Dans son étude sur les académies de la Renaissance au XXe siècle, parue en 1940 et rééditée aujourd’hui, l’historien fait l’éloge de la prise en main de l’enseignement artistique par une autorité forte œuvrant pour le bien de l’État.
Nikolaus Pevsner est connu de tous les étudiants en histoire de l’art : il est l’auteur du Génie de l’architecture européenne. Cependant, beaucoup ignorent l’existence de son ouvrage sur les académies, paru en 1940 en Angleterre sous le titre Academies of Art. Past and Present. Longtemps, les chercheurs l’ont consulté dans la langue originale, car il n’a été traduit en français qu’en 1999 par Jean-Jacques Bretou, acccompagné d’une longue présentation d’Antonio Pinelli. La présente édition reprend intégralement celle de 1999.
Nikolaus Pevsner (1902-1983) naît à Leipzig de parents juifs russes. En 1933, les nazis lui interdisent d’enseigner l’histoire de l’art et il s’installe en Angleterre où il poursuivra sa carrière. Son livre sur les académies est le fruit de recherches entamées en Allemagne « entre 1930 et 1933 », précise-t-il dans la préface à la seconde édition du livre, reprise dans la présente édition française. Pevsner y juge que son travail est toujours d’actualité, les recherches sur les académies étant encore balbutiantes. Si c’est moins le cas aujourd’hui, l’ouvrage reste une référence, tant pour sa bibliographie (augmentée par Antonio Pinelli) que pour son important appareil critique. En outre, il demeure un jalon dans l’histoire de l’art au XXe siècle.
Dans son introduction, l’auteur précise que le mot « académie » recouvre des réalités diverses selon l’époque, le lieu et l’objet. Il s’intéresse notamment à l’Académie française et établit un lien entre la fondation d’académies et l’absolutisme. Le chapitre suivant est consacré au XVIe siècle et débute par cette question : qu’était exactement l’Académie Léonard de Vinci ? Un groupe de discussion et non une école, répond Pevsner, même si Léonard a défendu l’idée d’une formation théorique destinée aux futurs artistes. C’est Vasari qui, le premier, propose la création d’une académie au sens moderne du terme. Pevsner écrit : « Le fait que l’entreprise ait débuté sous les auspices du maniérisme, le plus schématique et le plus “totalitaire” de tous les styles modernes, et l’un des plus attachés à reprendre des compositions, des personnages, des détails dans les œuvres des grands maîtres classiques, détermina le caractère et la destinée des académies d’art jusqu’au XXe siècle. »
Au temps du baroque et du rococo (1600-1750), des académies privées comme celle des Carrache voient le jour en Italie sans entamer le système des corporations, les maîtres dispensant l’apprentissage, « étape initiale dans l’éducation de l’artiste ». En France, l’Académie royale est fondée en 1648 et on y délivre des cours de dessin d’après nature. Mais, poursuit Pevsner, c’est en 1661 que la donne change avec l’élection de Colbert comme protecteur, alors que Le Brun, membre fondateur, Premier peintre du Roi, en est devenu chancelier. « Le roi (c’est-à-dire Colbert) pouvait évidemment imposer beaucoup plus facilement ses souhaits et ses intentions aux membres d’une Académie royale qu’à une association privée, une corporation ou une université. » En réalité, Pevsner veut montrer que le but de l’institution, dans l’optique du mercantilisme colbertiste, était d’établir un goût français dans les arts appliqués qui, améliorés, deviendraient une source de revenus. Mais l’esprit d’indépendance des académiciens, les querelles avec les corporations et le maintien de la formation initiale des artistes dans le cadre des corporations eurent raison de ce beau projet.
L’historien détaille ensuite le foisonnement d’initiatives publiques et privées d’enseignement de l’art en Europe. En France, le déclin de l’Académie royale laissait le champ libre aux académies privées qui se développèrent encore au XIXe siècle. Partout en Europe se formaient des artistes : « S’ils se lançaient dans le style officiel, ils avaient l’espoir d’obtenir des commandes publiques […]. Mais si leur génie les entraînait vers un art nouveau, […] il leur fallait attendre que des mécènes enthousiastes se manifestent. Un prolétariat d’artistes, constitué d’une multitude de talents médiocres et de quelques génies, caractérise le XIXe siècle. »
Il fallait qu’advienne, selon Pevsner, « le sentiment rédempteur insufflé par l’abandon de l’art pour l’art au profit du service de la société ». La réaction eut lieu en Allemagne qui, après la Première Guerre mondiale, dut, pour se renflouer, exporter « des produits de bonne qualité ». Les académies formeraient des praticiens pour cela. « Ainsi, on peut conclure que, de toutes les nations européennes, l’Allemagne, depuis 1918, est celle qui est allée le plus loin, en réformant ses académies d’art, et en les intégrant dans un même ensemble avec les écoles de métiers et de dessin industriel. »
Après avoir fait l’éloge du Bauhaus qui a marqué sa jeunesse, Pevsner conclut en dépassant son statut d’historien pour devenir prescripteur : « Si l’on souhaite un retour au libéralisme, il ne faut pas s’attendre à une unité consciente de l’enseignement artistique, pas plus qu’à un aménagement concerté des villes et des rues. L’Art sera le privilège du génie, et l’art dans lequel nous baignons tous se décomposera en des réalisations individuelles. Si l’on souhaite en revanche des villes, des rues, des maisons aménagées de façon cohérente, l’intervention de l’État est nécessaire, qui empiétera sur les libertés civiques. […] Une école comme le Bauhaus ne peut exister que dans un cadre officiel et ne peut évidemment réussir que sous la direction d’une forte personnalité, et non de comités soumis au vote majoritaire. » Nul doute qu’en 1940 certains Britanniques ont dû être choqués de cet éloge de l’absolutisme.
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Le manifeste absolutiste de Nikolaus Pevsner
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : Le manifeste absolutiste de Nikolaus Pevsner