MULHOUSE
David Cascaro, directeur de l’école d’art Le Quai à Mulhouse, livre sa vision de la politique en faveur de l’art contemporain.
David Cascaro, né en 1971, est diplômé en droit et docteur en sciences politiques (Paris-II). En 1998, il fonde avec d’autres passionnés l’association Apprendre à regarder, développant une approche individuelle de l’art. Directeur des publics au Palais de Tokyo de 2000 à 2006, il y met en place notamment les promenades « Tokyorama », le site éducatif « Tokyoskool » et une importante équipe de médiateurs culturels. Depuis juillet 2006, il dirige Le Quai, l’école supérieure d’art de Mulhouse. Il est l’auteur de l’ouvrage Édouard Pignon et la politique (éd. LGDJ, 1995) et d’articles sur la politique de l’art contemporain et la question des publics. Il est membre du Comité d’Histoire du ministère de la Culture. David Cascaro commente l’actualité.
École d’art Le Quai, commandes publiques dans le cadre du tramway, « Mulhouse 008 », future Kunsthalle : Mulhouse [Haut-Rhin] semble particulièrement dynamique sur le plan de l’art contemporain. Comment expliquez-vous à la fois le foisonnement de ces projets et leur relative discrétion ?
Chaque jour, des centaines de Mulhousiens écoutent du Pierre Henry et glissent sous des arches bicolores dessinées par Daniel Buren en empruntant le tramway. D’autres vivent dans des appartements imaginés par Shigeru Ban ou Jean Nouvel. Récemment reliée au TGV, Mulhouse se bat contre l’image de province qui affecte encore trop de villes françaises. La Foire de Bâle est l’occasion de réaffirmer sa dimension trinationale (la Suisse et l’Allemagne se trouvent à 20 min). À Mulhouse, l’art contemporain est envisagé comme un projet global touchant à l’environnement (cité-manifeste, Fonderie), à la sensibilisation de tous (ateliers pour enfants, cours du soir, artothèque), à la formation et à l’accompagnement des artistes (l’école, les résidences, Mulhouse 00). La présence de nombreuses friches industrielles, comme la récente conversion de l’usine Manurhin, offre de belles perspectives d’ateliers. Le lancement cet hiver de la Kunsthalle de la Fonderie achèvera le dispositif avec une ambition internationale renouvelée, la programmation artistique étant confiée à un(e) commissaire européen (ne). Un directeur d’école d’art ne pouvait rêver meilleure situation, due à la passion de Michel Samuel-Weis, maire adjoint à la culture et collectionneur très avisé d’art contemporain !
Du 1er au 4 juin, « Mulhouse 008 » accueille un vaste ensemble d’œuvres réalisées par les étudiants des écoles supérieures d’art de France, de Suisse, d’Italie et d’Allemagne. Quel est selon vous l’impact de cette manifestation qui se déroule en même temps que la Foire de Bâle ?
Avant d’arriver à Mulhouse, je ne connaissais pas cette manifestation très attendue dans les écoles d’art. Avec des conditions professionnelles de foire, de vrais échanges européens et des prix intéressants (exposition personnelle avec catalogue, résidence au Musée de Collioure, prix des FRAC [Fonds régionaux d’art contemporain] du Grand-Est, exposition à la galerie parisienne Michel Rein en 2007, etc.), Mulhouse 00 donne une vision panoramique de la création émergente. Cette année, l’école y organise le « Forum 008 », qui donne l’occasion aux jeunes artistes de rencontrer des représentants des réseaux professionnels : post-diplôme, résidence, bourse, atelier… Nous œuvrons pour attirer les nombreux visiteurs d’Art Basel et tous les étudiants et artistes du Grand Est. J’ai trouvé dans cette région une vie artistique de qualité révélée par la « Regionale » (exposition annuelle transfrontalière) et par un réseau de l’art contemporain en Alsace, conscient de son potentiel touristique.
Plus généralement, comment jugez-vous le niveau des écoles d’art françaises par rapport à leurs homologues à l’étranger ?
Il faut prendre garde aux palmarès mesurant le niveau d’une école au nombre d’artistes qu’elle produit par an sur le marché ! Je crois que l’efficacité d’une école d’art se situe dans l’équilibre entre le « cloître », laboratoire d’expérimentation, et le « quai », qui favorise toutes les ouvertures au monde contemporain. En croisant l’art, le design et la communication, et au moyen d’une pédagogie centrée sur le projet personnel de l’étudiant, les écoles d’art françaises favorisent le développement de nouvelles pratiques et contribuent à la redéfinition des champs d’activités. Ce qui garantit le niveau d’une école, en France ou à l’étranger, c’est surtout la liberté qu’on lui laisse d’inventer et de recruter ! La difficulté en France vient, entre autres, du grand nombre d’écoles et de la superposition du système universitaire à celui des écoles d’art.
Le Quai lance à la rentrée le programme « SONIC ». En quoi consiste-t-il ?
« SONIC art & design » est un programme de formation ouvert aux étudiants de la 2e à la 5e année désireux de développer une recherche dans les domaines de l’art audio et/ou du design sonore. Une connaissance des pratiques artistiques historiques et des techniques contemporaines et de nombreuses collaborations avec des artistes et des designers internationaux donneront à nos étudiants un profil original, à l’heure où le son est partie prenante d’un design global.
Dans le cadre de la RGPP (révision générale des politiques publiques), la DAP (délégation aux Arts plastiques) risque d’être absorbée dans une grande direction dévolue à la création. Cette disparition ne représente-t-elle pas un danger pour le soutien aux arts plastiques en France ?
En considérant que la mission de la DAP était de rendre légitime l’art vivant, d’aménager le territoire et de transmettre aux collectivités locales le goût et la compétence de l’art contemporain, sa disparition ne peut inquiéter tant le paysage français a été transformé depuis 1982. L’implantation des FRAC dans chaque région, la multiplication des programmes de résidences, l’accroissement du nombre de lieux d’exposition et de biennales (Lyon, Nantes, Le Havre, Rennes) ont fait passer l’art contemporain de quelques passions privées aux affaires publiques.
Finançant l’essentiel des politiques culturelles, les villes développent désormais une réelle expertise. Un new deal est à l’œuvre offrant à l’État le rôle indispensable de modérateur. À côté de la réalisation des études et des évaluations, l’État doit rester avant tout l’aménageur du territoire national. Mais il lui est difficile de contenir le suréquipement culturel régional quand lui-même n’a cessé de bâtir à Paris des musées et des cités budgétivores…
De notre côté, les écoles d’art attendent de la DAP, ou de toute autre administration, qu’elle préserve leurs spécificités, notamment en garantissant le statut de leurs enseignants, écoles nationales et régionales confondues. Soutenus par l’État, les projets de nouvelles écoles (Biarritz, Arras) comme le regroupement de certaines d’entre elles (Saint-Étienne, Valence) en établissements mêlant activités de diffusion (biennale, scène nationale) et d’enseignement compliquent la donne à l’heure de la réforme « LMD » [Licence Master Doctorat].
L’exposition « Monumenta » de Richard Serra, présentée actuellement au Grand Palais, est accompagnée de médiateurs formés sur le modèle de ceux que vous avez mis en place au Palais de Tokyo. Quel bilan tirez-vous de ces années passées comme responsable des publics de ce lieu ?
Je crois d’abord que l’art tient en peu de chose et qu’on l’a terriblement encombré ou « professionnalisé » en trente ans. Je ne crois pas qu’il existe de science du public et ne suis pas un évêque de la démocratisation. Je crois que la naïveté, la virginité et la curiosité restent les qualités majeures de l’amateur d’art. En revanche, aucun projet culturel n’est digne de ce nom s’il néglige ses visiteurs réels, attendus ou potentiels. On a beaucoup travaillé ces dernières années sur la réception des travaux d’artistes en développant des visites originales, des cartels animés, des scénographies audacieuses, des rencontres avec les artistes… Il existe aussi aujourd’hui une demande de services incontournables, de l’accueil à la documentation, des souvenirs aux audioguides, des poussettes à la librairie. Pendant tout ce temps, nous avons négligé le développement de nouveaux publics en focalisant sur les scolaires. La nécessité pour les établissements d’accroître leurs recettes propres et l’échec réel de la démocratisation imposent de nouvelles modalités pour diversifier les publics. De nombreuses expériences passées (les « correspondants » du Centre Pompidou), ou présentes (le projet « Saint Luke’s » du London Symphonic Orchestra), comme des lectures (La Culture des individus, de Bernard Lahire) (1) montrent la voie.
Dans le domaine de l’art contemporain, la présence de médiateurs ne s’impose jamais. Cela perpétue l’idée fausse que l’art actuel n’est accessible que par des filtres de paroles, la pensée de l’artiste ou de prétendus concepts. Cependant, dans bien des cas, la parole libérée et décontractée des médiateurs du Palais de Tokyo a pu aiguiser la curiosité des visiteurs.
Quelle exposition vous a particulièrement marqué dernièrement ?
La belle architecture de Jan Kopp à Sélestat, la rétrospective Gerhard Richter à Baden-Baden (2), le chaos énergisant de Gelitin au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le travail subtil de Detanico/Lain au Jeu de paume, à Paris. [Je regrette] d’avoir manqué « Un théâtre sans théâtre » à Barcelone [au Musée d’art contemporain].
(1) éd. La Découverte, 2004.
(2) lire le JdA no 275, 15 fév. 2008, p. 11.
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David Cascaro, directeur de l’école d’art Le Quai, à Mulhouse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : David Cascaro, directeur de l’école d’art Le Quai, à Mulhouse