Le JdA a pu avoir connaissance de la dernière mouture du projet de loi réformant les ventes aux enchères, arrêtée après la réunion interministérielle du 20 avril. Celle-ci sera vraisemblablement encore ajustée avant d’être soumise au Conseil des ministres, puis au Parlement. Bercy hésitait encore récemment sur le principe même de l’indemnisation des commissaires-priseurs. Son total serait estimé désormais à 624 millions de francs, contre 750-850 millions dans le rapport remis à Élisabeth Guigou en février (lire le JdA n° 55), et 2 milliards lors du premier projet de 1997. Il serait financé par une taxe de 0,9 % prélevée sur dix ans au maximum, et par l’imposition des plus-values dégagées lors de l’indemnisation. Ce texte, qui comporte plusieurs nouvelles dispositions que nous détaillons ci-dessous, consacre le retour au cumul des activités judiciaire et commerciales.
PARIS - Au sujet de la question centrale de l’indemnisation, il faut relever deux modifications de fond par rapport au projet de 1997. Tout d’abord, l’indemnisation vise désormais “le préjudice effectivement subi”, ce qui introduit la notion de preuve, et porte exclusivement sur la perte du droit de présentation, la perte du monopole mentionnée dans le texte antérieur disparaissant. D’autre part, les huissiers et notaires ne sont désormais concernés par l’indemnisation qu’à condition de justifier d’un préjudice et “à l’expiration d’un délai de 5 ans”. La période de référence serait 1992-1996, au lieu de 1991-1995 dans la version 1997. Par contre, est apparu un coefficient correctif applicable à la moyenne des recettes nettes et des soldes d’exploitation. Ce coefficient de 0,6 pour les études de Paris, de 0,5 pour celles de province, est en recul par rapport aux attentes des intéressés. Le calcul prend en compte les immobilisations corporelles – autres que les achats d’immeubles – réalisées avant le 1er janvier 1998 et non intégralement amorties à la date de la levée de l’option.
Un encouragement pour les études les plus dynamiques
Comme le texte ne parle pas des immobilisations “nettes”, on pourrait penser que ce sont les immobilisations corporelles brutes qui seraient prises en compte. De la sorte, l’assiette de l’indemnisation serait peut-être ainsi rééquilibrée en faveur des études ayant réalisé un effort d’investissement, ce qui constituerait un encouragement pour les études les plus dynamiques. La commission d’indemnisation pourra ajuster l’indemnité de 15 % en plus ou en moins par rapport au résultat du calcul. Pour tenir compte des situations particulières, en particulier des installations récentes, le projet autorise la commission d’indemnisation à “s’écarter des seuils prévus... lorsqu’une transaction postérieure à 1990 est intervenue et constitue un prix de référence par rapport au marché”.
Comme proposé par le rapport sur l’indemnisation, 40 % de l’indemnité seraient versés dans l’année suivant la demande – subordonnée à la production d’une assurance rétroactive sur les ventes volontaires des dix dernières années et à un quitus de la chambre de discipline, sans doute pour régler le cas des études en difficultés –, le solde en 9 annuités, dont 4 irrévocables et 5 en fonction du préjudice réellement subi. L’indemnisation serait donc ferme pour les deux tiers, conditionnelle pour un tiers. La faculté d’étalement de la plus-value imposable sur la période de paiement de l’indemnité (10 ans) sera subordonnée à la poursuite d’activité dans le cadre d’une société de vente, et à l’investissement dans cette société d’au moins 50 % de la fraction d’indemnité perçue dès la première année.
Les licenciements
L’indemnisation du personnel licencié serait conforme aux propositions faites au garde des Sceaux. Sur cette base, le personnel recevra une indemnité d’un mois de salaire par année d’ancienneté dans la profession (maximum 30 mois). Pour les licenciements intervenant avant fin 2001, les indemnités sont versées par le fonds d’indemnisation. Toutefois, elles sont imputées sur l’indemnité du commissaire-priseur si celui-ci poursuit son activité dans une société de vente. Les licenciements du personnel des compagnies régionales et de la Chambre nationale sont prises en charge par le fonds d’indemnisation. Il en serait de même pour “toute société dont le capital est détenu en majorité par des commissaires-priseurs ou qui salarie des personnes travaillant au sein d’un office”. On peut penser que cette disposition vaut en priorité pour Drouot SA et Drouot Estimations, mais également pour les sociétés “de moyens” créées par certaines études.
À partir des données nouvelles, le montant de l’indemnisation, calculée suivant les modalités proposées dans le rapport remis au garde des Sceaux en février (avec application du coefficient de 0,5 ou 0,6 mentionné ci-dessus), serait désormais évalué à 624 millions. Le texte propose un taux de 0,9 % et une durée maximum de 10 ans pour la taxe sur les ventes aux enchères qui en assurera le financement, concurremment avec le produit de l’imposition des plus-values sur les indemnités. En ce qui concerne le fonds d’indemnisation, le texte introduit – ce qui est rassurant – un rapport annuel de la commission “sur le déroulement de l’indemnisation et l’équilibre financier du fonds”.
Retour au cumul
D’autre part, le texte tranche en faveur du cumul, critiqué par le rapport transmis au garde des Sceaux, mais défendu par la profession. Il prévoit en effet (article 27) que “les commissaires-priseurs judiciaires peuvent exercer des activités de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques au sein de sociétés à forme commerciale prévues (par) la présente loi”. On voit mal comment cette “cohabitation” s’harmonisera, d’autant que la faculté de vendre directement ou indirectement étant reconnue aux dirigeants, associés et salariés des sociétés de vente par l’article 3, le risque de confusion des genres s’en trouve accru. Techniquement, on ne comprend pas très bien certaines dispositions qui mentionnent une “option”.
Pour assurer la transition, le texte prévoit une période de deux ans pendant laquelle les ventes volontaires pourront être faites par des commissaires-priseurs ou des sociétés de vente.
Un prix garanti
Le texte apporte d’assez nombreuses précisions sur les modalités d’application de la loi. De ce fait, il gagne en clarté et en longueur (65 articles, contre 48 dans le projet de loi de 1997). Globalement, ces précisions visent à permettre aux sociétés de vente d’utiliser certaines pratiques courantes sur le marché international. Si le texte réaffirme que les sociétés agissent comme mandataires du vendeur et ne peuvent acheter ou vendre pour leur propre compte, diverses facultés leur sont cependant ouvertes. Ainsi, le projet précise que “lorsque les dirigeants, les associés et salariés de la société ont un intérêt à la vente, il en est fait mention dans la publicité” (art. 3), ce qui consacre indirectement la licité de cette pratique. D’autre part, il autorise la société à “garantir au vendeur un prix d’adjudication minimal du bien...”. Cette disposition ne pourrait être utilisée qu’à la condition d’un contrat passé entre la société de vente et une société financière ou d’assurances qui seraient déclarées adjudicataires si le prix garanti n’était pas atteint (art. 4). Pour éviter les dérives, le projet interdit à la société de vente de détenir une participation dans la compagnie ou société financière partie à ce contrat.
Avances sur ventes
De la même façon, le texte (art. 5) autorise les avances sur ventes dans la limite de 40 % de l’estimation basse, l’avance devant être garantie par une compagnie d’assurances ou un établissement financier non dépendants de la société de vente. Le texte règle également certaines questions propres au fonctionnement des sociétés de vente et à leurs relations avec la clientèle. Outre les dispositions déjà connues – agrément du Conseil des ventes volontaires, garanties de compétence, d’honorabilité, assurance de responsabilité professionnelle, de représentation des fonds, nomination d’un commissaire aux comptes, présence d’un commissaire-priseur diplômé ou “équivalent”… –, le texte prévoit également des dispositions sur le secret professionnel (dont on peut se demander si elles ne vont pas à l’inverse de la transparence recherchée), les locaux (les informations sur les locaux ne figureraient pas dans les statuts, ce qui est un facteur de souplesse), la tenue du “livre de police” suivant la loi du 30 novembre 1987 (les commissaires-priseurs en sont actuellement exonérés), le paiement et la délivrance de l’objet (paiement au vendeur dans les deux mois, garantie d’éviction de l’acheteur), les sanctions…
Le texte détaille également les conditions de réalisation de ventes occasionnelles en France par des entreprises établies dans d’autres États membres, en particulier les déclarations préalables au Conseil des ventes (3 mois, puis un mois), les garanties professionnelles et financières, l’intervention d’un commissaire-priseur diplômé ou “équivalent”, etc. Ces dispositions visent à assurer la libre prestation de services au regard des règles européennes. La définition des équivalences, renvoyée à un décret en Conseil d’État, donnera la mesure de l’ouverture réelle.
Le Conseil des ventes volontaires
Le projet détaille les dispositions applicables au Conseil des ventes volontaires. En particulier, il le dote de la personnalité morale et d’un pouvoir de répression étendu, ce qui lui assurera une capacité d’action directe, des moyens financiers (sous forme de cotisations versées par les sociétés de vente et les experts agréés), et précise sa composition : cinq personnalités qualifiées désignées par les ministres de la Justice, des Finances, de la Culture, de l’Intérieur et du Commerce, et cinq personnes qualifiées choisies parmi les professionnels, dont un expert, selon des modalités fixées par décret. Dix suppléants seront désignés dans les mêmes conditions. Un magistrat du Parquet exercera les fonctions de commissaire du gouvernement. Au total, une composition qui devrait assurer le pluralisme du Conseil et la représentation des professionnels. Le texte ne reproduit pas les modalités de nomination du président ni les éventuelles incompatibilités figurant dans le projet de 1997 ; on peut penser qu’elles seront reprises dans les décrets d’application. Le texte rappelle que les décisions du Conseil et de son président – habilité à prendre des mesures conservatoires – devront être motivées et seront susceptibles de recours devant la Cour d’appel de Paris.
Les responsabilités et les experts
En ce qui concerne les responsabilités du fait des transactions, le projet conserve les dispositions de 1997 – responsabilité de droit commun, interdiction des clauses d’exonération ou de limitation de responsabilité, délai d’action en responsabilité réduit à 10 ans –, auxquelles les sociétés anglo-saxonnes devront s’habituer. Il faut noter que, contrairement au droit commun des sociétés commerciales, les litiges engageant les sociétés de ventes volontaires relèveront des tribunaux civils (art. 61).
Les dispositions concernant les experts sont légèrement précisées. Le recours aux experts de la liste dressée par le Conseil des ventes reste facultatif ; les huissiers et notaires pourront y avoir recours. L’expert sera inscrit dans une spécialité, deux au plus dans des domaines connexes. Il devra contracter une assurance de responsabilité civile professionnelle. Le texte réintroduit la responsabilité solidaire de l’expert et de l’organisateur de la vente, que n’avait pas prévue le projet de 1997.
L’interdiction d’acheter ou de vendre directement ou indirectement est confirmée. Cette mesure nécessaire – plus rigoureuse que celle applicable aux organisateurs, qui conservent la faculté d’être intéressés aux opérations sous réserve d’information du public – mériterait toutefois un commentaire. En effet, elle pourrait aboutir indirectement à interdire l’association d’experts à des sociétés de vente.
Parmi les dispositions diverses et transitoires, outre celle prévoyant une période de deux ans durant laquelle les ventes volontaires pourront être organisées soit par des commissaires-priseurs, soit par des sociétés de vente, la plus remarquable est celle qui précise (art. 63) que “les actions de la société anonyme Drouot, immatriculée au nom de la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris, sont distribuées aux bénéficiaires désignés par l’assemblée générale de cette compagnie”. Peut-être le législateur veut-il éviter des dissensions ?
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Réforme des ventes publiques : derniers réglages
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°60 du 9 mai 1998, avec le titre suivant : Réforme des ventes publiques : derniers réglages