École d'art

Après l’école, un exercice d’équilibriste

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 27 décembre 2024 - 832 mots

Une fois les diplômés sortis du cocon des écoles d’art, s’ouvre pour eux une période de transition vers la vie active qui impose souvent de faire le grand écart entre recherche de revenus et poursuite de la création.

À la question « Qu’as-tu fait pendant un an ? », quinze jeunes diplômés de 2023 de la Villa Arson à Nice évoquent leur parcours après l’obtention de leur diplôme. Une transition durant laquelle se succèdent expériences artistiques (assistanat, résidences…), petits boulots, stages peu ou pas payés, et alternance de passages à vide et de périodes créatives. « C’est un moment de latence où j’ai dû travailler avec le manque de moyens. Durant nos études, les moyens sont abondants, mais on ne s’en rend pas forcément compte », confie Paul. « Travaillant chez moi, j’ai dû réduire la taille de mes créations et j’ai choisi de me consacrer à de petites installations et de me mettre à l’écriture », renchérit Théo. Une fois sorti de l’école, il faut se débrouiller par soi-même : fini l’accès aux ateliers techniques, au matériel et à l’accompagnement des enseignants. Une « mise en danger » qui s’avère nécessaire mais parfois douloureuse, car les défis s’accumulent : trouver un revenu quitte à prendre un travail alimentaire, se loger (ou retourner vivre chez ses parents), trouver un atelier, répondre à des appels à projets, etc. Nikita, 25 ans, a commencé à postuler à des résidences dès la dernière année d’études : « Remplir des dossiers de candidature permet de comprendre que l’art est plus qu’une passion, c’est un vrai métier. » En dépit des premières erreurs car ce n’est pas facile de s’y retrouver dans la question des statuts, sa persistance a payé. La jeune femme a décroché des résidences artistiques en Islande et aux Pays-Bas.

Le choix de la transmission

Diplômée de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne (ESADSE), en design média, Camille Olympie a eu la chance de trouver un emploi proche de l’univers créatif. Enseignante en arts plastiques en lycée professionnel à Bondy, elle transmet sa passion pour le design et la création à des élèves en électricité et productique. C’est lors d’un service civique au Fab Lab de La Villette que l’étudiante s’est découvert un goût pour la transmission. « L’école d’art ne nous encourage pas vraiment à l’enseignement alors qu’il y a un aspect très créatif à transformer ses connaissances pour les retransmettre », relève la jeune femme. En parallèle, elle développe des projets avec Aniara Rodado, artiste et chercheuse à Polytechnique rencontrée pendant ses études, par l’entremise d’un enseignant. Une collaboration rémunérée lui permet ainsi de mûrir sa propre pratique en dialogue avec une plasticienne plus expérimentée. « C’est une opportunité de mettre un peu à distance la question de l’ego et de travailler plus sainement », estime la jeune femme qui envisage de reprendre un parcours de recherche.

Le pari du collectif

Se regrouper en collectif est souvent une option retenue pour réunir les forces, croiser les disciplines ou partager un grand espace à moindres frais. Jeune designer diplômé de l’École Boulle, Oscar Cordier, 24 ans, a créé avec cinq autres jeunes professionnels, le collectif La Mitoyenne. Constitué de deux paysagistes, d’un architecte et de trois designers, le groupe s’est rencontré à Nontron dans le cadre du post-diplôme Design des territoires ruraux de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD). Pendant l’année 2023 passée en Dordogne, la promotion a travaillé sur des questions d’alimentation, d’identité territoriale et de trajectoire féminine en co-construction avec les acteurs locaux (élus, associations…). « Sur ces problématiques complexes d’aménagement, les collectivités ont un grand besoin d’accompagnement. La force de notre collectif est sa pluridisciplinarité qui offre des regards différents sur des problématiques qui engagent différentes strates de collectivités et de populations. Travailler ensemble permet aussi d’avancer plus rapidement que de façon individuelle. » La Mitoyenne travaille actuellement à l’aménagement d’une friche agro-ferroviaire à Nontron, un projet porté par la mairie. Parmi leurs missions rémunérées, figurent notamment la réalisation d’une signalétique pour une maison des associations, d’une charte graphique pour un festival ou encore la création d’un chemin de randonnée (mobilier, aménagement paysager). Des missions qui ne leur assurent pour l’instant qu’un revenu partiel (moins de 1 000 € mensuels), complété par des projets menés par chacun des membres à titre individuel. L’ENSAD leur a aussi confié la coordination pédagogique de la promotion 2024-2025 du post-diplôme Design des mondes ruraux à Nontron. Un rôle de transmission qui consiste notamment à faciliter l’insertion des nouvelles recrues par leur bonne connaissance du terrain et des personnes-ressources. S’implanter loin des grandes villes constitue à la fois une réponse pragmatique aux prix élevés des loyers, mais aussi un engagement au service de territoires moins bien dotés. « Il ne faut pas avoir peur de créer sa place, particulièrement dans ces zones rurales où l’on ne nous attend pas forcément », conseille Oscar Cordier. Avec une nécessité toutefois : celle d’expliquer et valoriser les compétences professionnelles des designers pour montrer l’étendue des possibles. « Le design est un peu un gros mot pour parler de gestion de projets », conclut le jeune concepteur.

À écouter
Le podcast « Radio Arson » est disponible sur www.audioblog.arteradio.com
À voir
« Sweet Days of Discipline »,
une exposition des diplômés de la Villa Arson, 20, avenue Stephen-Liégeard, Nice (06), jusqu’au 2 février, www.villa-arson.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°782 du 1 janvier 2025, avec le titre suivant : Après l’école, un exercice d’équilibriste

Tous les articles dans Campus

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque