Des collectionneurs américains s’insurgent contre les décisions du tout-puissant Comité d’authentification Andy Warhol. Plusieurs œuvres de l’artiste, considérées jusque-là comme authentiques, ont été rejetées par le comité.
NEW YORK - La controverse qui touche actuellement le monde de l’art à New York n’est pas nouvelle. Des collectionneurs et des marchands d’art américains viennent de s’insurger contre des expertises rendues par le Comité d’authentification Andy Warhol (Andy Warhol Authentication Board). Les quatre membres du conseil – les experts de Warhol Neil Printz et Sally King-Nero, l’historien de l’art Robert Rosenblum, et le conservateur de musée David Whitney – refuseraient en effet d’authentifier certaines œuvres de l’artiste. Le désaccord porte sur la définition d’une œuvre d’art authentique et confine aux accusations de conspiration pour le contrôle du marché Warhol. Certains reprochent au comité de garder secret ses critères de décision et la saisie des tribunaux serait imminente. Cette querelle pourrait même devenir le plus grand scandale du monde de l’art depuis l’affaire de collusion entre Christie’s et Sotheby’s. Après avoir essuyé plusieurs refus d’authentification, Joe Simon, scénariste américain installé à Londres, mène une campagne pour discréditer le comité. Son Autoportrait rouge sérigraphié sur toile avait été authentifié par l’exécuteur testamentaire de la succession Warhol, Fred Hughes, et son Collage de billets de dollars sur toile est mentionné dans le journal de l’artiste. Des témoins se souviennent avoir vu Warhol l’offrir à son assistant à la Factory, Sam Bolton, en 1986. Le comité estime néanmoins que l’œuvre de Bolton est une copie et, en septembre, il a – exceptionnellement – envoyé une lettre à Joe Simon expliquant les motifs de sa décision : le secrétaire du Trésor, dont la signature figure sur certains des billets du collage, n’a pris ses fonctions qu’une année après la mort de Warhol. L’œuvre est donc une contrefaçon posthume. L’Autoportrait de 1965 soulève quant à lui le problème de la collaboration des assistants. Warhol aurait autorisé le collectionneur new-yorkais Richard Ekstract à effectuer des copies de son Autoportrait en échange d’un prêt d’équipement vidéo. Il lui a confié un Ektachrome, et Richard Ekstract a engagé des imprimeurs qui n’avaient jamais collaboré avec Warhol pour réaliser la sérigraphie, mélanger les couleurs et produire une série d’impressions. L’avocat du comité, Ron Spencer, précise que l’œuvre produite par Richard Ekstract l’a été en dehors de l’atelier de l’artiste : « Une œuvre que l’artiste conçoit, autorise et supervise est de l’artiste. Mais si aucun de ces facteurs n’entre en jeu, il ne s’agit pas d’une œuvre authentique. »
Souci de paternité
Joe Simon estime que la barre est placée trop haut. Selon lui, la Fondation Andy Warhol pour les arts visuels et le comité qu’elle a créé en 1995 tentent de faire passer Warhol pour un peintre traditionnel, ce qu’il n’a jamais été, comme le soutiennent plusieurs de ses anciens associés. Jean-Paul Russell, qui a travaillé en tant qu’assistant d’imprimerie à la Factory, a confié qu’il était habituel que Warhol choisisse un Ektachrome, donne des recommandations et confie le reste des opérations aux imprimeurs. Paul Morrissey, l’ancien agent de Warhol, acquiesce : « [Ces œuvres] étaient exécutées en dehors de l’atelier, comme le millier de choses qu’il autorisait. » Le marchand new-yorkais Ronald Feldman, qui a réalisé le catalogue de l’œuvre imprimé de Warhol et qui détenait l’autoportrait de Simon dans les années 1980, affirme néanmoins que, malgré l’aide d’assistants et les procédés industriels, Warhol se souciait réellement de la paternité de ses œuvres et s’éloignait rarement du processus de production.
Warhol aurait-il été trop éloigné du processus de fabrication de la série de sérigraphies de Richard Ekstract pour que celle-ci ne puisse être considérée comme authentique ? Lors de son achat, Ronald Feldman avait fait expertiser la toile par l’exécuteur Fred Hughes, et il ne comprend pas le refus du comité. Cette querelle ne serait qu’une querelle d’apothicaires si des réputations et des fortunes n’étaient en jeu.
Jack Cowart, directeur de la Fondation Roy Lichtenstein et dirigeant du Conseil des fondations d’artistes, nous a déclaré qu’il n’existe aucune norme sur laquelle les fondations peuvent appuyer ces questions d’authenticité. Certaines s’en remettent aux experts, d’autres se réfèrent au catalogue raisonné. Certaines écrivent des lettres détaillées motivant leurs décisions, d’autres pas. Mais la Fondation Andy Warhol procède de la manière « la plus complexe sur le plan légal et la plus persuasive [qu’il] connaisse ».
Certains marchands et collectionneurs voient d’un mauvais œil les fonds perçus par le comité et alloués par la fondation, sachant que cette dernière continue de vendre les œuvres de Warhol issues de la succession. Ron Spencer, l’avocat du comité, réfute toute accusation de collusion en s’appuyant sur l’indépendance des deux organismes.
Mais Joe Simon qualifie le comité « de mécanisme parfait pour retirer autant de Warhol du marché que possible, préservant ainsi la rareté et la valeur au stock de plusieurs millions de dollars d’œuvres sous le contrôle du petit groupe soudé qui gravite autour de la Fondation ». De son côté, la secrétaire du comité, Claudia Defendi, nous a déclaré que, sur une période de deux ans, « le pourcentage d’œuvres rejetées est d’environ 15 % ».
Manque de preuves
La Fondation Warhol finance également le projet de catalogue raisonné des œuvres de Warhol, en collaboration avec le marchand zurichois Thomas Amman Fine Arts. Doris Ammann a repris le projet depuis la mort de son frère en 1993. L’année dernière, Phaidon a publié le Volume I, qui couvre la période 1961-1963, et quatre autres volumes sont prévus. Les membres du comité travaillent également sur le catalogue : Neil Printz est corédacteur en chef – avec Georg Frei, de la galerie Ammann –, Sally King-Nero est rédactrice exécutive, tandis que Robert Rosenblum agit en tant que consultant. Mais aucun des membres du comité ne travaille pour Amman ou aucune autre entité commerciale, et la fondation ne vend pas d’œuvres à travers la galerie Ammann. S’il n’y a pas de preuve que le comité prend des décisions corrompues pour en faire profiter un cartel, le principe de ne pas motiver ses décisions ne contribue pas à lever les soupçons. Selon Ron Spencer, les justifications du comité seraient « une carte routière pour les faussaires » et pourraient être « mal interprétées ». Mais tant que le comité ne dévoilera pas ses méthodes d’authentification, particulièrement en ce qui concerne les œuvres produites par les assistants, la controverse ne pourra que s’enflammer.
Joe Simon aurait déjà porté l’affaire devant les tribunaux s’il n’avait signé un document selon lequel il abandonnait ses droits de poursuites en soumettant ses œuvres au comité. Mais cette disposition intégrée au contrat n’a pas fait reculer tout le monde. Le marchand new-yorkais Ivan Karp, qui travaillait à la galerie Leo Castelli lorsqu’elle représentait Warhol, a poursuivi le comité mais a retiré sa plainte lorsque celui-ci lui a expliqué ses raisons. Joe Simon a évoqué un recours collectif en justice, notamment avec Richard Ekstract. Mais Ron Spencer se dit confiant en la justice, laquelle, selon lui, maintiendra la décision du comité.
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Warhol or not Warhol ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°182 du 5 décembre 2003, avec le titre suivant : Warhol or not Warhol ?