Devant une offre de quarante-cinq écoles supérieures d’art qui forment, en France, aux métiers de la création, de l’expertise, de la médiation ou de la conservation-restauration, sans oublier les écoles publiques de la Ville de Paris, les universités et les écoles privées, les futurs étudiants en art n’ont que l’embarras du choix… Mais avant de choisir, il leur faut se poser les bonnes questions.
Devenir obligatoirement artiste, ou pas ?
« Il faut arrêter de stigmatiser les écoles d’art parce qu’elles ne formeraient pas que des artistes » : Kader Mokaddem, président de la CNEEA (Coordination nationale des enseignants des écoles d’art), pointe une fausse idée qui ferait des établissements supérieurs d’art des fabriques à artistes, mission à laquelle elles échouent fatalement. « Parmi les 90 à 95 % des diplômés qui trouvent un emploi après leur sortie de l’école, 15 à 20 % ont une production artistique, les autres travaillent dans le secteur de la culture et de la création », rappelle Sylvain Lizon, directeur de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Mais les écoles d’art s’intéressent depuis trop peu de temps au devenir de leurs diplômés pour avoir un état des lieux précis. Il reste que tous les étudiants qui franchissent leurs portes ne seront pas artistes, ni même souhaitent le devenir. C’est le cas de Marion, Quentin, Christelle, Marie et Laure. Ils sont photographe, graphiste, restaurateur d’œuvres, assistant de galerie d’art, créatrice de robes de mariée, et sont, tous, diplômés d’une école d’art.
Comment choisir le bon cursus ?
Il existe autant de raisons que de profils. Pour Quentin Caffier, diplômé de l’école Louis-Lumière, ce fut une question de cheminement intellectuel : « Après la khâgne, j’ai voulu m’orienter vers un cursus plus artistique. J’ai choisi les arts appliqués plutôt que les beaux-arts parce que je considérais qu’après deux ans d’études théoriques m’ayant amené des “sujets” à traiter, il me semblait préférable d’apprendre à maîtriser un outil. » Pour Laure Boussion, diplômée d’un BTS design de mode et d’environnement, le choix fut d’ordre pratique : « J’ai cherché une école qui me permette de toucher un peu à tout avant de me spécialiser, d’obtenir un diplôme reconnu par l’État et qui ne soit pas hors de prix. » Pour Marie Gogat, assistante de galerie à Paris, le choix d’une école privée s’est, en revanche, imposé : « Je voulais une formation globale sur l’histoire et le marché de l’art que ne propose pas le secteur public. À moins de faire des doubles licences droit et histoire de l’art. » Tout comme celui d’une université étrangère pour Marion Dangeon, en master conservation-restauration à la Haute École Arc à Neufchâtel en Suisse : « Mon CAP céramique en France m’a permis d’acquérir des connaissances techniques. Cependant, je ne voulais pas me spécialiser dans un seul matériau, ce qui est le cas dans les écoles françaises. Ce master offre l’orientation qui correspondait à mon intérêt : les objets archéologiques et ethnographiques. »
Définir son projet professionnel
Il faut d’abord distinguer les arts plastiques des arts appliqués et des métiers d’art, c’est-à-dire respectivement des cursus de production artistique, de création appliquée aux objets, aux textiles, à l’espace et l’apprentissage de métiers d’art aussi divers que la bijouterie, l’ébénisterie ou le costume, sanctionné par le diplôme des métiers d’art (DMA). Travailler dans l’art, oui mais quel métier ? Faire de l’illustration médicale, de la bijouterie, du cinéma d’animation… Si le premier demande une formation précise délivrée uniquement par l’école Estienne (diplôme supérieur d’arts appliqués design d’illustration scientifique), la formation en cinéma d’animation est dispensée par plus de soixante-dix établissements en France. La réputation, le lieu, le coût, la durée des études, mais aussi les orientations pédagogiques rentrent en ligne de compte, comme ce fut le cas pour Christelle Aron, diplômée de l’École nationale supérieure d’art (ENSA) de Nancy : « Parmi toutes les écoles supérieures d’art en France, j’en ai choisi trois en fonction des cours dispensés en art et en communication, mais aussi en fonction de leur localisation et de leur réputation. Le fait que les professeurs soient des créatifs reconnus dans leur domaine tout comme les anciens élèves était un facteur important pour moi. »
Opter ou non pour l’hyperspécialisation ?
Au sein des quarante-cinq écoles d’art publiques qui délivrent des diplômes de bac 3 à bac 5 (DNAT, DNAP et DNSEP), il existe en effet trois « mentions » (art, design ou communication) qu’elles ne proposent pas toutes. Pour les trois, les établissements proposent des spécificités, comme dans le design et dans la communication (illustration, communication graphique…). Si, en théorie, tout semble clair et bien rangé, il faut bien s’informer ensuite sur les choix pédagogiques de chaque école. Certaines misent sur des spécialités pour se distinguer : la BD à Angoulême, la céramique à Limoges, le design culinaire à Reims. D’autres prônent le croisement des disciplines et des étudiants. L’ENSA Paris-Cergy ne propose que l’option art, mais le cursus étant entièrement optionnel, il permet de construire son parcours en art numérique, design, cinéma, danse… De son côté, l’école Boulle, qui délivre des diplômes du CAP au bac 5, regroupe un lycée technique et un établissement d’enseignement supérieur sur le même campus. Des projets sont donc menés de concert entre les futurs designers et artisans d’art. Autre exemple : quand l’art s’ouvre à la musique. La Haute école des arts du Rhin rassemble depuis 2011 l’école d’art de Mulhouse, l’école des arts décoratifs et l’Académie supérieure de musique de Strasbourg pour des projets, des séminaires et des performances réalisés en commun.
Et après l’école ?
Un même écho résonne chez tous les étudiants comme chez Léo Dorfner, artiste diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) en 2011 : « Il faudrait préparer les étudiants au monde professionnel, organiser des rencontres avec des galeries, des critiques. Au final, 90 % d’entre eux sortent et ne savent pas quoi faire, ni comment s’y prendre. » Christian Debize, directeur de l’école d’art de Nancy, qualifie cette période « d’année dépressive ». À différents niveaux, les établissements créent désormais des outils pour préparer l’étudiant à la sortie, et rattraper la nette avance prise en la matière par les écoles privées et étrangères, fortes de leurs réseaux et de leurs liens avec les entreprises. En 2017, l’école de Nancy rejoindra le même campus que l’école des Mines et l’ICN Business School. Déjà les alliances pédagogiques entre les trois écoles se mettent en place progressivement au sein d’ateliers communs. Ainsi, neuf étudiants en art travaillent cette année avec le laboratoire de robotique, d’autres en communication avec des programmeurs. Des entreprises sont invitées à intégrer sur certains projets cette alliance baptisée Artem (art, technique, management). Aux stages, aux rencontres avec des professionnels et aux cours de gestion, les écoles ajoutent des partenariats avec des entreprises ou des institutions culturelles sur lesquels elles appuient leurs projets pédagogiques pour mettre l’étudiant en situation réelle. Comme à la Villa Arson qui rassemble un environnement professionnel entre les ateliers d’étudiants, les résidences d’artistes et le centre d’art. Cette démarche se trouve depuis toujours au cœur de la pédagogie du Fresnoy – Studio des arts contemporains qui recrute sur concours à bac 5. L’étudiant y travaille à échelle 1 avec des artistes-invités, en assistant à des réunions de production, en participant au montage du budget de son projet. De récentes initiatives cherchent également à accompagner l’étudiant après son diplôme. La Pépinière d’entreprises art et design de l’École supérieure d’art et de design (ESAD) Reims offre une aide à la création d’entreprise de vingt-quatre mois à dix porteurs de projets issus de toute école d’art française et étrangère. De même pour le programme Les Réalisateurs sous la direction de l’artiste Fabrice Hyber.
Choisir un passage par l’étranger ?
L’ouverture des écoles à l’international reste encore faible. Certaines écoles avouent même la difficulté à laisser partir un étudiant au milieu d’un cursus encore très rigide. C’est donc à lui de profiter des quelques propositions, car les départs hors des frontières ne sont pas toujours obligatoires et les échanges de courte durée, alors que les écoles brandissent toutes leur adhésion au programme Erasmus. Le choix d’une école à l’étranger, comme à Lausanne ou dans une région frontalière, peut être un atout si l’on s’en saisit. Mais attention, le coût de la scolarité s’en trouve parfois surélevé. C’est le cas à l’École des métiers de la culture et du commerce de l’art (Icart) pour passer un an dans son antenne new-yorkaise. Derrière les beaux projets pédagogiques, il s’agit donc de se renseigner sur leur réalité en appelant, en contactant d’anciens étudiants, en se rendant aux journées portes ouvertes. Est-ce bien une formation technique reconnue dans le métier ? Comment se concrétisent ces partenariats avec l’étranger ? Comment se fait l’apprentissage des langues ? L’année préparatoire est-elle indispensable ? Quelle bourse d’étude pour cette école ? Sans oublier néanmoins, comme le rappelle Christelle, que « les années passées au sein d’une école d’art sont comme un cheminement qui mène vers des possibilités qu’on n’aurait pas envisagées auparavant. L’école sert avant tout à questionner avant d’apporter des réponses. »
Bastien Vivès, auteur de bandes dessinées
Prix Révélation du Festival d’Angoulême 2009 pour l’album Le Goût du chlore, Bastien Vivès est diplômé des Gobelins
J’ai choisi les Gobelins parce que je voulais une école où on dessinait à temps plein. Aujourd’hui, je fais de la bande dessinée dans un atelier d’une quinzaine de personnes dont la moitié est sortie de cette école. L’émulation entre les élèves participe fortement à la progression de chacun, le fait de travailler en groupe, d’avoir du temps sur chaque exercice et de petites promotions fait que les élèves peuvent parfaitement s’épanouir. Les cours de cinéma d’Alain Monclin m’ont particulièrement touché et ont fait que j’ai choisi la BD aujourd’hui comme métier. J’ai découvert ce qu’était la mise en scène et cet art allait être le terrain parfait pour expérimenter narration, mise en scène et dessin. Et puis j’étais nul en animation !
Amaury Poudray, designer
Designer de mobilier, produit, aménagement intérieur et stratégies créatives, Amaury Poudray est diplômé de l’ESAD Saint-Étienne
L’ESAD de Saint-Étienne m’a permis de développer une sensibilité plastique et d’aiguiser mon sens critique. Je sortais d’un BTS design de produit où j’ai appris techniquement, ce qui m’a permis de mettre tout cela en pratique dans un contexte beaucoup plus libre et bouillonnant. Les divers ateliers (métal, bois, céramique, sérigraphie) m’ont permis de matérialiser ces idées. À l’époque, il manquait des cours de marketing, management et entrepreneuriat, j’ai dû apprendre ces notions sur le tas, car j’ai créé mon entreprise dès ma sortie de l’école. Par ailleurs, celle-ci soutient ses anciens étudiants et leur propose de belles opportunités puisque je suis également coordinateur d’une nouvelle formation appelée « la Coursive », une mise à niveau pour étudiants non francophones désirant entrer dans une école d’art ou de design en France.
Laurent Pernot, plasticien
Lauréat des prix Sam et Yishu 8 en 2010 et 2013, Laurent Pernot est diplômé du Fresnoy – Studio des arts contemporains
Sortant d’une formation universitaire et d’une pratique consacrée à la photographie, je souhaitais devenir artiste. Je cherchais un postdiplôme ouvert aux nouvelles images, mais peu d’écoles d’art en proposaient. Le Fresnoy offrait un accompagnement professionnel, des moyens techniques et financiers pour créer, en pleine période de transition avec les nouvelles technologies. Malgré son isolement, Le Fresnoy a été une expérience in vitro du monde de l’art. C’est là que j’ai rencontré des artistes majeurs comme Gary Hill ou Jean-Luc Godard, que j’ai librement exploré de nouveaux supports comme le cinéma et la vidéo numérique, et où j’ai exposé pour la première fois. Par la suite, Le Fresnoy m’a fortement accompagné, par un soutien à la diffusion et à l’occasion de rencontres, d’expositions et de coproductions. J’ai gardé des liens forts avec son équipe.
Steven Vandeporta, médiateur culturel
Steven Vandeporta est étudiant de 3e année à l’Icart
Après un bac littéraire option histoire de l’art et arts plastiques et une année à l’école du Louvre, j’ai décidé de mettre un pied dans le monde du travail. J’ai donc travaillé au Centre Pompidou puis au Musée d’Orsay et pour le Louvre Abou Dhabi. Bien qu’à l’aise dans le milieu professionnel, je ne pouvais pas avoir seulement mon bac. L’Icart m’a offert la chance de pouvoir allier cours et stages, j’ai pu à la fois devenir rapidement opérationnel, me forger mon réseau et approfondir mes connaissances. J’ai travaillé en tant que chargé des publics au centre d’art contemporain de Malakoff, puis coordinateur des nocturnes et visites guidées au Musée de la chasse et de la nature et j’ai signé mon premier CDI en tant que médiateur culturel à la Fondation Louis Vuitton.
Farah Atassi, peintre
Nominée pour le prix Marcel Duchamp en 2013, Farah Atassi est diplômée de l’École des beaux-arts de Paris
J’ai toujours voulu entrer aux Beaux-Arts de Paris, une école prestigieuse qui réunit des artistes de grande renommée. J’ai beaucoup suivi les enseignements théoriques d’excellente qualité, moins les cours techniques, car je savais que je voulais faire de la peinture. J’ai longtemps cherché ma place au sein de plusieurs ateliers (Bernard Piffaretti, Claude Viallat, Fabrice Hyber…) avant de choisir celui de Jean-Michel Alberola puis finalement de m’installer seule. À l’ENSBA, l’étudiant était autonome, très libre, comme un apprentissage déjà de la vie d’artiste. On peut se sentir très seul, mais ça me convenait. L’école forme des artistes ; je n’en attendais pas une formation professionnelle.
DMA Diplôme des métiers d’art
DNAT Diplôme national des arts et techniques (bac 3)
DNAP Diplôme national des arts plastiques (bac 3)
DNSEP Diplôme national supérieur d’expression plastique (bac 5)
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Bien choisir son école d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : Bien choisir son école d’art