PARIS
En mai 1968, notre collaborateur Colin Cyvoct a 20 ans. Il est, depuis deux ans, étudiant à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et participe à la création de l’Atelier populaire. Il raconte, pour les lecteurs de L’Œil, ces deux mois d’agitation créatrice.
Colin Cyvoct - Avant Mai 68, l’école m’apparaissait d’une rigidité et d’un archaïsme difficile à imaginer aujourd’hui. Les sections gravure, peinture, sculpture semblaient figées, obsolètes. Quelques mois auparavant, nous avions occupé à quelques-uns le bureau du directeur Nicolas Untersteller. J’ai gardé le souvenir d’un homme dépassé, paniqué par notre présence intempestive et bruyante dans le bureau directorial qu’il occupait depuis 1948. Il décède très peu de temps après, en décembre 1967. Après la première semaine de manifestations au Quartier latin, c’est la pagaille à l’école. Beaucoup d’étudiants artistes, souvent plus individualistes que les archis, râlent car ils ne peuvent plus travailler tranquillement.
Deux étudiants en gravure que je ne connaissais pas, me percevant sans doute heureux de cette agitation, m’abordent : « On aimerait faire une affiche. » On va dans leur atelier de lithographie où on est rapidement rejoints par des artistes plus âgés qui viennent de l’extérieur. C’est ainsi que naît la première affiche Usines, Universités, Union, une lithographie tirée à peu d’exemplaires et collée dans les rues proches de l’école [Dans le catalogue de l’exposition « Images en lutte », Merry Jolivet donne les noms des autres initiateurs de cette première affiche, qui sont Jean Hillaireau, Roland Sabatier, Jacques Coutureau et Michel Bridenne, NDLR].
Absolument. Très vite, des artistes plus âgés et politiquement plus expérimentés, comme Pierre Buraglio, Merry Jolivet, Gérard Fromanger et Julio Le Parc, arrivent et organisent très efficacement ce qui devient l’Atelier populaire. Je me souviens en particulier de Pierre Buraglio, souvent présent et aux interventions hyper convaincantes. Personnellement, je passe alors plus de temps hors de l’école, dans les manifs, à l’Odéon, etc.
Certains étudiants l’ont perçu comme ça. Moi, pas du tout. J’admire l’efficacité de l’atelier et les véritables créations collectives que sont les affiches. Sans la présence de ces aînés expérimentés, nous n’aurions pas été capables d’organiser l’Atelier populaire, ni de mettre en place une logistique pour la diffusion des affiches. Chaque jour, des affiches sont réalisées et soumises le soir au vote. Puis elles sont sérigraphiées, frappées du tampon « Atelier populaire ex-École des beaux-arts ». Beaucoup de participants n’étaient pas de l’école. On était très peu d’étudiants en art, il y avait plus d’archis car ils avaient plus l’habitude de travailler ensemble. Ils étaient moins dans cette idée de l’artiste romantique individualiste qui était encore celle de l’étudiant artiste aux Beaux-Arts en 1968.
De façon plus générale, c’est extraordinaire que dans une école aussi traditionaliste, aussi nombriliste qu’était alors l’ENSBA, l’Atelier populaire ait pris une forme aussi affirmée, sans aucune référence aux traditions de l’école. Nous n’étions pas là pour transformer l’École des beaux-arts mais pour rêver et construire un autre monde. C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas voulu y rester une fois l’ordre revenu et que j’ai rejoint, en janvier 1969, l’Université de Vincennes qui venait de se créer.
Sur le plan formel, dès le début, celles qui sont retenues sont les plus simples, les moins esthétisantes, donc les plus immédiatement lisibles. Cela se confirmera durant les deux mois d’existence de l’atelier, avec de plus en plus d’humour dans les slogans, comme par exemple : « Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes. » L’Atelier populaire me laisse aussi d’autres beaux souvenirs. On établissait parfois un droit de péage bon enfant rue Bonaparte [rue longeant l’école, NDLR] et on demandait aux automobilistes s’ils pouvaient donner de l’argent pour acheter du matériel pour réaliser les affiches. Engagement, créativité et efficacité fonctionnaient super bien !
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Colin Cyvoct : « Nous n’étions pas là pour transformer les Beaux-Arts mais pour construire un autre monde »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : "Nous n’étions pas là pour transformer les Beaux-Arts mais pour construire un autre monde"