Catherine Trautmann avait confié à André Chandernagor une “mission d’analyse de la situation et des problèmes actuels, et de propositions permettant de développer le marché de l’art�?. Dans son rapport, le président de l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art préconise en particulier une exonération généralisée en matière de TVA à l’importation, un taux uniforme de la taxe sur les plus-values, une prise en charge du droit de suite par l’acheteur, des mesures en faveur de la protection du patrimoine…
PARIS - À propos de la TVA sur les ventes, André Chandernagor relativise les écarts en rapprochant les 8,5 % de la sales tax à New York, les 6,5 % de TVA en Suisse et les 6,18 % de TVA en France (lorsque la TVA peut être appliquée sur la marge forfaitaire de 30 % du prix de vente), et en rappelant que la TVA est sans effet pour les collectionneurs internationaux non résidents européens. Il souligne toutefois la disparité supportée par les galeries d’art entre la France – TVA à 20,60 % et pas de récupération de la TVA en amont si la vente est soumise à la TVA sur la marge forfaitaire – et l’Allemagne, qui bénéficie d’une dérogation avec application du taux réduit de 7 % sur le prix total et récupération de la TVA sur les achats. Pour mettre fin à cet écart, il préconise soit la suppression de la dérogation (qui vient à échéance le 30 juin 1999), soit la généralisation du système allemand, ce qui nécessiterait de renégocier la 7e Directive.
La taxe à l’importation
Le rapport traite de façon séparée la taxe à l’importation. Rappelant qu’elle pénalise indiscutablement le marché français par rapport à New York (ni TVA, ni taxe d’importation équivalente) ou à Londres (TVA à 2,5 % du fait de la dérogation obtenue par le Royaume-Uni), et soulignant son faible rendement pour le Trésor (environ 40 millions par an), André Chandernagor recommande une alliance avec les Britanniques afin d’obtenir des autorités européennes un allégement ou une exonération généralisée, toutefois limitée aux œuvres de plus de 50 ans d’âge pour éviter de pénaliser les artistes français et européens soumis à la TVA au taux réduit, qui pourraient se voir léser par la suppression ou l’allégement de la TVA à l’import.
S’agissant de la taxe forfaitaire (sur les plus-values), le rapport souligne que la plupart des grands États soumettent les objets d’art à l’imposition sur le capital (Allemagne, Suisse, Belgique, Espagne) ou les plus-values (Royaume-Uni, États-Unis), et en déduit qu’il “ne semble pas que la taxe sur les plus-values soit pénalisante pour le marché français”, compte tenu de l’exemption de l’Impôt sur la fortune (ISF). Il critique en revanche le différentiel de taux entre les ventes publiques et les achats des négociants (2,5 %) et prône “un taux uniforme de la taxe, se situant à la moyenne des deux taux actuellement en vigueur”. Le texte s’étend sur l’épineuse question du droit de suite, en tenant compte de sa généralisation en cours en Europe, malgré la résistance britannique.
Le droit de suite payé par l’acheteur
Il préconise un taux de perception, linéaire ou dégressif, d’un maximum de 1 % pour la tranche de prix supérieure à 500 000 francs, et la prise en charge de la taxe par l’acheteur au lieu du vendeur. La réduction du taux pourrait être compensée par un élargissement de l’assiette, déjà en partie réalisée depuis 1997 avec l’allongement du délai de perception de 50 à 70 ans – transposition en droit français d’une directive européenne sur l’harmonisation du droit d’auteur – et, plus difficile à mettre en œuvre, par son extension aux galeries, ce qui pose le problème de la contribution à la Sécurité sociale des artistes qu’elles supportent. André Chandernagor rappelle que la réglementation française est en porte-à-faux, l’État ayant déjà été condamné en 1993 pour n’avoir pas publié les décrets d’application de la loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique qui étendait le droit de suite aux galeries, mais estime que l’application des propositions de la Commission alourdirait à l’excès les charges des galeries. L’auteur ne voit d’autre solution que la limitation de la directive à venir aux seules ventes publiques, ou la mise en place d’un système s’inspirant de celui adopté par les professionnels allemands (un forfait optionnel couvrant le droit de suite et la contribution à la Sécurité sociale des artistes).
S’agissant du droit de reproduction, il relève la nécessité d’une modification technique de la loi du 27 mars 1997, qui a exonéré les catalogues de ventes publiques après l’affaire Utrillo et ne mentionne que les ventes aux enchères des officiers ministériels, ainsi que la suppression, à cette occasion, de la distorsion entre les catalogues de ventes publiques, exonérés de droit de reproduction, et ceux des négociants qui ne le sont pas.
S’attachant ensuite à la fiabilité du marché, le président de l’Observatoire examine la question des experts. Il approuve la proposition d’une liste dressée sous le contrôle du Conseil des ventes volontaires, incluse dans le projet de réforme des ventes publiques. Il demande cependant plus de précision sur la composition du conseil, pour apporter toutes garanties de “compétence, d’indépendance et de pluralisme”, et suggère de compléter le nom du conseil en l’intitulant “conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et de l’expertise”, afin de tenir compte de son rôle en la matière qui dépassera le seul champ des ventes aux enchères.
Quarante refus de certificat
À propos de la protection du patrimoine, André Chandernagor constate que le système français du certificat de libre circulation fonctionne bien (rappel utile car, lors de la mise en place du dispositif en 1993, de nombreux intéressés avaient pronostiqué une thrombose du système). Il souligne le blocage entraîné par l’affaire Walter, qui interdit pratiquement le classement des œuvres les plus importantes et donc leur maintien en France. Si le problème est cantonné – environ 40 refus de certificat sur 13 000 demandes instruites en cinq ans –, il doit cependant être résolu. Le texte passe en revue les propositions : achat à “dire d’experts” avec possibilité de refus indéfini du certificat si le propriétaire refuse la transaction (système inspiré de la Grande-Bretagne) ; remplacement de l’indemnisation en cas de classement d’office par des exonérations fiscales sur les droits de succession ; sur la taxe forfaitaire... Il propose également des aménagements techniques : transfert de la compétence en matière d’indemnisation après classement, des tribunaux judiciaires aux tribunaux administratifs ; allongement de la durée du certificat, indéfinie pour les œuvres de plus de 100 ans, 20 ans pour les autres ; impossibilité de refus de certificat ou de classement pour les œuvres importées depuis moins de 50 ans. André Chandernagor rappelle également que les solutions techniques ne dispenseront pas de consacrer des moyens financiers accrus aux acquisitions. Dans la ligne du Royaume-Uni, et plus récemment de l’Italie, et suivant une proposition du rapport Aicardi, il recommande l’affectation d’une part “préfixée” des recettes de la Française des Jeux, qui viendrait abonder les dotations budgétaires réservées aux acquisitions ordinaires.
On se doute que les différentes propositions du rapport Chandernagor risquent d’indisposer Bercy. Au-delà des chiffres, qui resteront modestes, la question deviendra à nouveau celle de choix politiques dépendant de l’idée, de l’image du marché, elles-mêmes dépendantes de l’action des professionnels. Il faut souligner que Catherine Trautmann a réaffirmé le rôle de l’Observatoire en soulignant, dans la lettre de mission, sa “volonté d’associer plus étroitement l’Observatoire à la réflexion sur l’évolution du marché de l’art”, et ajoutant : “Votre groupe de travail est un lieu essentiel de dialogue et de concertation avec les organisations professionnelles”. Il est vrai que le marché de l’art peine à créer des instances interprofessionnelles représentatives, en mesure de faire connaître à
l’État les attentes du marché. C’est ce qui détermine la singularité et les limites de l’approche. Car si l’Observatoire a permis à André Chandernagor d’avoir une vision rapprochée des problèmes, il ne fonctionne pas comme une structure professionnelle classique, c’est-à-dire qu’il n’engage pas ses membres. En ratissant large, André Chandernagor a pallié cet inconvénient. Il reste aux syndicats à lui emboîter le pas pour donner un poids interprofessionnel à cette réflexion, désigner les priorités, et démontrer que leur marché, à la charnière de la création et de la diffusion culturelle, est une composante même de l’exception culturelle.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les propositions Chandernagor
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°61 du 22 mai 1998, avec le titre suivant : Les propositions Chandernagor