Le designer italien Ettore Sottsass s’est éteint à Milan le 31 décembre 2007. Après une brillante carrière dans le design industriel, il avait fondé le groupe Memphis en 1981
Le designer et architecte italien Ettore Sottsass est mort le lundi 31 décembre 2007, chez lui à Milan, à l’âge de 90 ans. Avec sa fine natte grise et sa frêle silhouette, il ressemblait à un vieux sage, à l’instar de ce portrait chinois contre un mur de son domicile de la Via San Tomaso. Curieux et charismatique, l’homme laisse l’image d’un être profondément humaniste. « Certains designers pensent qu’il suffit de dessiner des lits d’hôpital pour se purifier l’âme, c’est leur problème ! Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que pour être designer il faut avant tout être un homme, avoir pitié du monde, avoir une sensibilité aux autres, aux fleurs, au ciel... », affirmait-il lors de l’entretien qu’il nous avait accordé à Milan (lire le JdA no 238, 26 mai 2006, p. 38). Sa quête ultime : le lien ténu que tissent les gens avec les objets. « Arriver à créer une relation entre une personne et un objet est le maximum qu’un designer puisse atteindre. Un objet, c’est un ami », estimait-il alors. Si Sottsass ne croyait pas en Dieu – parce que tout, pour lui, était « sacré » –, il n’hésitait pas en revanche à exprimer sa foi en un monde meilleur : « Le but premier du design est de faire sourire, de porter chance, de rendre heureux. »
Né le 14 septembre 1917 à Innsbruck (Autriche) d’une mère autrichienne et d’un père italien et architecte, Ettore Sottsass passe son enfance dans le Haut Adige, région de montagnes – les Dolomites – où il développe un goût immodéré pour la nature. En 1929, sa famille s’installe à Turin, ville dans laquelle il suit les cours d’architecture du célèbre Politecnico. En 1939, l’année où il décroche son diplôme d’architecte, il est mobilisé puis fait prisonnier en Yougoslavie. Ce n’est qu’à la fin de la guerre, en 1947, qu’il ouvrira son agence d’architecture, à Milan. Très (trop ?) souvent, le premier mot qui vient à la bouche lorsque l’on évoque le nom de Sottsass, c’est « Memphis », du nom du collectif de designers. C’est oublier un peu hâtivement que l’homme a fondé ledit groupe à... 63 ans passés, et qu’il y a bel et bien eu une vie avant Memphis. Dès la fin des années 1950 en effet, Sottsass excelle dans le design dit « industriel ». Pour la firme Olivetti où il est designer consultant de 1958 à 1980, il dessine, entre autres, la calculatrice Logos 27, les machines à écrire Praxis 48 et Valentine, ou encore l’ordinateur Elea 9003, avec lequel il décrochera en 1959 un Compasso d’Oro, prix du design transalpin. En parallèle, Sottsass poursuit une réflexion théorique au sein de plusieurs mouvements de design radical. En 1978, il adhère au collectif Alchimia, puis ce sera l’aventure Memphis, groupe qu’il fonde à Milan en 1981. Cette alternative aux « errances postmodernes » rassemble une bande de jeunes et joyeux designers tels Matteo Thun, George Sowden, Nathalie du Pasquier ou Michele De Lucchi. Pour Sottsass, l’heure est à l’expérimentation. L’univers rationnel et standardisé de l’époque en prend un coup. Tout est surprise : les matériaux, les couleurs et surtout les formes. L’ironie le dispute à l’affection. En témoigne sa célèbre bibliothèque Carlton, des panneaux en stratifié coloré assemblés tel un château de cartes, un hymne à l’instabilité. Sottsass a toujours beaucoup écrit, et bien. Il s’est, en outre, pris de passion pour la photographie et le voyage. L’année 1961 est pour lui une date clé. En compagnie de sa première femme, Fernanda Pivano, traductrice des poètes de la Beat Generation, il effectue deux voyages – l’un en Inde, l’autre en Californie – qui le marqueront à jamais. À preuve : vingt ans plus tard, lorsqu’il s’est agi de donner un nom au groupe qu’il vient de créer à Milan, c’est le mot « Memphis » qui vient le plus souvent aux lèvres. Tiré d’un disque de Bob Dylan – The Memphis Blues Again –, le vocable mélange à merveille la mémoire de ses deux séjours « initiatiques » : les États-Unis et l’Orient, la capitale du rock’n’roll et celle de l’ancienne Égypte, la culture pop et la culture du sacré. Il illustre à l’identique le vocabulaire de ses créations, assemblages de volumes géométriques simples et archétypaux. Entre meubles-totems et constructions impossibles, Sottsass aimait à déambuler sur le fil. Il y avait chez lui à la fois un goût permanent de la mise en danger et une recherche quasi obsessionnelle de l’équilibre.
N. B. : Deux expositions sur l’œuvre d’Ettore Sottsass ont lieu actuellement en Europe. Une rétrospective de son travail – 130 pièces – est visible à Trieste (Italie), jusqu’au 2 mars (« Vorrei sapere perché », Salone degli Incanti dell’ex-Pescheria, Riva Nazario Sauro). Une vingtaine de vases en porcelaine réalisés entre 1993 et 2006 à la Manufacture nationale de Sèvres sont exposés à Hornu (Belgique), du 19 janvier au 9 mars (« Chants et paysages », Grand-Hornu Images, 82, rue Sainte-Louise, Hornu, www.grand-hornu-images.be).
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : Addìo Maestro !