Modestie et attention à l’objet : tel et le credo de ces professionnels qui créent des supports pour la présentation des œuvres.
Il est des interventions presque indicibles pour qui n’est pas averti. Ainsi en est-il de l’art du soclage lorsqu’il est mis en œuvre par quelques professionnels de talent. « L’histoire du soclage est liée à la découverte d’objets n’étant pas destinés à rester debout, comme les fragments archéologiques, les objets ethnographiques ou autres objets de curiosité », explique François Lunardi, professionnel installé à Paris depuis 2004. Comme le cadre pour un tableau, le socle vise à permettre l’exposition de l’objet, mais aussi à le préserver. Certains supports, tels ceux conçus par Marc Jeanclos – l’un des professionnels français les plus reconnus – pour deux étonnants casques gaulois découverts à Tintignac (Corrèze), sont aussi des éléments permettant la reconstitution de la pièce archéologique fragmentée. Au même titre que l’éclairage, le soclage joue donc un rôle primordial dans l’exposition des œuvres grâce à la mise à distance qu’il induit. Il est l’un des outils de la conception de l’exposition, pusiqu’il permet aussi de donner du sens en jouant sur le caractère polysémique des objets. « Depuis vingt ou trente ans, avec le développement croissant des musées et de leur réaménagement, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle profession destinée à répondre aux besoins spécifiques et de plus en plus complexes posés par les supports de présentation des objets », écrit Anne Villard, muséologue (in La Lettre de l’OCIM [Office de coopération et d’information muséographiques] no 87, 2003). Quelques personnalités se sont toutefois distinguées avant cette date, à l’instar du Japonais Inagaki, célèbre pour avoir soclé dans les années 1930 les pièces d’art africain de la collection Barbier-Mueller. L’invention du soclage moderne date cependant des années 1980, époque où émergent des figures comme Eugène Betra. Marc Jeanclos, qui préfère le terme de « support » à celui de socle, se souvient de ses visites au Louvre : « J’avais été frappé par le manque d’attention portée aux objets. » Ce fils d’un Prix de Rome de sculpture décide alors de pousser plus loin dans cette voie et se lance pour une clientèle privée. « J’en ai vite fait le tour et je me suis mis à travailler avec des artistes pour des expositions complètes, relate-t-il. Le soclage n’est désormais que le point de départ de mes activités de mise en espace des expositions. » De nombreux stagiaires sont passés dans son atelier. Marc Jeanclos, connu notamment pour avoir conçu les supports de la spectaculaire Grande Galerie de l’Évolution du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, leur a toujours dispensé le même message : placer l’objet au centre de la réflexion. « Il faut partir de l’objet pour aller vers l’architecture, et non l’inverse », rappelle-t-il comme une évidence. Pourtant, les socleurs déplorent unanimement le manque de reconnaissance de l’importance de leur intervention dans les musées. Médiocrité des budgets, défaut de consultation en amont au prétexte qu’ils n’interviennent qu’en bout de chaîne. « Il s’agit aussi d’une question de respect pour cet artisanat », souligne Marc Jeanclos, qui ne répond désormais qu’aux appels d’offres lui permettant de travailler dès la phase de la conception.
« Tordeur de tiges »
Car si le métier implique une capacité d’appréhension et d’analyse des objets, afin de trouver leur point d’équilibre, ainsi qu’une véritable qualité de dessinateur, les socleurs revendiquent sans rougir la dimension artisanale de leur spécialité. « Même si les interventions relèvent parfois de l’orfèvrerie, c’est un travail physique qui implique de savoir travailler parfaitement un matériau », confirme François Lunardi, qui se qualifie de « tordeur de tiges » et considère que les professionnels issus du milieu de la restauration des œuvres ne font pas les meilleurs socleurs. Bronzier d’art de formation, initié au soclage dans une entreprise de serrurerie qui travaillait pour le Louvre, il promeut le métal, notamment le laiton, « matériau noble, facile à travailler et permettant des finitions durables ». François Lunardi, qui considère le travail de Marc Jeanclos comme une référence, avoue travailler pour une clientèle plus variée, auprès des musées – où il intervient souvent en qualité de sous-traitant –, mais aussi de particuliers, d’entreprises ou de marchands. « Les prestations sont très différentes explique-t-il. Pour les marchands, il s’agit de faire de la quantité ; pour les musées, il faut établir des protocoles précis. » La réversibilité du travail est aussi une question clef, notamment lors des interventions sur les collections publiques. Si Marc Jeanclos se refuse à tout percement d’objet, François Lunardi avoue ne pas se l’interdire, dans des cas très spécifiques, « car certains systèmes de griffes ont parfois des conséquences plus dévastatrices ». Tous les deux pratiquent du sur-mesure, non dénué d’une certaine dimension subjective, qui fera la qualité esthétique du support. Avec toujours une même humilité vis-à-vis de l’objet.
Il n’existe aucune formation spécifique. Cependant, les professionnels accueillent parfois des stagiaires issus de la spécialité Conception/Application métal de l’École Boulle, qui sont ensuite formés au sein de l’atelier.
École Boulle, École supérieure des arts appliqués/Lycée des métiers d’art, de l’architecture intérieure et du design, 9-21, rue Pierre-Bourdan, 75012 Paris, tél. 01 44 67 69 67.
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Socleur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Socleur