Si le travail sur la forge est courant chez les artisans métalliers, rares sont ceux qui adoptent une démarche conceptuelle.
Jean-Louis Hurlin est un forgeron d’art atypique. « La technique et le savoir-faire ne me nourrissent pas », explique celui qui est pourtant passé maître dans l’art du damas, une technique de travail du métal ancestrale. Déjà utilisée par les Hittites en Anatolie, vers 2000 avant J.-C., elle permet de produire un alliage de fer et d’acier, à la fois tranchant et souple. Le damas consiste, en effet, à créer un stratifié de métal, par battage au marteau d’aciers doux et durs, soudés au feu à près de 1 500 °C afin de rendre la matière malléable. Étiré et replié en différentes couches, comme un feuilletage pâtissier, le métal est ensuite travaillé à la meule ou par torsage pour mettre en valeur quelques-unes des couches, puis plongé dans un bain d’acide qui révèle, après polissage, des motifs décoratifs. La technique – le nom vient probablement du tissu de Damas qui a un même aspect moiré – a permis d’obtenir des lames d’un tranchant et d’une solidité exceptionnels, qui ont fait la réputation des armes blanches des guerriers mérovingiens ou des sabres des samouraïs. Après avoir appris « sur le tas » la technique, Jean-Louis Hurlin a choisi d’en détourner l’usage traditionnel pour créer des pièces originales. « Je préfère les objets et la sculpture », commente l’intéressé. Installé à Plappeville, près de Metz (Moselle), depuis une vingtaine d’années, cet artisan-artiste a suivi un parcours atypique, ponctué de rencontres décisives. Après une formation de ferronnier, « plutôt métallier », il part dans le Lot dans les années 1970, suivant le mouvement de « retour à la terre ». Il y rencontre un forgeron qui l’initie. « Le travail à la forge consiste à transformer à chaud du métal, sur une enclume ou à l’aide d’un marteau-pilon, explique t-il. La masse de matériau de départ est la même qu’à l’arrivée, c’est la différence avec le travail du sculpteur : la matière n’est ni enlevée ni ajoutée ». Tous les artisans du métal ne disposent toutefois pas de forge, même si l’outillage spécifique n’est pas d’un coût prohibitif. « Lorsque l’on est un peu bricoleur, on peut fabriquer soi-même des outils », fait remarquer Jean-Louis Hurlin. C’est ce qui différencie les ferronniers, qui se contentent parfois d’assembler les pièces de métal, des forgerons qui transforment la matière pour créer tous types d’objets. Les discussions avec un cousin, entré aux beaux-arts, initieront ensuite Jean-Louis Hurlin aux arts plastiques, et notamment au travail de Richard Serra ou de Julio González, tous deux sculpteurs de métal. Quelques voyages, auprès de forgerons du Tassili algérien, achèvent de l’orienter vers une voie plus conceptuelle quand la plupart des forgerons se consacrent à la ferronnerie ou à la coutellerie. La reconnaissance viendra progressivement, notamment grâce au titre de Maître d’art, décerné en 2000 par le ministère de la Culture. S’il lui a ouvert les portes des galeries d’exposition, le dispositif lui a également permis de transmettre ses connaissances, pendant 3 ans, à un élève, Gabriel Goerger. Formé à l’école des Arts déco de Strasbourg, ce dernier avait logiquement des accointances artistiques. Il vole aujourd’hui de ses propres ailes et a ouvert sa forge en 2004, en Alsace, à Uttenheim (Bas-Rhin). Il y fabrique des pièces sur commande, dont des éléments de ferronnerie, mais aussi des objets dans une veine proche de celle de son maître d’apprentissage, exaltant les qualités plastiques du métal damassé, telles ces lames inuits ou ces tsubas, gardes de sabres japonais. Certaines créations sont réalisées en collaboration avec d’autres artisans d’art, spécialistes du travail du bois. Gabriel Goerger s’adonne également à une autre activité : les ateliers d’initiation à la forge, ouverts à tous publics. Organisés aussi bien sur le site archéologique de Bibracte que dans des quartiers sensibles de Strasbourg, ils sont aussi une manière de sensibiliser à ce travail méconnu et de promouvoir un savoir-faire rare.
Le CAP Métallerie permet une initiation aux arts du métal même si le travail de la forge, ainsi que la technique du damas, s’apprennent plutôt au contact d’autres professionnels.
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Forgeron d’art
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Forgeron d’art