Un réseau privé de vision d’avenir, menacé et en péril. Ce sombre constat a été dressé par Yves Dauge, député-maire de Chinon, dans un rapport commandé par la commission des Affaires étrangères sous la présidence de Jack Lang et de François Loncle et rendu public au début de l’été. L’élu d’Indre-et-Loire révélait dans cette étude l’état « d’abandon, de malaise mêlé de révolte » dans lequel se trouve aujourd’hui le réseau culturel français à l’étranger. Il préconisait quelques remèdes pour donner un nouveau souffle à cette structure en insistant particulièrement sur la nécessité d’élaborer une stratégie globale, un véritable projet politique. Quelques semaines après publication (Plaidoyer pour le réseau culturel français à l’étranger, Documents d’information de l’Assemblée nationale), Yves Dauge évoque dans l’entretien qu’il nous a accordé, la perception de ce rapport dans les milieux de la culture et revient sur les solutions esquissées.
Deux rapports rendus publics ces derniers mois, le vôtre et celui d’Alain Quemin, mettent en exergue l’affaiblissement de la présence culturelle française à l’étranger. Cette synergie va-t-elle donner plus de poids à vos requêtes ?
Non, je ne le pense pas. Les sujets sont très différents et ne sont pas de même nature.
Comment a été perçu votre rapport tant au niveau des ministères que de structures comme l’Afaa ?
À Avignon au mois de juillet, à l’occasion des Rendez-vous de l’Afaa, j’ai eu le sentiment d’être écouté et soutenu. Invité par les Affaires étrangères à la réunion du réseau qui se tenait au Palais des congrès et qui réunissait les responsables des centres culturels et ceux de l’administration centrale, je suis intervenu avec une grande liberté de ton. J’ai, à nouveau, souligné que je ne cherchais ni coupable ni bouc émissaire et j’ai redonné mon analyse et mes propositions. J’ai senti une réelle adhésion. J’ai, sans nul doute, un peu indisposé les ministres et leurs cabinets en soulignant l’absence de stratégie globale et de vision à long terme, mais il n’est absolument pas dans mon intention de polémiquer ni d’être négatif.
Dans un discours prononcé le 17 juillet à Avignon, lors des Rendez-vous de l’Afaa, Olivier Poivre d’Arvor, son directeur, soulignait les moyens humains et financiers dérisoires qui sont les siens et insistait sur le fait que la France n’avait plus “les moyens de ses ambitions”. Les commanditaires de ces deux rapports ne commencent-ils pas à se mordre les doigts et à regretter d’avoir suscité une telle transparence ?
Dans le cas du réseau culturel français à l’étranger, nous avons en effet mis le doigt sur un sujet essentiel. Au-delà des moyens du réseau, c’est la question du message que la France entend délivrer qui est en cause. Qu’est-ce que la France veut exprimer dans un monde dominé par la culture anglo-saxonne ? Quelle peut-être l’alternative ? Il nous faut aussi articuler le message de la France avec celui de l’Union européenne car la France participe avec d’autres à cette construction dont la dimension culturelle est forte et essentielle. Il ne s’agit pas d’imposer notre propre culture mais de s’enrichir des cultures des pays partenaires en élargissant et approfondissant notre vision.
Quelles sont donc ou quelles devraient être les missions du réseau culturel français à l’étranger ?
C’est le sujet central du rapport. La France doit déterminer clairement quel est son projet politique pour le réseau culturel français. Personne ne sait vraiment en quoi consiste la politique culturelle de la France dans ce domaine. Ce projet, cette ligne directrice, doivent émaner des plus hautes autorités politiques de l’État. Ils doivent se nourrir d’une réflexion politique sur l’identité de notre pays situé au carrefour de multiples influences. Il n’y a pas lieu, ici, de se référer au concept de puissance moyenne qui concerne plutôt les sphères de l’économie et de la défense. De toute façon, le ministère des Affaires étrangères n’a pas à revendiquer l’exclusivité de la définition de ce projet. Il faut aussi privilégier le dialogue et les rencontres entre la culture française et les autres cultures et rompre avec l’image d’une France donneuse de leçons.
Les moyens matériels de ce réseau semblent insuffisants puisque vous proposez une augmentation du budget de 500 millions de francs.
Il est évident que la France n’accorde pas à son réseau de moyens financiers suffisants. Ils sont inférieurs à ceux du British Council par exemple qui dispose d’environ 4 milliards de francs contre 1 milliard pour la structure française. Mais, je souhaite poursuivre mon travail d’analyse et de comparaison pour être plus précis et plus juste. Il faut aussi apprécier quelle part de ce budget va réellement aux missions du réseau. En outre, notre dispositif n’est pas bien géré. Il faut qu’il le soit beaucoup plus à un niveau interministériel.
N’y a-t-il pas lieu de s’appuyer sur des fonds privés comme le fait le British Council ?
Nous le faisons déjà, mais il n’est pas possible de construire une ambitieuse politique culturelle dans la durée en se basant sur des fonds privés. Il est cependant possible d’avoir recours au privé dans des cas ponctuels pour des événements médiatiques importants, de grandes expositions par exemple.
Vous préconisez une plus grande autonomie des centres culturels et de leurs directeurs vis-à-vis du pouvoir politique et notamment des ambassadeurs. C’est un sujet brûlant car il touche au champ d’influence des ambassadeurs.
Il y a en effet des tensions entre les ambassadeurs et leurs conseillers culturels d’un côté et les directeurs de centres culturels, de l’autre. Le rôle de la diplomatie a considérablement changé. Les grands sujets politiques débordent du cadre traditionnel. Action culturelle et action diplomatique peuvent cohabiter dans un équilibre nouveau qui n’a pas encore été précisé. Le risque est que, faute de clarification, l’ambassadeur et son conseiller aient trop souvent tendance à considérer le directeur du centre culturel comme leur collaborateur. Il faut crever l’abcès et affirmer qu’on ne peut faire de la diplomatie en mettant la culture sous tutelle. Il faut accorder un vrai espace de liberté aux directeurs des centres culturels sinon les meilleurs partiront et les centres culturels mourront et deviendront de simples centres de documentation. Et il n’y aura plus de création et d’échanges profonds. Il faut soustraire ces organismes de la tutelle, nécessairement décevante, de l’administration centrale sans qu’il soit pour autant question d’ignorer le rôle de l’ambassadeur. C’est pourquoi, je recommande de les placer sous la responsabilité d’une agence dotée d’un conseil d’administration ouvert à des représentants des trois ministères (Affaires étrangères, Culture, Éducation nationale), d’entreprises et à des personnalités du secteur culturel. Le ministère des Affaires étrangères pourrait placer cette agence dans son giron.
Vous évoquez aussi un déséquilibre géographique dans la répartition de ces centres
culturels. Que peut-on faire pour le corriger ?
Certaines zones bénéficient en effet d’une bonne représentation comme l’Afrique et il faut que cela demeure, alors que d’autres régions du monde comme l’Amérique latine ou l’Asie sont trop négligées. Nous sommes également trop absents de grandes capitales et foyers culturels. J’ai recensé une quinzaine de grands centres urbains qui jouent un rôle sur le plan culturel. Il faudrait absolument être implantés à Bangkok, Barcelone, Chicago, Moscou, New York, Rome, Singapour, Pékin, Shanghai, Sydney pour n’en citer que quelques-uns...
Il faut aussi reconsidérer notre politique en Europe et se demander de quelle façon les centres culturels et les Alliances françaises peuvent contribuer à la construction européenne. Les considérations historiques, qui ont présidé à la création de ces centres il y a cinquante ans, n’ont plus cours. L’implantation des dix-neuf structures en Allemagne tenait ainsi à la volonté de réconcilier nos deux pays dans les années d’après-guerre. Les données ont évidemment changé aujourd’hui. Quel est notre projet pour le réseau allemand ? Une réforme est en cours, outre-Rhin, sans qu’apparaisse aucun réel dessein politique. C’est dangereux.
N’y a-t-il pas un risque à la veille des élections présidentielles que votre rapport soit enterré ?
Je pense au contraire que la campagne électorale permettra d’amplifier le débat, de relayer ces thèmes. Je dispose du soutien de la commission des Affaires étrangères qui a avalisé ce rapport qui a été bien perçu dans l’opinion. C’est un sujet très sensible car il a trait à notre identité profonde.
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Yves Dauge : Quel projet pour le réseau culturel français ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Yves Dauge : Quel projet pour le réseau culturel français ?