
2015 : Exposition « Un regard sur la collection d’agnès b. » au Lam, Villeneuve-d’Ascq
2016 : Exposition « Vivre ! » au Musée national de l’histoire de l’immigration. Agnès b. cherche toujours un lieu et des financements pour accueillir sa collection
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Agnès b. L’amour de l’art, cela entraîne l’amour des artistes
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Abonnez-vous dès 1 €du 18 octobre 2016 au 8 janvier 2017. Musée national de l’histoire de l’immigration, 293, avenue Daumesnil, Paris-12e. Du mardi au vendredi de 10 h à 17 h 30, jusqu’à 19 h le samedi et le dimanche. Tarif : 6 €. www.histoire-immigration.fr
Commissaire : Sam Stourdzé.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : agnès b. L’amour de l’art, cela entraîne l’amour des artistes