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Beaux-Arts : les étudiants s’emparent des nouvelles chaires

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2021 - 947 mots

PARIS

De futurs artistes témoignent de l’apport des nouveaux enseignements dans leurs pratiques.

Paris. Comment être à la fois un musée et une école d’art vive et impertinente ? Se déployant sur plus de deux hectares dans un ensemble architectural d’exception, riches de près de 450 000 œuvres et ouvrages, les Beaux-Arts sont marqués par l’histoire, Pierre Puget et Nicolas Poussin veillant toujours à l’entrée de l’établissement. Pourtant, aujourd’hui, avec ses 550 étudiants dont 20 % d’étrangers, l’École entend être totalement en prise avec son temps. Et aux avant-postes !

Sous l’impulsion de son nouveau directeur Jean de Loisy, des chaires d’enseignement viennent compléter les cours théoriques et la pratique en ateliers, marque de fabrique de l’École. Ainsi, la chaire du « Présent », obligatoire pour tous, permet aux étudiants de se confronter aux grands enjeux du monde contemporain, économiques, politiques, scientifiques ou sociétaux, en « pariant sur l’inconfort à ne pas saisir les lois du monde pour mieux les réinventer », comme le pointe Jean-Baptiste de Beauvais, directeur des études.

En 2020, par visioconférence, quatre nouvelles chaires ont été lancées. Deux concernent l’extension des techniques artistiques, autour du dessin et du son, deux autres traitent de sujets majeurs de société, le vivant et l’identité. Selon des modalités très souples qui permettent à chaque étudiant de composer son parcours, les chaires proposent des séminaires, des conférences, des exercices pratiques, des projets d’exposition. Toutes ont la même ambition : la confrontation des idées et l’élargissement des consciences.

Considérer la nature autrement

À rebours de notre héritage culturel et artistique, la chaire « Habiter le paysage : l’art à la rencontre du vivant » invite les étudiants à voir la nature non plus comme un simple décor, mais comme un milieu de vie façonné et habité par une myriade d’êtres vivants non humains (végétaux, animaux, champignons, bactéries). « Il faut appeler à un renversement de l’attention et se préparer à la rencontre avec nos cohabitants », insiste Estelle Zhong Mengual, normalienne et historienne de l’art, responsable de cette chaire. « Le concept de nature s’est construit en opposition à tout ce que nous étions en tant qu’êtres humains. Avec l’aide des sciences sociales et des sciences naturelles, l’objectif de la chaire est d’augmenter la boîte à outils des étudiants pour leur permettre de créer autour et avec le vivant. »

Diplômée de l’École des Arts décoratifs et en 4e année aux Beaux-Arts, Clarisse Aïn, 28 ans, souligne sa sensibilité ancienne à la cause environnementale : « Et comme artiste, je veux tenter d’en être porte-parole ! » En 2021, première lauréate du prix Dior attaché à la chaire et destiné à la création d’une œuvre pour le jardin du château de La Colle Noire, dernière demeure provençale de Christian Dior, l’artiste propose l’installation Résonance (en cours de réalisation). Son projet est de recréer une garrigue à la place des pelouses du jardin et d’installer deux hautes sculptures, semblables à des diapasons, qui diffuseront des sons sous l’effet du vent et propageront leurs ondes dans le sol grâce à des tiges métalliques disposées sur le terrain. Une énergie invisible circulera vers les plantes : « En m’appuyant sur les recherches de plusieurs laboratoires d’agronomie autour de l’impact des fréquences vibratoires sur le vivant, je pense que les ondes diffusées, correspondant à de très basses fréquences, à peine audibles par l’être humain, auront des effets stimulants sur la croissance de la flore environnante. Je souhaite relier les espèces entre elles et ouvrir une autre perception du vivant. »

« Nos corps en transition »

Avec la chaire « Troubles, dissidences et esthétiques », couramment appelée « chaire Queer », il s’agit aussi de voir et penser le monde autrement. D’envisager d’autres récits, d’autres chronologies et d’autres modes de réception de l’histoire des arts, de troubler les évidences perceptives et les habitudes de création liées aux questions d’identité et de genre. « La chaire est à la fois un lieu de savoir, de pratique et de militantisme », explique Fabrice Bourlez, philosophe et psychanalyste, coresponsable de la chaire. « On y aborde les questions liées à tous les types de discrimination, la classe sociale, la race, les orientations sexuelles. Ces questions concernent toute la société, artistes et non artistes. Et quand on travaille la peinture, la sculpture ou la performance, ça convoque le corps, c’est lié à des enjeux de désir. » Arrivé aux Beaux-Arts après des études de théâtre, Valentin Ranger, 28 ans, voit la chaire comme un espace qui permet d’appréhender la vulnérabilité et l’exclusion. Lauréat en 2021 du prix des Amis des Beaux-Arts Agnès B, l’artiste crée des mondes fantasmagoriques au moyen de dessins, sculptures et 3D. « Mon travail est directement lié à la complexité des corps et aux possibilités de nous assumer toujours en métamorphose, en fluidité. Le virtuel est un nouveau théâtre pour nos corps en transition. »

Enfin, à l’heure où les frontières artistiques sont poreuses, comment passe-t-on du visuel au sonore, et inversement ? Comment facilite-t-on la conjugaison des outils et des démarches entre étudiants plasticiens et jeunes compositeurs ? « Le pari est de les inciter à travailler le son comme une matière à sculpter », note Vincent Rioux, coordonnateur de la chaire « Supersonique », laquelle, en collaboration avec l’Ircam, relève ces défis. Des pièces simultanément sonores et visuelles ont été ainsi présentées dans le cadre de l’exposition collective « Orbital Orchestra » à l’été 2021. Ainsi de l’étonnante performance Dooms d’Anaïs Legros et du compositeur Maxime Mantovani liée à des efforts physiques extrêmes ou la sculpture Elechtone de Thomas Lefevre et Marc Lohner, une sorte de gros champignon en terre crue qui émet, avec poésie, des sons énigmatiques. « Pour moi, il est essentiel de créer des objets hybrides, de ne pas s’enfermer dans une hyperspécialisation », confie Thomas Lefevre, 25 ans, peu avant la soutenance de son diplôme. Le son, aussi, permet de transcender le réel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Beaux-Arts : les étudiants s’emparent des nouvelles chaires

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