orteur d’une riche tradition, cet artisan traduit dans le textile les créations d’artistes d’hier comme d’aujourd’hui.
Art pluriséculaire, la tapisserie, probablement originaire d’Orient, apparaît en Occident au XIIe siècle. Mais son expansion véritable remonte à la deuxième moitié du XIVe siècle, période qui voit notamment l’exécution de la Tenture de l’Apocalypse d’Angers (1375). Supplantée par la Flandre après la guerre de Cent Ans, la France s’impose comme un grand centre dans ce domaine seulement aux XVIe et XVIIe siècles. Las de devoir importer des tapisseries flamandes, François Ier crée en 1530 la manufacture de Fontainebleau. À son tour, Henri IV met en place les ateliers de Paris. Enfin, en 1661, Colbert fonde à Paris la Manufacture royale des Gobelins. Charles Le Brun en devient le premier directeur. Sous son administration, la production de la manufacture, destinée à l’ameublement des maisons royales et aux présents diplomatiques, acquiert une réputation internationale qui subsiste trois siècles plus tard. Mais si la renommée des Gobelins reste entière, qu’en est-il aujourd’hui de l’art de la tapisserie ? Comment a-t-il évolué et quelles perspectives offre-t-il aux jeunes lissiers ?
Au moyen d’un miroir
La majorité des ateliers et manufactures tissent encore selon des méthodes traditionnelles. Aux Gobelins, rattachée (avec Beauvais et la Savonnerie) à l’administration du Mobilier national depuis 1937, la technique de la haute-lisse règne en maître depuis 1826. Elle se caractérise par l’emploi d’un métier vertical. Les fils de chaîne (de couleur unie) sont séparés en deux nappes. L’une est laissée libre tandis que l’autre est munie à chaque fil d’une cordelette de coton appelée « lisse ». C’est en actionnant ces lisses d’une main que l’on obtient le croisement des fils nécessaire à l’exécution de la trame, à l’aide d’une broche chargée de fils de laine ou de soie de différentes couleurs. Le lissier travaille, assis derrière son métier, sur l’envers de la tapisserie en surveillant l’endroit au moyen d’un miroir. Le modèle est placé dans son dos. La basse-lisse, pratiquée en particulier à la manufacture de Beauvais, nécessite au contraire l’utilisation d’un métier horizontal et à pédales. L’artisan tisse à l’envers en suivant le dessin du modèle grâce à un papier calque placé sous la chaîne du métier. « Ce procédé permet d’obtenir un tissage plus dense et plus précis qu’en haute lisse », souligne Isabelle King, artiste-lissière à la manufacture de Beauvais. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la tapisserie est le résultat du croisement des fils de chaîne et des fils de trame, ainsi que le fruit de l’habileté technique et du talent d’interprétation du lissier. Ce dernier doit en effet transposer en termes textiles une écriture au départ picturale ou photographique. À partir du carton fourni par l’artiste, il détermine les couleurs à utiliser et le nombre de fils de chaîne nécessaires – plus le dessin est fin, plus ce nombre est élevé. Il faut ensuite être à même de restituer les effets de texture ou de couleurs d’un carton, un exercice plus ou moins périlleux et intéressant selon les modèles. Dans l’atelier parisien de la manufacture de Beauvais, Le Suaire n° 2 d’après Mario Prassinos, une composition répétitive faite de taches noires sur fond blanc, ne présente par exemple pas les mêmes difficultés que Le Chêne de Mambré de Pierre Buraglio, un pastel dont il faut parvenir à rendre les particularités techniques. Le tissage d’une pièce pouvant durer plusieurs années, une certaine anxiété règne dans les ateliers au moment de la répartition de l’ouvrage...
« Métissages »
« L’instauration d’un dialogue, d’une complicité avec l’artiste (ou avec ses ayants droit) est importante pour la réussite d’une pièce. Il faut en outre posséder des compétences en dessin, avoir le sens du tissage, de la matière et des couleurs, être patient et opiniâtre », affirme Gisèle Brivet. Nommée maître d’art en 1995, cette spécialiste de la basse-lisse longtemps active à Aubusson (Creuse) a tissé des cartons de Picasso, Fernand Léger, Jean Lurçat, Hans Hartung et Jacques Lagrange. À la retraite depuis peu, elle brosse un tableau sans détour d’une profession aujourd’hui sinistrée. Le renouveau suscité à partir des années 1940 par Lurçat et le groupe des peintres-cartonniers (Gromaire, Picart Le Doux, Dubreuil, Dom Robert…) n’est plus qu’un lointain souvenir pour cette fille de lissiers. « J’ai connu à mes débuts (la fin des années 1960) les derniers feux de la tapisserie à Aubusson, avant d’assister à l’effondrement de ses principaux ateliers. Il ne reste aujourd’hui ici qu’une vingtaine de lissiers indépendants, tous âgés d’environ 50 ans. Aucun jeune n’assurant la relève, faute de débouchés, le métier risque de s’éteindre. » Cette crise sans précédent s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : caractère dissuasif du coût des tapisseries, absence de galeries spécialisées, désaffection de la clientèle privée et manque d’intérêt des artistes pour ce médium. Afin de remédier à cette situation, la délégation aux Arts plastiques (DAP) œuvre au développement des commandes publiques et à l’essor de la création dans le secteur textile. Elle est notamment à l’origine du projet « Métissages », une initiative originale menée depuis 1996 par Yves Sabourin, chargé de mission « textile » au sein de la DAP, et destinée à favoriser les contacts entre artistes contemporains et artisans-lissiers. Une quarantaine d’artistes d’horizons très différents (de Fabrice Hybert à Christian Lacroix en passant par Annette Messager, Jean-Michel Othoniel, Frédéric Ollereau ou Jean-Luc Verna), se sont déjà prêtés au jeu. Leurs réalisations, tissées dans des ateliers privés d’Aubusson, Beauvais ou Felletin, sont présentées dans le cadre d’expositions avant de rejoindre les collections publiques.
Œuvrant également à l’enrichissement de ces collections, les trois manufactures nationales de tapis et tapisseries (les Gobelins, Beauvais et la Savonnerie) emploient quelque 150 personnes chargées de tisser pour l’Élysée, les ministères ou les ambassades. Ces professionnels ont suivi, à l’issue d’un test de sélection, une formation « maison » de quatre ans. Pour y prétendre, les candidats doivent être âgés de 16 à 23 ans, avoir le niveau brevet des collèges, de bonnes dispositions pour le dessin et le goût du travail minutieux. Ils passent à la fin de leur apprentissage le diplôme d’artiste-lissier ou de restaurateur (homologué au niveau IV), puis peuvent se présenter au concours de technicien d’art du ministère de la Culture. Cette épreuve donne accès à des emplois de catégorie B dans les ateliers des manufactures nationales et du Mobilier national, qui possède un centre de restauration spécialisé dans le textile. Des entreprises privées officient également dans le domaine de la restauration de tapis et tapisserie, tel Chevalier Conservation, qui emploie une quinzaine de rentrayeurs détenteurs d’un CAP, d’un BMA (brevet des métiers d’art), d’une MST (maîtrise de science et technique) ou d’un diplôme de l’Ifroa (département des restaurateurs du patrimoine). Le récent dépôt de bilan de la société Bobin, principal concurrent de Chevalier, montre toutefois que ce secteur n’est pas non plus épargné par les difficultés.
- École nationale d’art décoratif (ÉNAD) Limoges-Aubusson, tél. 05 55 83 05 40. - Mobilier national et Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, tél. 01 44 08 52 00. Visites, réservations au 01 44 54 19 33. - À lire : Métiers d’art n° 207, janv-fév. 2003 (www.eurosema.com)
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Lissier
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Lissier