Installée dans les locaux de l’Académie Julian, fondée en 1867 à Paris, l’école fait entrer le dessin dans l’ère numérique.
PARIS - Les images nous cernent. Dans la rue, au travail, à notre domicile, l’écran est partout. Objets connectés, réseaux sociaux, télévision linéaire et non linéaire (sur l’écran de mon choix, le programme de mon choix), les pratiques se cumulent tandis que les métiers de la création numérique ont le vent en poupe. Selon le rapport Tomorrow’s Jobs publié en 2016 par Microsoft et The future Laboratory, 65 % des étudiants actuels exerceront des métiers qui n’existent pas encore et, en 2025, des dizaines de millions d’humains passeront plusieurs heures par jour dans des environnements de réalité virtuelle. En ces temps de mutation où les algorithmes fascinent, Penninghen s’emploie à former des graphistes multimedia, webdesigner, motion designer, illustrateur 3D, directeur artistique… agiles, inventifs, à la pointe des évolutions techniques et sociétales, tout en cultivant ses enseignements historiques. Gilles Poplin, directeur de l’école, le confirme : « La pratique artistique, même appliquée, requiert le dessin, vecteur de singularité. »
« Une manière d’être au monde »
Professeur de dessin à Penninghen, l’artiste peintre chantalpetit [ndlr, graphie du nom voulue par l’artiste] insiste : « Le dessin, c’est la pensée même, une manière d’être au monde, un mode de connaissance. Je propose aux étudiants un voyage pour leur apprendre à voir, à comprendre le réel. De la contemplation naîtra l’invention. Une improvisation vivifiante se développe entre nous, qui leur permet d’acquérir et de mémoriser le vocabulaire des formes dont ils pourront ensuite se resservir. » École pluridisciplinaire, Penninghen offre deux filières de formation (niveau master), la direction artistique et l’architecture intérieure, et dispense à ses étudiants en graphisme des cours notamment de typographie, création graphique, illustration, photographie, animation, histoire de l’art et dessin… L’obligation est d’être bon partout. Pour Éléonore Sabaté, 27 ans, aujourd’hui directrice artistique free-lance, « le dessin, c’est ce qu’il y a de plus jubilatoire ! La formation est difficile, mais personne n’arrive en cinquième année sans aimer le dessin. On teste, on expérimente, on finit par trouver son style personnel. » Durant sa formation, la jeune designer a exploré le champ du design génératif (la machine générant une forme à partir d’un protocole défini), puis a consacré son diplôme à la ligne, ligne « trace » ou ligne fragmentée. « Après l’apprentissage du dessin académique, les cours de croquis sont très libres. Dessiner, c’est un excellent exercice pour le cerveau ! » En quelque sorte, la garantie de la curiosité au monde.
Les cours donnent lieu à des travaux sur modèle vivant ou sur des thèmes comme les araignées, le cheval ou encore « jouir » à l’occasion d’un partenariat fin 2016 avec la revue d’ethnologie européenne Terrain. Les intérêts et les parcours des étudiants sont multiples, tout comme le sont leurs activités professionnelles à l’issue de l’école.
Darknet
Scott Renau, 25 ans, directeur artistique free-lance, a dédié son diplôme à la réalité virtuelle, au Darknet, et a plongé dans l’internet souterrain, ce monde des tréfonds non réglementé, non accessible via les moteurs de recherche ordinaires, où l’on peut communiquer de manière anonyme et se procurer des armes ou de la drogue. « On ne peut pas vivre dans l’écran ! Il faut savoir prendre son temps, ne pas se ruer sur la machine, d’abord manier le crayon, toucher le papier. Le dessin pousse à construire son idée. » Aujourd’hui, après plusieurs collaborations avec l’univers du luxe et de la mode, puis avec l’agence Bonsoir Paris autour du nouvel espace de Mk2 consacré à la réalité virtuelle, Scott Renau revient parfois à ses carnets de dessin de l’école. « On nous interdisait d’avoir des carnets à spirales afin de ne pas arracher les pages et ainsi conserver nos erreurs. Je continue à les regarder ! » Le jeune designer glisse naturellement du dessin à la composition graphique, incorpore la sensibilité du réel à la création numérique et s’enrichit de cette mixité. Quant à Thibault Tanguy, 31 ans, designer d’interface mobile chez Stootie, start-up prometteuse de l’économie collaborative, il se veut avant tout au service de l’utilisateur. Dès l’école, il fait le choix d’articuler enjeux humains, techniques et créatifs, et consacre son diplôme aux SDF en s’immergeant dans le monde la rue. « J’essaie d’être un artisan du bien faire. Comme le créateur d’une chaise qui doit respecter les règles de l’assemblage, je dois connaître les normes techniques pour faire des interfaces pertinentes. Ce qui fait ma différence, ma force, c’est le dessin. On me demande de réfléchir à un concept, très vite, je sais mettre en image mon idée. » Les métiers « d’expérience utilisateur UI/UX » (User Interface/User Expérience) sont en pleine expansion et s’insèrent dans une chaîne complexe où différents professionnels se côtoient. « Le dessin me permet de me faire comprendre de tous, alors que techniciens, développeurs et investisseurs ont des langages différents. C’est une arme universelle ! »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le dessin à l’heure du numérique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Le dessin à l’heure du numérique