Styliste de mode japonais, Yohji Yamamoto a présenté sa première collection à Paris en 1981. Aujourd’hui, le Musée de la mode et du textile lui consacre une importante rétrospective, qui se concentre à la fois sur les vêtements qu’il a dessinés, mais aussi sur l’ambiance qui règne dans son atelier. Yohji Yamamoto collabore également avec de nombreux photographes ou metteurs en scène. Il commente l’actualité.
Pendant longtemps, vous avez refusé d’exposer vos créations dans les musées. Pourquoi avoir accepté cette rétrospective au Musée de la mode et du textile à Paris ?
Au départ, je n’étais pas pour et puis finalement j’ai accepté. J’ai déjà participé plus de vingt fois à des défilés de mode à Paris. Je suis devenu ce que l’on appelle un « vétéran », j’ai acquis une certaine maturité et je suis devenu techniquement bon. Maintenant, est-ce une bonne chose ? Justement, je me pose la question, parce que lorsque l’on devient bon, on peut perdre aussi une certaine force émotionnelle. En exposant mon travail ici, cela m’a permis de revoir tout ce que j’ai fait au travers des années. Les choses étaient peut-être alors moins bien faites, mais il y a beaucoup de vêtements qui ont une très grande force. Cette rétrospective me permet aussi de réfléchir sur tout cela. Quand je regarde par exemple les vidéos de mes défilés, je me souviens de toutes les difficultés que j’ai eues à ces moments-là, et c’est assez pénible parfois.
Avez-vous l’habitude de visiter des musées de la mode dans le monde ?
Oui, de temps en temps, pas souvent. Cela m’est parfois utile, mais pas forcément.
Quand vous créez une collection, pensez-vous à l’image qu’elle va véhiculer ?
À chaque collection, j’ai des thèmes, j’ai des motivations différentes. Quand on parle de la haute couture, j’ai envie de dire : « Moi aussi je peux faire de la haute couture » ; ou lorsque la mode prend un aspect un peu spectaculaire, je vais aussi dans cette direction. Je peux aussi concevoir une collection avec une approche journalistique. Je pense à tout cela quand je fais une collection.
Vous avez travaillé avec de nombreux photographes, comme Nick Knight, Peter Lindbergh, Paolo Roversi ou Inez van Lamsweerde. Quels sont leurs apports à votre propre démarche ?
Quand je travaille avec un photographe, je fais ma collection et ensuite je la lui confie. Je le laisse complètement libre de faire ce qu’il veut. Il a donc un univers créatif complètement différent du mien. Parfois, ces collaborations nous ont permis de créer des catalogues qui n’avaient rien à voir avec mon propre univers. Parce que dès que j’ai fini une collection, je n’ai plus envie de la voir, elle ne m’intéresse plus. Le photographe prend les photos et je n’aime même pas les choisir ensuite. Parce que pour moi, c’est déjà quelque chose de terminé. J’ai envie de passer à autre chose.
Quand vous travaillez pour des opéras ou des films, les metteurs en scène vous laissent-ils carte blanche ou s’agit-il d’un dialogue ?
Dans le cas de Madame Butterfly [de Puccini à l’Opéra de Lyon en 1990], j’étais complètement libre. En revanche, quand j’ai travaillé avec Heiner Müller pour le spectacle de Wagner [à Bayreuth en 1993], il était beaucoup plus directif, ce que je préfère. Créer des costumes pour des spectacles n’a rien à voir avec concevoir des collections que je présente dans des défilés de mode. Donc je préfère savoir un peu ce que la personne veut pour avoir un sens dans lequel aller. C’est alors plus facile. Pour
Kitano, je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai travaillé avec lui. À chaque fois, cela se passe dans des bars, le soir. Il me raconte le scénario de son film, je lui dis que cela a l’air bien et une semaine plus tard je reçois un fax où il me remercie d’avoir accepté. Pour ses films, Kitano n’a pas besoin d’un styliste, il n’a pas besoin de ce message. Ce n’est pas comme pour des films comme Charade avec Audrey Hepburn, dans lesquels les costumes dessinés par Hubert de Givenchy avaient vraiment un sens. Dans les films de Kitano sur des yakusas ou des histoires d’amour, au contraire, si les costumes sont trop visibles, cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas facile de travailler pour ce genre de films.
On parle parfois pour votre mode de « déconstruction », un terme qui désigne aussi une tendance en architecture. Quel domaine vous intéresse en architecture ?
Quand on n’aime pas un vêtement, on peut s’en débarrasser facilement. En revanche, pour un bâtiment, il n’est pas facile de s’en débarrasser, et parfois les constructions gênent un peu le paysage. Je n’aime pas les architectes qui sont trop égoïstes.
Je n’aime pas tellement d’architectes contemporains. Ce que j’aime, c’est l’école de Milan et les
prisons.
Comment choisissez-vous les architectes pour vos boutiques ?
Récemment, j’ai demandé à Ron Arad pour ma boutique à Tokyo. Je cherchais quelqu’un d’un peu fou. Je voulais que ma boutique ressemble à une sorte d’entrepôt, qu’il n’y ait rien d’autre que des tiges en fer avec mes habits. Mais, après, il n’y a pas d’autre message architectural. Toutes mes boutiques sont très minimales. Un architecte comme Tadao Ando aurait aussi voulu me faire des boutiques, mais je pense que l’on ne pourrait pas vendre de choses dans un magasin conçu par lui. Il est doué pour faire des églises, mais pas des lieux commerciaux.
De quels artistes plasticiens vous sentez-vous proche aujourd’hui ?
Il n’y en a pas tellement. Aujourd’hui, on peut se demander si c’est l’art qui est fort ou bien le design.
Le co-branding est très à la mode, même dans le domaine culturel, à l’exemple du Musée du Louvre qui va ouvrir un espace dans le High Museum d’Atlanta. Vous avez vous-même travaillé avec Adidas. Quel bénéfice en avez-vous tiré ?
Je fais des collections depuis plus de vingt ans et tout à coup une question m’a assailli : « Qui porte mes vêtements ? » Je me suis dit que dans la rue on ne voyait plus personne portant mes vêtements, et j’avais envie de revoir mes vêtements portés par des gens normaux. Je me suis aperçu que dans la rue les gens portaient tous des vêtements de sport et donc j’ai appelé Adidas. En tant que créateur de mode, je trouvais que les vêtements de sport que portent par exemple les touristes américains ne sont vraiment pas beaux avec leurs couleurs criardes, avec des mélanges de vert ou de violet, ou d’orange et de bleu. J’avais envie de donner un côté un peu chic à ces vêtements.
Une exposition vous a-t-elle marqué ?
J’ai été impressionné par l’exposition « Man Ray » au Petit Palais à Paris il y a quelques années. J’ai été étonné par la taille des photographies, que j’ai trouvées toutes petites. J’ai aimé la façon dont les photos sont développées, qui est très graphique, qui se rapproche du dessin, les jeux avec la lumière et tout ce qu’il peut faire entre le négatif et le positif. La photographie est vraiment un médium intéressant. J’aime aussi beaucoup Araki. Je possède nombre de ses livres de photos. Il a sorti
récemment un ouvrage, qui contient de vieilles photos de Tokyo, du Tokyo dans lequel j’ai vécu quand j’étais petit.
Le seul fait de regarder ces images m’a fait pleurer. Je suis aussi allé récemment au Musée Picasso à Paris, et ce qui m’a frappé, c’est un gardien assis sur une chaise, au sous-sol, au milieu de toutes les peintures cubistes : il était lui-même totalement une œuvre cubiste !
Jusqu’au 28 août, Musée de la mode et du textile, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, tlj sauf lundi, 11h-18h, samedi et dimanche 10h-18h
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Yohji Yamamoto, styliste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Yohji Yamamoto, styliste