Le rapport du Conseil des impôts est très critiqué
Claude Blaizot, président du Syndicat national des antiquaires
Cette proposition nous inquiète. Nous craignons que l’introduction des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF devienne source de tensions avec des collectionneurs qui renâcleront à déclarer leurs biens. Le marché est déjà en train de se délocaliser. La fuite des objets d’art vers l’étranger risque de s’accroître encore. Se pose aussi le problème de l’application et du contrôle de ces déclarations de biens qui risquent de hérisser les collectionneurs, et ce pour un rendement fiscal très aléatoire.
Gérard Champin, président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs
Je suis tout à fait hostile à l’intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF, pour plusieurs raisons. Le Conseil des impôts présente cette proposition comme un moyen de parvenir à une moralisation du système. Or, il n’en sera rien puisqu’il s’agit d’un système forfaitaire. Les collectionneurs ne vont payer que 5 % de leur patrimoine, ce qui fait que l’on aura toujours la même inégalité. On ne taxera que les petits détenteurs et non les grands. On conjuguera à la fois une base élargie de l’ISF et un taux élevé, ce qui n’existe nulle part ailleurs. Ce sera dramatique pour le marché de l’art. On arrivera ainsi à la disparition à terme du marché officiel, car dans un système d’imposition où il appartient à chacun de déclarer ses biens, les propriétaires risquent d’occulter la propriété de leurs objets d’art. Le marché national disparaîtra, et les collectionneurs vendront soit à l’étranger, soit sous le manteau. Sur le plan pratique, il en résultera un élargissement du marché parallèle. Les prêts aux musées disparaîtront, car les gens ne feront pas connaître leurs objets d’art.
Marc Blondeau, expert
Un Français a eu le courage de racheter une maison de vente prestigieuse avec la volonté que Paris redevienne un centre international du marché de l’art et, au même moment, on découvre cette proposition du Conseil des impôts. On a l’impression que tout est fait pour décourager les acteurs du marché. C’est d’autant plus malheureux qu’il s’agit d’un impôt purement politique et idéologique, qui ne rapporte pas. Il semble que la culture ne soit plus une préoccupation aujourd’hui pour les pouvoirs publics, ce qui est navrant. Il s’agit de vues à court terme. Les Britanniques ont conquis le marché de l’art dans les années cinquante car la France était pénalisée par des taxes. Nous vivons aujourd’hui et dans les six mois à venir un tournant décisif, qui pourrait se traduire par un retour de ce marché sur les bords de la Seine et par l’établissement d’un axe New York-Paris. Mais, malheureusement, tout est fait pour décourager la réussite de ce projet. Ce n’est pas le chiffre d’affaires réalisé par le marché de l’art en lui-même qui importe le plus, mais toute l’activité annexe, c’est-à-dire celle de dizaines de milliers de personnes qui travaillent dans l’hôtellerie, le luxe, la décoration, qui risquent de se trouvées fragilisées.
Marwan Hoss, galeriste
Cette proposition est une aberration dans le contexte actuel en France, où le marché de l’art est extrêmement fragile. Les œuvres d’art font partie d’un patrimoine culturel. Doit-on taxer une œuvre d’art au même titre qu’une piscine ? Ce serait ridicule. Il s’agirait d’une véritable déclaration de guerre qui traduirait une volonté de détruire ce que nous essayons de préserver.
Jérôme de Noirmont, galeriste
Cette mesure risquerait d’entraîner la fermeture d’un grand nombre de galeries et la fuite du patrimoine. Ce serait une vraie catastrophe. C’est aussi une mesure hypocrite venant de la part de socialo-communistes appartenant à la même famille politique que les Fabius, Dumas, Marchais, qui collectionnent eux-mêmes des objets d’art. C’est une mesure très politique, peu crédible tant au niveau fiscal, constitutionnel, qu’économique (cet impôt ne rapportera rien). Elle risquerait de favoriser encore l’exportation des œuvres d’art hors de France, sachant que l’on est déjà exonéré de TVA lorsque l’on vend une œuvre qui part dans un pays étranger. Il vaudrait mieux accroître la fiscalité sur les plus-values réalisées lors des ventes plutôt qu’élargir l’assiette de l’ISF. L’attitude la plus cohérente consisterait à diminuer les taxes, ce qui permettrait de relocaliser le marché vers la France aux dépends de la Grande-Bretagne, dont la prospérité ne tient qu’à l’activité des maisons de vente. Les recettes fiscales engrangées seraient, en outre, plus importantes pour le budget de l’État.
Catherine Trautmann a signifié à Bercy son opposition à toute intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF. La ministre de la Culture s’appuie sur un autre rapport, celui d’André Chandernagor, président de l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art sur “Les conditions du développement du marché de l’art en France”? (lire le JdA n° 61, 22 mai). “Il ne semble pas que les raisons qui, dès l’origine, ont conduit à exonérer les œuvres d’art aient perdu de leur valeur : difficulté d’évaluation, facilité de dissimulation, accroissement de la fraude et de l’évasion vers l’étranger, refus de participation des propriétaires privés à la politique culturelle de l’État et des collectivités territoriales (expositions, mécénat)”?, souligne M. Chandernagor. “Il faut maintenir pour les œuvres d’art l’exemption de l’impôt sur le capital (soit les autres pays n’exemptent pas, soit ils ont comme nous une taxe sur les plus-values)”?, conclut-il.
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Levée de boucliers
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Levée de boucliers