Créer des formes complexes avec du verre :
telle est la spécialité que n’exerce plus qu’un seul artisan en France.
Étrange paradoxe : à Paris, les enseignes demeurent grâce aux protections des façades, mais les artisans disparaissent. Rue du Pont-aux-Choux, dans le quartier du Marais, seule la plaque émaillée de la maison familiale Desserme est encore en place. Passé le porche, il n’existe en effet plus aucune trace, dans l’arrière-cour, de ce qui fut le dernier atelier parisien de bombeur de verre. « Ils sont partis depuis un peu plus d’un an, témoigne un habitant de l’immeuble. Comment voulez-vous résister aux propositions des agences immobilières de vendre l’ensemble pour une somme que toute une vie de travail n’aurait pas suffi pour réunir ? » L’activité était pourtant florissante. Reconnu dans la profession, Patrick Desserme formait déjà la quatrième génération familiale, son fils Hugues, à sa succession. Mais des conflits familiaux n’ont pas permis à ce dernier de reprendre l’atelier parisien. Depuis quatre ans, Hugues Desserme a donc renoncé et a quitté la capitale pour s’installer avec sa mère à Bapeaume-les-Rouen (Seine-Maritime), en Normandie. C’est là qu’il est reparti de zéro en recréant de toutes pièces un atelier, rien n’étant resté des fours ou des moules utilisés jadis par les Desserme. Entré en phase de production depuis moins d’un an, il doit désormais reconquérir sa clientèle, « car certains ont oublié entre-temps le verre bombé », comme le déplore l’intéressé.
Pièces uniques
Apparu au XVIIe siècle, le bombage est en effet une technique spécifique des métiers du verre et de la cristallerie. Le bombeur ne souffle pas le verre, mais travaille le verre plat, au sortir du four, en intervenant sur son épaisseur et sa courbure. Le secret consiste à atteindre le créneau de température idoine, en général 600 °C, qui permettra de travailler sans altérer la matière. Le verre est ensuite déposé dans un moule réalisé sur mesure, dont il épousera la forme par gravitation. Cette technique immuable a été modernisée en 1972 avec la mise au point, par Vittorio Livi, d’un four détectant les surchauffes moléculaires qui peuvent entraîner des cassures. Pour sa part, Hugues Desserme caresse l’espoir de pouvoir recréer d’ici peu un four à bois, détrôné depuis les années 1980 par les fours à gaz. « Le four à bois permet de travailler porte ouverte, ce qui autorise la réalisation à la main de pièces très compliquées. Et la flamme vive me manque », avoue l’artisan. Sans oublier les escarbilles, qui peuvent provoquer des défauts recherchés pour la restauration de certains verres anciens.
Utilisé pour la décoration ou le design (miroirs, luminaires, dômes, serres, vasques, vitrines), voire la scénographie, le verre bombé est également employé dans l’industrie automobile (phares, pare-brise, rétroviseurs) ou optique (lentilles). « Je prône pour ma part une qualité hors pair que les plus grosses structures peinent à égaler », explique Hugues Desserme, qui maîtrise de bout en bout la fabrication des pièces sortant de son atelier. « L’industrie ne peut pas avoir la capacité d’adaptation et la modularité qui nous permettent de créer des pièces uniques, des formes parfois très complexes produites à l’unité. » Si ce dernier répond à des commandes pour des restaurations de miroirs ou de luminaires anciens – dont ceux du pont Alexandre III à Paris –, et collabore avec des designers tels que Gaetano Pesce ou des décorateurs spécialisés dans le verre comme Bernard Pictet, il est également sollicité par l’industrie pour la réalisation de prototypes de verres.
Formé par tradition familiale pendant une douzaine d’années, Hugues Desserme est toutefois le dernier professionnel français à exercer son métier de manière artisanale. Hormis quelques formations au thermoformage industriel, il n’existe plus aucun enseignement spécifique au bombage de verre, alors que la technique demeure très prisée. Conscient de l’imminence de cette perte de savoir-faire, Hugues Desserme hésite pourtant, sans y être opposé, à accueillir un apprenti. « À défaut de former, il fallait d’abord que je remonte un atelier, précise-t-il. Et mon savoir-faire est aussi lié à des secrets de fabrication que je ne peux pas transmettre à n’importe qui. » Peut-être les réservera-t-il à son fils, encore trop jeune pour savoir s’il souhaite perpétuer la tradition familiale.
Il n’existe plus de formation à la pratique artisanale du bombage de verre. - Le Cerfav (Centre européen de recherche et de formation aux arts verriers) – qui est aussi un Centre régional de formation par apprentissage et Centre national de formation par apprentissage pour les arts et techniques du verre –, du Pôle verrier de Nancy délivre un CAP de décorateur sur verre qui permet d’acquérir la technique du thermoformage. Celle-ci est toutefois limitée et complétée par d’autres formations au sablage, à l’assemblage et au collage du verre. Cerfav, rue de la Liberté, 54112 Vannes-le-Châtel, tél. 03 83 25 49 90.
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Bombeur de verre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Bombeur de verre