Dans une manufacture de cristal, l’activité se sépare en deux pôles distincts. Le « chaud » qualifie les étapes durant lesquelles la matière en fusion est transformée en une forme définie.
À la cristallerie Saint-Louis, à Saint-Louis-lès-Bitche (Moselle), ancienne manufacture royale où sont préservées les techniques séculaires qui ont fait sa renommée, la halle du « chaud » rappelle une gigantesque scène sur laquelle se déroulerait un ballet muet et continu. Dans cet univers bruyant, le langage est abrogé et les techniciens communiquent d’un signe ou d’un regard. La chorégraphie est parfaite dans cet écosystème où le moindre geste déplacé pourrait tourner au drame. Les verriers manipulent ici du cristal en fusion, dont la température se situe entre 450 °C et 1 350 °C suivant les étapes. Les artisans doivent faire preuve, outre d’une précision minutieuse, d’une attention permanente à leur environnement et d’une réactivité immédiate.
Le four à bassin à coulée continue est le cœur de l’atelier. C’est là que s’opère la fusion du cristal à 1 350 °C. De petites ouvertures sont aménagées dans le four. Dans ces « baies de cueillage », le cristal est maintenu à la température de 1 200 °C : la matière est incandescente et semble être une lave aussi liquide que du miel. Au bout d’une canne tubulaire, le verrier vient ici « cueiller » le cristal, c’est-à-dire prélever la quantité de matière nécessaire à la confection d’un objet. En raison de la fluidité du cristal, il est difficile de sentir précisément l’instant de contact avec la canne. La surface du liquide en fusion agit tel un miroir, offrant un repère au verrier qui, après avoir cueillé, ne doit plus cesser de faire tourner entre ses mains sa canne pour éviter que le cristal ne coule.
Presse-papiers
La mise en forme doit être effectuée en quelques minutes, avant que le cristal n’ait trop refroidi. Tournant toujours la canne entre ses doigts, le technicien procède au « maillochage », il donne une forme régulière à la pâte avant de commencer à la souffler. Ponctuellement, il réchauffe la matière pour la rendre plus malléable et poursuivre la mise en forme. Tandis que certains objets sont entièrement formés ainsi, « à main levée » pourrait-on dire, avec l’aide de palettes en bois, de ciseaux et d’instruments divers, d’autres sont soufflés dans des moules en acier ou en bois. La « cueillée » de pâte incandescente, après avoir été maillochée, est placée dans une poche à la forme de l’objet désiré. Tandis qu’un verrier maintient le moule fermement, un autre continue de souffler l’objet, tournant continuellement la canne. Quelle que soit la méthode pratiquée, la forme première de l’objet, sa « paraison », est alors obtenue. La température du cristal est de 900 °C et il reste peu de temps au verrier pour affiner la pièce avant que la matière n’ait perdu toute plasticité.
Quelques secondes sont désormais disponibles pour étirer et ouvrir le col d’une carafe, pour fixer la jambe d’un verre au calice… Le refroidissement complet du cristal est long et s’effectue dans l’arche de recuisson, où, doucement, la température descend de 450 °C jusqu’au froid complet. La durée de cette étape de petit feu qui solidifie les objets et élimine les tensions thermiques est fonction de l’importance des pièces : il suffit de quelques heures pour un verre tandis que trois ou quatre jours sont nécessaires pour un vase.
Certaines pièces colorées sont doublées, voire triplées de couleur. À la surface d’une première cueillée de cristal « clair », c’est-à-dire transparent, est placée une fine couche de cristal coloré. Cette pratique demande une remarquable maîtrise au verrier, qui doit être attentif à l’homogénéité des couches. Une fois l’objet formé et refroidi, c’est dans les ateliers de « froid », où sont réalisés les décors, que la couche colorée sera entamée grâce à la taille, pour laisser apparaître le cristal clair et créer un jeu de parure – comme celui du célèbre service Tommy créé à Saint-Louis en 1926.
C’est dans les ateliers de chaud que sont imaginées et réalisées les boules de cristal les plus fascinantes et les plus recherchées qui soient : les presse-papiers. Ces objets abritent de fines compositions, empaquetées dans une masse transparente. Saint-Louis est l’une des dernières cristalleries françaises à créer chaque année de nouveaux modèles de ces précieux et mystérieux presse-papiers, qui exigent du maître verrier excellence et minutie en chacun de ses gestes.
- Les formations : CAP Arts et techniques du verre, option « Verrier à la main » Brevet des métiers d’art verrier (réservé aux détenteurs d’un CAP) - Les centres de formation : Lycée professionnel Jean-Monnet, 39, place Jules-Ferry, 03401 Yzeure (Allier), tél. 04 70 46 93 03 Centre de formation des apprentis de Sarrebourg, 22, rue de la Mésange, BP 60294, 57402 Sarrebourg cedex (Moselle), tél. 03 87 03 61 62
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Cristallier
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Cristallier