Quelques rares artistes, éditeurs et restaurateurs continuent de s’approvisionner auprès de ce fabricant à l’ancienne.
Si l’Auvergne, les Cévennes, la Charente ou les Vosges, réputées pour la qualité et la pureté de leurs eaux, furent autrefois des contrées grandes productrices de papier, la fabrication artisanale ne concerne désormais qu’une infime minorité des tonnes produites chaque année. Seuls quelques établissements, soutenus par l’engagement de rares artisans, continuent en effet aujourd’hui à perpétuer le mode de fabrication manuel du papier. « Je suis le seul à ne pas être installé dans un moulin, témoigne Jean-Pierre Gouy, établi depuis huit ans dans le “village du livre”, à Fontenoy-la-Joûte (Moselle). Et j’ai eu la chance d’apprendre mon métier auprès de Jacques Bréjoux, du moulin du Verger, près d’Angoulême (Charente), qui ne s’est jamais servi du lieu comme vitrine. » Ce dernier, considéré comme une référence dans le domaine, ne mâche en effet pas ses mots sur les conséquences du tourisme et de l’animation sur les sites de production. « Nous sommes devenus des guignols à touristes ! tonne Jacques Bréjoux. Cela a banalisé le geste et tué notre travail. » Car aujourd’hui, si les artisans-papetiers travaillent à la commande pour des artistes, des éditeurs, des restaurateurs de livres ou des relieurs, la plupart misent sur l’attraction folklorique, qui, pour Jean-Pierre Gouy, « fait croire aux gens que l’on travaille encore comme autrefois ». Ce qui n’est pas tout à fait le cas. C’est ainsi que la pile à maillets – machine utilisée pour le mélange de la pâte –, qui offre un rapport plus fin à la fibre, n’est plus utilisée depuis près d’un siècle, car sa production est trop importante en regard des besoins actuels, réduits. Et les papetiers se servent de l’eau des villes plutôt que de l’eau de la rivière, dont la pureté n’est qu’un lointain souvenir.
La technique que perpétuent ces artisans-papetiers est ancestrale. Invention chinoise datant des environs de 150 avant J.-C., le papier peut être fabriqué à partir de n’importe quel végétal contenant suffisamment de cellulose. Toutefois le chanvre, le mûrier, le coton ou encore, avec l’industrialisation, le bois – qui produit cependant une acidité autodestructrice pour le papier –, sont les matériaux les plus fréquemment employés. Mais la raréfaction des matières premières a suscité également l’utilisation des vieux tissus collectés par les chiffonniers. Ceux-ci sont mis à pourrir après avoir été triés et lavés pour être mis en pâte, dont la dilution déterminera le grammage. C’est aussi la pâte qui procurera sa spécificité au papier, un défaut pouvant devenir une marque de fabrique. Étalée sur un tamis pour égouttage et mise en forme, la pâte conserve parfois la trace des fils du tamis, pour constituer la vergeure du papier. Elle sera ensuite couchée sur du feutre, placée sous presse puis « découchée » avant d’être mise à sécher. Les planches de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert illustrent ces étapes successives, confiées autrefois à différents ouvriers, comme l’ouvreur, qui œuvre et fait la feuille, ou le coucheur, qui renverse la feuille sur le feutre. « Les femmes travaillaient souvent au début et à la fin du processus, raconte Jean-Pierre Gouy. Ce sont elles qui lavaient les chiffons et étendaient les feuilles. » Cette division du travail a aujourd’hui disparu, du fait du déclin inexorable de l’activité. « Ce qui fait la qualité du papier, ce n’est pas son esthétique, explique Jacques Bréjoux, c’est la qualité de sa technique et des matières premières. » Cet artisan est ainsi l’un des derniers à produire du vrai papier chiffon, qu’il utilise pour la restauration d’ouvrages anciens.
Du fait de la fermeture progressive des fabriques, les formations disparaissent à leur tour. Le Centre de formation et d’apprentissage de Gérardmer (Vosges), pourtant réputé, ne forme ainsi des jeunes plus que pour l’industrie, « un métier différent » aux dires de ces artisans. La transmission, qui peut durer une dizaine d’années, doit donc se faire au contact d’un professionnel. Mais beaucoup d’entre eux, qui travaillent souvent seuls, avouent ne pas en avoir les moyens, ou même s’y refuser. « Le métier n’a pas de sens s’il ne tient pas debout et s’il n’y a pas de marché », déplore Jacques Bréjoux. « Le consommateur n’est pas suffisamment informé sur nos papiers fabriqués à la main, ajoute Jean-Paul Gouy. Mais nous n’avons pas la capacité de créer la demande. »
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Artisan-papetier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : Artisan-papetier