De quel art parle-t-on dans les écoles ?
À Rennes, le débat n’a guère été envisagé sous cet angle.
Les Assises nationales des écoles supérieures d’art, à Rennes, étaient avant tout un rendez-vous professionnel, autour d’un enjeu institutionnel, culturel et, en somme, politique. Avec des questions spécifiques, qui concernent à la fois le statut des personnels, l’évolution des structures, l’adaptation à de nouvelles échelles et à de nouveaux règlements normalisés. Rien que de normal, donc, sauf que chacune de ces questions tend à se tourner en interrogation identitaire défaitiste ; et rendue telle parce que le champ de l’art offre une résistance fondatrice à se définir en tant que champ déterminé comme objet de transmission ou d’enseignement : c’est le syndrome Courbet, qui traverse la modernité artistique.
Lequel écrivait en 1861 : « Je ne puis enseigner mon art, ni l’art d’une école quelconque, puisque je nie l’enseignement de l’art […]. » Le fantôme de l’académisme règne comme un repoussoir et fonde sans doute ce qui demeure un paradoxe de ces assises : qu’il n’y était guère question d’art. On comprend pourquoi, tant les interrogations structurelles sont devenus pressantes. Elles n’ont finalement guère avancé, alors même que le contenu et les méthodes de l’enseignement de l’art faisaient débat, quand, par exemple, le critique Thierry de Duve publiait son livre Faire école (1992). Ce débat sur le fond trouve cependant régulièrement sa place dans les rencontres internationales telle la Teachers’ Academy (à Rotterdam en 2005, à Gand en octobre 2006) organisées par l’ELIA (European League of Institutes of the Arts, un réseau d’institutions d’éducation artistique de plus de trois cents institutions dans quarante-sept pays). Mais les écoles de France peinent à s’y représenter. Pourtant, comme le notait Yann Fabes, professeur à l’École de Saint-Étienne, dans un texte sur les spécificités des écoles d’art françaises rédigé pour un programme de l’ELIA, « le fonctionnement actuel des écoles d’art diffère assez peu du fonctionnement de n’importe quel établissement d’enseignement supérieur […] ». Suffisamment peu pour que, dans le cadre des homogénéisations européennes, la réforme des formations universitaires (le système « LMD », notamment), qui redéfinit les niveaux de diplôme et établit des règles d’évaluation – donc de contenu – et d’équivalence, semble pouvoir s’appliquer aux écoles des beaux-arts, devenues du coup supérieures. C’est cette adaptation qui anime ce petit monde, une réforme conduite par le ministère de la Culture, tutelle pédagogique pour les cinquante-sept écoles françaises. Mais les perspectives d’application sur le terrain de cette réforme font resurgir ces questions identitaires mêlées, que les Assises nationales des écoles supérieures d’art ont tenté de séparer, sans doute trop. Yann Fabes de nouveau : « Seule la matière même de ce qui est enseigné marque une réelle différenciation, ainsi que le profil des intervenants enseignants… » L’absence de prise directe sur cette « différenciation » a constitué la limite des ambitions de ces assises. On comprend pourtant bien la tentation de poser les problèmes institutionnels en eux-mêmes et que ceux-ci ont marqué des avancées (lire l’article ci-dessus). Toutefois, cette « absence » de l’art – même si, bien sûr, il était partout en creux, dans les esprits et dans les engagements de chacun – comme enjeu de prise de parole a valu que l’on tourne autour et que l’on s’engage sur des débats posés de travers, ou du moins formulés à partir de questionnements et de vocabulaire d’emprunt. Un mot placé en exergue des débats a tourné au symptôme de cette difficulté à se définir par un vocabulaire emprunté à une langue autre, à une logique institutionnelle différente : le mot « recherche », en ce qu’il était comme importé de l’usage que l’on en a dans le système universitaire. Mais, s’il est posé en termes de « concurrence » avec l’énorme appareil de l’université, s’il choisit de ne faire qu’en singer les enjeux, sans s’appuyer d’abord sur ce qui le particularise, le système des ESBA se fragilise, voire se détruit. Là où, au contraire, il lui faut défendre une identité, en assumant pleinement un équilibre sans doute fragile et précaire, tout à la fois résistant à l’institutionnalisation, mais non incompatible avec celle-ci. Un équilibre qui saurait, comme au sein de la pratique des artistes elle-même, accorder sa place au non-art au sein de l’art, parmi d’autres paradoxes, conditions du contemporain. Les Assises nationales des écoles supérieures d’art manquaient sans doute de confiance en l’art. La preuve
en est de l’absence du monde de l’art parmi les invités : artistes, gens de musées ou critiques, qui pouvaient rappeler que, pour exister, le champ de l’art doit aussi compter sur ses propres forces et sur un ensemble d’acteurs. Ne laissons plus désormais les écoles seules dans leurs débats ; leurs questions sont celles de tous ceux qui s’intéressent à l’art.
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Vous enseignez quoi, au juste ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : Vous enseignez quoi, au juste ?